Le groupe des 25 poursuit ses plaintes contre les lieutenants de Ben Ali lundi 23 mai 2011 / par Maryam Mnaouar Le groupe des 25, pourrait être qualifié de garde fou en ces temps de transition confuse. Ce sont des avocats culottés et militants qui portent plainte en leur qualité de citoyens en usant de leur expérience d'avocat, palliant, disent ils, à la paresse latente dans les poursuites contre les caciques de l'ancien régime impliqués dans des crimes contre les tunisiens. Leur requêtes sont derrière l'arrestation et le jugement de plusieurs anciens ministres dont Abdallah Qallel, Abdelwaheb Abdallah et Abdelaziz ben Dhia, trois d'une longue liste fournie à la justice et aux médias. C'est eux aussi qui ont saisi la justice pour des actes commis par le président déchu et son entourage. Estimant que leur action reste entravée par le manque de volonté évident, ils tiennent des conférences de presse, alertent l'opinion publique, rencontrent des hauts responsables et montrent une détermination inépuisable. Afrik.com est allée à leur rencontre fin avril et a recueilli les propos de trois d'entre eux, Amor Safraoui, figure fédératrice, Soumaya Abderrahmane et Abdelkrim Rajah. Afrik.com : Vous avez déposé des plaintes successives contre certaines personnalités, quel est l'historique de la naissance de ce collectif ? Amor Safraoui : Nous avons au début constaté que certains hauts responsables qu'on surnomme le symbole de l'ancien régime n'étaient pas inquiétés malgré les forts soupçons sur leur culpabilité. Normalement, le travail qu'on accomplit incomberait au gouvernement provisoire et aux différentes organisations gouvernementales, mais malheureusement, ce qu'on a constaté c'est qu'il n'y avait pas de volonté politique de poursuivre les mis en cause. Afrik.com : Comment vous êtes vous fédérés les 25 ? Amor Safraoui : Nous sommes pour la plus part des confrères et amis. Au fil de nos discussions et évaluation de la situation dans le pays, nous avons décidé d'entreprendre ces actions. Soumaya Abderrahmane : Il y avait un noyau de 10 personnes qui a fait le premier pas puis les autres ont suivi. Ce qui nous a fédéré c'est qu'au cours du suivi des événements du tout début de la révolution, nous avons constaté que rien n'avait changé. On espérait un changement mais en fait dans cette transition, les mêmes têtes étaient toujours présentes à toutes les réunions et prenaient les décisions. C'est surtout par réaction a ce qu'on a vu a la télé, comme tout le monde. Il ne faut pas oublier que cette situation a suscité beaucoup de colère chez les tunisiens de voir a la télé Qallel auprès de Mébazza surenchérir sur les Articles 56 et 57. On ne pouvait pas rester sans réagir. Au départ nous étions donc une dizaine de confrères et progressivement d'autres ont suivi, on en est arrivé à quarante deux signatures. Afrik.com : 42 avocats sur un corps qui compte beaucoup plus de confrères ? C'était un choix ou vous êtes vous heurtés à des refus ? Soumaya Abderrahmane : Les deux ! Abdelkrim Rajah : Je crois qu'il faut nuancer, il n'y a pas eu véritablement de tri. Afrik.com : Vous n'avez pas proposé a tout le monde de vous rejoindre ? Soumaya Abderrahmane : Ceux qui veulent se racheter une nouvelle peau ou les gens qui veulent se montrer révolutionnaires grâce a nous ont été écartés. Amor Safraoui : Vous savez, du fait de nos relations professionnelles, nous nous connaissons les uns les autres et nous connaissons aussi les différentes tendances. De là, nous savons plus ou moins à qui faire appel. De toute façon, nous n'avons pas attendu qu'un tel ou un tel nous rejoigne, nous avons déjà déposé ces plaintes en tant que citoyens, par la suite les médias et autres, nous désigne « Groupe des 25 avocats ». Bien entendu, il était hors de question que nous fassions appel à des avocats qui étaient de mèche avec l'ancien régime. Il y avait surtout le facteur temps qui jouait, il fallait agir vite. Nous reprochons au gouvernement de ne pas avoir pris les mesures nécessaires tout de suite. Afrik.com : Et pourquoi cette lenteur ? Amor Safraoui : La position réelle du gouvernement actuel on ne l'a pas et on ne sait pas ou il va. Peut être que c'est voulu. Ce n'est pas clair. Les mêmes attitudes qu'on voyait durant l'ancien régime, on les vit actuellement. Regardez, pour les abus de biens sociaux, la liste est longue et pourtant le gouvernement provisoire semble avoir d'autres priorités. En ce qui concerne l'information, ce n'est pas satisfaisant non plus. On ne prend pas le citoyen Tunisien pour quelqu'un de responsable, on le prend toujours pour un mineur et on pratique sur lui la tutelle. Afrik.com : Cette liste de 15 noms déposée en février parmi les quels« Mohamed Ghannouchi » et « Kamel Morgen », est elle complète ? Ou sera –t-elle appelée à évoluer ? Soumaya Abderrahmane : Il y a d'autres noms nouveaux qui vont suivre. Amor Safraoui : C'était une première liste de quinze personnes. Afrik.com : Justement, quel est a été l'impact de vos requêtes ? Amor Safraoui : Dans une plainte normale il se passe que : Soit le procureur poursuit en transmettant au juge d'instruction, soit c'est classé. Dans notre cas, on est resté entre les deux. On s'est dirigé vers le procureur général pour éclaircir cela, mais sans résultat. Ceci est l'un des obstacles qu'on rencontre aujourd'hui, vous savez qu'en cas de classement on doit nous délivrer une attestation de classement, document qui nous permettra de poursuivre sur la responsabilité personnelle. Or, comme c'est resté entre les deux, nous sommes bloqués, pour certains, le procureur ne poursuit pas mais il ne délivre pas d'attestation. Sur notre première plainte qui concernait le président déchu, ben Ali, le ministre de l'intérieur Hajj Kassem et Ahmed Friaa qui lui était ministre de l'intérieur après le 14 janvier. Eh bien, le procureur a poursuivi le premier et le deuxième mais pas Ahmed Friaa à qui on reproche des tueries durant son court mandat. On reste dans le flou. Et malgré la requête auprès du procureur général et la conférence de presse qu'on a organisée, on a rien vu venir et on attend toujours une amélioration sur le plan juridique. (interview réalisée fin avril 2011). Abdelkrim Rajah : Ce n'est pas normal sur les trois niveaux : On sait que les circonstances sont exceptionnelles et on espérait qu'avec la révolution, ces réflexes de deux poids de mesure, allaient disparaitre. D'autre part comme l'a dit Mr Amor, on traduit les uns et on ignore intentionnellement les autres. On classe sans suite les affaires mais on ne traduit pas et on ne donne pas d'attestation sur la décision. Afrik.com : Considérez vous qu'il s'agit d'un empêchement clair de poursuivre, parce que si vous n'avez pas d'attestation de classement sans suite, vous ne pouvez pas renouveler votre action. Amor Safraoui : Toutes les interprétations sont possibles. Est ce que ce sont des instructions du gouvernement provisoire ou du ministère de la justice ? On est en droit d'interpréter comme on veut. Les accusations sont en principe les mêmes pour tous les inculpés ainsi que les preuves, pourtant, certains ont été maintenus en détention et d'autres remis en liberté. Afrik.com : Quels sont ceux qui restent en liberté ? Soumaya Abderrahmane : Pour l'instant Kamel Morjen et Hamed el Karoui. Amor Safraoui : Justement, moi je trouve que c'est étrange et c'est une anomalie que pour les mêmes accusations on retienne les uns et on libère les autres. Afrik.com : Est ce que le juge d'instruction a motivé ces libérations ? Abdelkrim Rajah : Je crois qu'il n'a pas à motiver maintenant, toutes les investigations ne sont pas clauses. Afrik.com : Donc, dans les grandes lignes, les sujets clés n'ont pas été abordées alors avec les accusés ? Abdelkrim Rajah : Oui, je crois que vous pouvez le dire. Afrik.com : Quels sont vos moyens de riposte dans ce cas ? Quand est ce que vous allez réagir et comment ? Soumaya Abderrahmane : Justement on prévoit de rectifier un peu le chemin de l'instruction si elle ne va pas dans le sens escompté. On ajoute nos conclusions et notre rapport dans le dossier à l'intention du juge d'instruction. Afrik.com : Pensez-vous que c'est faisable dans les conditions actuelles ? Soumaya Abderrahmane : Rien n'est garanti. On ne peut pas dire qu'on a la garantie que nos actions seront prise en considération, et on ne peut pas dire le contraire non plus. On va laisser à cette justice la chance de réagir, nous observons. Afrik.com : Subissez vous des intimidations suite a ces plaintes ? Abdelkrim Rajah : Excusez-moi mais quand on entend Beji caid Essebsi ironiser sur la démarche de notre collectif…. Amor Safraoui : Ce n'est pas dans l'intérêt du pouvoir provisoire de le faire et jusqu'ici nous restons unis. Afrik.com : Pensez-vous avoir présenté les éléments nécessaires ? Soumaya Abderrahmane : Ecoutez, dans une affaire pénale, le procureur transmet, même s'il s'agit d'une délation, au magistrat pour instruction et investigation. Donc ramener les preuves nécessaires, ce n'est pas notre charge. Au civil, c'est a la charge du demandeur de fournir les preuves et documents. Tout le monde sait que ces gens là ont faits exactions graves allant même jusqu'à tuer ou donner l'ordre de le faire. Afrik.com : En tant que plaignants est ce qu'on vous donne le droit d'avoir accès aux pièces du dossier ? Soumaya Abderrahmane : Oui on a accès à l'exception du dossier de Kamel Morjen. On n'a pas pu parce que le dossier est parti en appel. Il y a en plus maintenant les dossiers des trois premiers accusés qui ont fait appel de leur mandât d'arrêt. Afrik.com : Donc Kallel, Abdallah et Ben Dhié ? Abdelkrim Rajah : Oui leurs dossiers sont actuellement chez la chambre de mise en accusation. Afrik.com : Vous n'avez pas pu accéder à ces dossiers ? Soumaya Abderrahmane : Non, on a pu au début sans difficulté, mais depuis une semaine et vu que les dossiers sont à la chambre d'accusation on n'a pas eu de nouvelles. Afrik.com : Quels sont vos principales difficultés pour l'instant ? Amor Safraoui : La principale difficulté c'est que nous ne voyons pas jusqu'à présent de la part du gouvernement provisoire une volonté de changement réelle de politique. La question d'abus de biens public est claire : Est ce qu'il y a eu des abus financiers ou non ? Si oui qu'est ce qu'on attend pour accélérer les poursuites et saisir les instances internationales et déclarer ? Tout le monde sait qu'il y a eu des abus financiers et que ce n'est pas que Ben Ali. Il existe une organisation mafieuse dans une large partie des instances gouvernementales et administratives, RCD et autres… On le répète peut être mais on ne voit pas une volonté concrète du gouvernement actuel de faire une politique de justice équitable et libre vis a vis de ces abus. On, a le pressentiment qu'on veut dresser un écran sur certaines personnes pour ne pas les impliquer. Afrik.com : Pourquoi selon vous ? Amor Safraoui : L'une des explications c'est que ces gens ont un poids politique important, au point que l'on craigne la divulgation de secret qui vont impliquer d'autres personnes. Le grand problème c'est l'absence d'informations crédibles et l'absence aussi d'organes qui enquêtent sur ces abus pour informer le peuple et agir. Qu'on quantifie par exemple et qu'on nous éclaire sur les richesses accumulées par le RCD qui est devenu aussi fort et qui a mis ces tentacules partout dans le pays. Afrik.com : Sur ces « dossiers impénétrables » Est ce que vous avez des pistes ? Amor Safraoui : Prenons par exemple les exactions du RCD : le fait que des ministères ou des organisations détachent des cadres ou du personnel auprès du RCD. Tout ce monde fait la double casquette à savoir double paye et avantages. Si le RCD vivait dans le faste et se permettait des dépenses exorbitantes avec des festivités où les invités se comptaient par milliers, on se demande si c'est l'argent du contribuable et dans ce cas que la loi dise son mot. Afrik.com : A ce propos, quelle est d'après vous la meilleure façon de financer les nouveaux partis et d'une façon équitable, dans la transparence. Amor Safraoui : Ce problème sera discuté au sein de la haute autorité pour la réalisation des objectifs de la révolution. Nous voyons déjà des partis qui ont fait un grand bond dans les structures financières, à l'instar du parti Ennahdha qui est entrain de s'implanter partout, alors que d'autres peinent à bouger. Après, la loi des partis et leur financement doit en principe être équitable et tous les partis sur le même pied d'égalité. La loi de financement des partis va voir le jour en retard et en cela, certains seront favorisés parce que mieux structurés depuis longtemps et bien implantés. Abdelkrim Rajah : Mais ceci dans une grande transparence. Afrik.com : Que pensez-vous de l'appareil de la justice aujourd'hui ? Est-il apuré ? Le syndicat de la police par exemple pointe la défaillance de la justice quand on lui parle de poursuites. Soumaya Abderrahmane : La justice totalement apurée ? Non ! Je ne pense pas qu'il n'y a que la police seulement qui le dit !!! On peut conclure qu'on n'est pas sortis de l'auberge puisque cet appareil est sous la coupe des politiques alors qu'il devrait être indépendant. Afrik.com : On assiste à des mouvements d'apurement au sein même de la justice, comme ceux qui ont « dégagé » certains juges, est ce suffisant ? Soumaya Abderrahmane : Il aurait fallu ne pas agir de la sorte mais les traduire avec des chefs d'inculpation devant le public et assainir les rouages des juges corrompus ou a la solde de l'ancien régime. Cela aboutira à mettre fin aux fonctions des juges coupables et de confirmer ceux qui sont innocents. Puisqu'il n'y a pas eu de décision disciplinaire et que déjà ils contestent cette mesure, ils pourront dans quelques mois revenir avec un nouveau gouvernement. Afrik.com : Quelle solution préconisez vous pour aboutir a une justice indépendante du pouvoir ? Soumaya Abderrahmane : La solution est de ramener de vrais dossiers. Afrik.com : Qui s'en charge ? Soumaya Abderrahmane : Toutes les personnes qui ont subi des abus de pouvoir et de spoliation de leurs biens ou des tortures par l'ancien régime… Parce que cette justice compte des éléments qui doivent être écartés, elle a aussi en son sein des éléments sur qui on compte pour sortir le pays de cette phase d'errance. Amor Safraoui : Pour cela il faut commencer par le haut comité de justice qui doit être élu mais non désigné, donc pas sous la coupe du pouvoir. Afrik.com : Quel appel souhaitez vous lancer ? Soumaya Abderrahmane : Je dirai que notre cause n'est pas la cause des 25. Cela relève du droit commun, permettre à chacun d'exercer sa citoyenneté et passer d'une citoyenneté passive à une citoyenneté active. D'ailleurs quand on a entamé cette procédure, c'était en tant que citoyens et non en tant qu'avocats. C'est ça le principe sur le quel on a manifesté comme tous les autres citoyens dans la rue et on est entrain de le concrétiser un peu par ces actions. Amor Safraoui : : L'action post révolution doit se diriger vers la concrétisation des demandes légitimes du peuple qui sont essentiellement, une justice indépendante et l'inculpation des symboles des abus de pouvoir. Notre action s'introduit dans ce sens et je tiens à remercier entre autres la ligue des droits de l'homme qui s'est coordonnée avec nous pour que notre action avance plus vite. Soumaya Abderrahmane Amor Safraoui Abdelkrim Rajah Lectures: