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L'Algérie des Haggarines et des Mahgourines.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 11 - 03 - 2011

Comment l'Etat a cassé les cadres de ses entreprises
El Watan,11 mars 2011
Ils se sont retrouvés en prison pour plusieurs années avant d'être blanchis. Aujourd'hui, les cadres des entreprises publiques poursuivis dans le cadre de la loi 06-01 de 2006, en plus de vivre avec la honte, se battent encore pour obtenir une maigre indemnisation et attendent le projet de loi annoncé par Abdelaziz Bouteflika censé les protéger.
«On m'avait averti que mon entêtement à vouloir tenir tête au wali de l'époque allait me coûter cher. Un jour, j'ai reçu une convocation de la justice et la machine s'est mise en marche.» PDG de l'entreprise publique Edipal, fournissant les grossistes et les détaillants en produits alimentaires, Norine Djelouat a passé quatre ans en prison, de 1997 à 2001. Son tort : avoir voulu défendre les intérêts de son entreprise face à la wilaya d'Oran qui convoitait le terrain de l'usine située sur le tracé d'une route qu'elle voulait réaliser. En Algérie, pour se débarrasser d'un cadre gênant, rien de plus facile.
Il suffit d'invoquer l'article de loi 06-01, prévoyant des peines de deux à dix années d'emprisonnement pour «dilapidation» ou «passation de marchés contraires aux lois en vigueur». Depuis 2001, des milliers de cadres d'entreprises publiques se sont ainsi retrouvés en prison. Le projet de dépénalisation de l'acte de gestion, annoncé par le président Bouteflika lors du dernier Conseil des ministres, devrait désormais les protéger et leur offrir une plus grande autonomie dans la gestion de l'entreprise. Mais pour l'instant, les cadres continuent de voir leur vie professionnelle et familiale suspendue à un article de loi. Autre problème : après avoir été blanchis par la justice, après des années d'incarcération injustifiée, les cadres doivent encore se démener pour obtenir réparation : déposer un dossier auprès de la Cour suprême, attendre qu'elle évalue le préjudice et fixe le montant – dérisoire par rapport au préjudice causé – versé par le Trésor public.
Ceux dont personne ne parle
Djamil Hadj Slimane, directeur d'une unité Orolait à Mostaganem, a été arrêté en 1996 pour «dilapidation de bien public». Après trente mois de détention préventive à la prison de la ville, il est condamné à trois ans de prison. Au terme de sa peine et après un pourvoi en cassation, il est finalement acquitté. Mais l'entêtement du procureur général à faire appel à chaque fois le contraint à attendre 2011 pour qu'un jugement définitif lui soit rendu, le blanchissant définitivement.
En attendant de percevoir une réparation financière, Djamil Hadj Slimane est
DRH dans une entreprise publique et rêve de littérature et d'écriture pour mieux affronter les souvenirs douloureux de ses années de prison. Après avoir été indemnisé à hauteur de 900 000 DA deux ans après sa sortie de prison, Norine Djelouat a, quant à lui, rejoint le corps enseignant à la faculté d'économie et de gestion d'Oran. Mais combien sont-ils à avoir été broyés dans la plus totale indifférence ? «Un très grand nombre, confirme l'avocat Mokrane Aït Larbi. On a entendu parler des grandes affaires médiatiques, mais cette loi a surtout touché des cadres travaillant dans de petites entreprises publiques et dont personne n'a jamais parlé.»
Ce que dit la loi :
Ce sont essentiellement les deux articles de la loi 06-01 du 20 février 2006, sur la «prévention et la lutte contre la corruption», sur lesquels se basent les juges pour prononcer leurs condamnations à l'encontre des cadres. Les articles 26 et 29 devraient être modifiés suite à la décision du président Bouteflika, le 3 février dernier, de dépénaliser l'acte de gestion.
- Des avantages injustifiés dans les marchés publics
Art. 26. Sont punis d'un emprisonnement de deux à dix ans et d'une amende de 200 000 DA à 1 000 000 DA :
-1) Tout agent public qui passe, vise ou révise un contrat, une convention, un marché ou un avenant en violation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en vue de procurer à autrui un avantage injustifié.
-2) Tout commerçant, industriel, artisan, entrepreneur du secteur privé ou en général toute personne physique ou morale qui passe, même à titre occasionnel, un contrat ou un marché avec l'Etat, les collectivités locales, les établissements ou organismes de droit public, les entreprises publiques économiques et les établissements publics à caractère industriel et commercial, en mettant à profit l'autorité ou l'influence des agents des organismes précités pour majorer les prix qu'ils pratiquent normalement et habituellement ou pour modifier, à leur avantage, la qualité des denrées ou des prestations ou les délais de livraison ou de fourniture.
- De la soustraction ou de l'usage illicite de biens par un agent public
Art. 29. Est puni d'un emprisonnement de deux à dix ans et d'une amende de 200 000 à 1 000 000 DA, tout agent public qui soustrait, détruit, dissipe ou retient sciemment et indûment, à son profit ou au profit d'une autre personne ou entité, tout bien, tout fonds ou valeurs, publics ou privés, ou toute chose de valeur qui lui ont été remis soit en vertu soit en raison de ses fonctions.
Salim Mesbah
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Hassaïne Zemmouri : L'Etat a mis à terre des familles entières
El Watan le 11.03.11
Hassaïne Zemmouri. Ancien PDG de l'Enapal (produits alimentaires). Six ans et demi d'incarcération à El Harrach, dix-sept ans de quête de réparation
- La réhabilitation des cadres injustement emprisonnés passe-t-elle par un dédommagement de la période d'incarcération ?
Dans un Etat qui se respecte, lorsque vous avez été injustement incarcéré et que la justice a reconnu votre innocence, l'Etat doit prendre l'initiative d'une réhabilitation, qui passe par de nouvelles fonctions au sein d'une entreprise et par un dédommagement financier qui doit comprendre tous les préjudices qui vous ont été causés. Aujourd'hui en Algérie, ce n'est pas le cas puisque vous devez entamer, pour votre dédommagement, une nouvelle procédure judiciaire auprès des tribunaux une fois votre innocence avérée. Cette justice qui proclame le droit au nom du peuple algérien doit se rendre compte des préjudices qu'elle fait subir aux familles et aux proches par ses décisions arbitraires.
- Sur la base de quel article de loi la justice incarcère-t-elle les cadres ?
Le code de procédure pénal, que je connais aujourd'hui par cœur, est un code arbitraire qui offre la possibilité à n'importe quel magistrat de maintenir éternellement en détention les cadres. Cela est voulu, car il n'y a pas de justice dans ce pays. Il n'y a que des règlements de comptes que la justice exécute en se faisant complice d'intérêts supérieurs. Une bonne partie des cadres emprisonnés ne l'a pas été sur une base légale.
- Comment vit-on une liberté retrouvée après des années d'incarcération arbitraire ?
Cela dépend de la force de caractère de chacun et de son assise familiale. Certains ne peuvent pas supporter l'opprobre du repris de justice. Je connais personnellement trois hauts cadres dirigeants qui ont sombré dans la folie une fois leur liberté retrouvée parce qu'ils n'ont pu supporter le regard des autres. C'est le pouvoir qui est responsable de cette situation. Il a mis à terre des familles entières en visant le chef de famille. Je voudrais rappeler qu'en 2005, l'ancien directeur général de la Sûreté nationale, Ali Tounsi, avait ordonné à ses services de brûler les dossiers qui avaient été «fabriqués» par leurs soins, sur la base de rapports tendancieux, qui ont justifié l'incarcération de cadres honnêtes.
- Comment expliquez-vous qu'une fois sorti de prison, un cadre ne retrouve que très rarement un emploi ?
Lorsque vous avez exercé des fonctions importantes au sein d'une entreprise, il est bien difficile de retrouver un emploi. L'entreprise considère soit que vous êtes surqualifié, soit que votre incarcération, alors que vous avez été blanchi par la justice, pose problème.
- Quelle procédure les cadres doivent-ils enclencher pour leur indemnisation ?
La plupart des cadres n'entament pas les démarches pour leur indemnisation. C'est pour cela que je pense que c'est à l'Etat de prendre l'initiative d'une telle procédure. Mais il est aujourd'hui très difficile d'évaluer le préjudice financier subi par un cadre qui a passé des années en prison.
Salim Mesbah
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CNAN condamnés à tort par la justice, rejetés par leur entreprise
El Watan le 11.03.11
Ce 24 janvier 2005, il pleut à torrent sur Alger. Il est 9h quand Mohand Ouramdane Ammour, directeur de la division armement et technique au sein de la Compagnie nationale algérienne de navigation, arrive dans l'entreprise.
Il range ses dossiers, récupère la convocation que lui a adressée la justice et remet à sa secrétaire la clé de son bureau en l'informant qu'il sera absent la matinée et sera de retour en milieu d'après-midi. Ammour ne reverra plus sa secrétaire. Il sera incarcéré dans la nuit du 24 au 25 janvier, en compagnie de trois autres cadres : Kamel Ikhaladène, directeur technique, Salah Zaoui, inspecteur technique du navire Béchar et Ali Koudil, PDG de l'entreprise. Ils sont inculpés pour «mise à la disposition du capitaine d'un navire en mauvais état et insuffisamment équipé» et «navigation d'un navire dont la validité du titre de sécurité a expiré».
Le naufrage du Béchar, le 13 novembre 2004, avait coûté la vie à seize des dix-huit membres d'équipage. «Quand le juge m'a annoncé que j'étais mis sous mandat de dépôt, je me suis dit que ce que je vivais n'était pas réel. C'était tellement imprévu. Très vite, j'ai pensé à ma femme et à mes trois enfants. Je me demandais comment ils allaient s'en sortir», raconte Mohand Ouramdane. Dans la voiture qui les conduits à Serkadji, ils informent leurs familles de leur incarcération. «Ma femme hurlait quand je lui ai annoncé la nouvelle. J'essayais de la calmer. Je ne voulais pas qu'elle réveille les enfants», se souvient Mohand Ouramdane.
Séquelles à vie
Les souvenirs sont encore vivaces. Après la fouille corporelle et un passage chez le coiffeur, direction la douche. «On ne nous a remis ni serviette ni savon, alors j'ai pris le mouchoir que j'avais dans la poche de ma veste pour m'essuyer…» Les cadres de la CNAN passeront leur première nuit de prison «comme des rats», dans une cellule au sous-sol de l'établissement pénitencier, puis seront transférés dans la salle 65 du couloir 28. Ils y resteront quatorze mois. «On n'arrêtait pas de penser à nos familles. Toutes les semaines, elles venaient nous rendre visite au parloir. Mon fils n'a jamais raté une seule visite durant toute mon incarcération. C'était très dur parce qu'on savait qu'ils souffraient.»
Le 17 mai 2006, après six jours de procès, les quatre accusés (Mustapha Debbah, directeur de l'armement des navires, sera incarcéré le 13 février 2005) seront condamnés à quinze ans de prison. «Je sentais que nous allions être sévèrement condamnés. Le président refusait de nous donner la parole pour que nous puissions répondre des faits qui nous étaient reprochés», assure Salah. A l'énoncé du verdict, Mustapha Debbah s'écroule et perd connaissance. Un médecin dépêché en urgence lui fera une injection pour le ranimer. De cet incident, il en gardera des séquelles à vie. Il est aujourd'hui cardiaque, souffre d'hypertension et n'a pas les moyens de payer le traitement coûteux qu'il est obligé de suivre. «Ma vie s'est effondrée, confie-t-il. Je n'arrêtais pas de me demander pourquoi j'étais là ? Ma fille a été traumatisée par l'affaire et a échoué au bac. Ma femme a dû vendre des biens pour l'inscrire dans une école privée.»
A la charge de parents
Par la suite, les cadres maudits seront transférés à la prison de Berrouaghia où ils resteront trente-six mois. La Cour suprême décide l'annulation du premier procès en 2010. Cette décision ouvre la voie à un nouveau procès qui aura lieu le 24 novembre. Au bout de quatre jours, le tribunal décide la relaxe de l'ensemble des accusés. «J'étais confiant. Il y avait une petite voix qui me disait que nous allions rentrer chez nous», se souvient Mohand Ouramdane. A leur retour en prison, ils auront dix minutes pour récupérer leurs affaires avant de retrouver la liberté. «On se dit qu'une fois sorti de ce cauchemar, la vie allait reprendre comme avant. C'est faux. Je garde des séquelles de mon passage en prison. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à mes six années passées en prison et à me demander pourquoi j'ai été condamné», affirme Salah Zaoui. Ils reprennent alors contact avec la CNAN pour demander leur retour à leur poste de travail et une indemnisation.
L'entreprise ne consentira qu'à leur verser leur reliquat de congés et refusera d'envisager leur réintégration. «On a perdu six années de notre vie pour quelque chose que nous n'avons pas fait et nous avons donné trente ans à une entreprise qui aujourd'hui nous rejette, alors que nous n'avons pas de ressources et que nous sommes à la charge de parents et d'amis qui nous aident», déclare Salah. Contactée par El Watan Week-end, la PDG de la CNAN, Aïcha Younes campe sur ses positions et refuse toute idée de réintégration des cadres emprisonnés. «Les cadres en question ont tous une expérience technique et la CNAN n'a plus de navires. Comment voulez-vous que je les réintègre alors que leurs postes n'existent plus et que l'entreprise est en voie de dissolution ?», affirme-t-elle. L'entreprise fait la sourde oreille à la détresse de ses cadres et s'en remet à la justice pour trouver une solution.
Dernière minute :
Le président du directoire de la société de gestion des participations des transports maritimes SGP/GESTRAMAR, Ghazi Regainia, a reçu hier matin, au siège de l'entreprise, les cadres de la CNAN emprisonnés auxquels il a proposé une solution provisoire de recasement, en attendant la décision finale de la justice, au sein du groupe.
El Watan Week-end salue cette décision, mais s'étonne que celle-ci soit prise trois mois après la libération des cadres et à la veille de la publication de notre enquête.


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