Les pénuries cycliques de médicaments continuent d'affecter de nombreux malades. Les incessantes et pressantes demandes des professionnels de la santé, des pharmaciens et des parlementaires pour l'ouverture d'une enquête indépendante sur ces ruptures répétitives ne semblent pas avoir eu l'écho souhaité. «Nous exhortons le ministère de la Santé de mener un travail d'investigation en vue de localiser les failles qui ont mené à la rupture de médicaments dans les officines à l'échelle nationale», a déclaré M. Belambri, président du Snapo. «Il faut qu'une enquête indépendante du ministère de la Santé détermine précisément les responsabilités de cette catastrophe», a clamé le professeur Djidjli, président du Syndicat national des professeurs et docents. Il s'agit là d'une des revendications du syndicat. Les professionnels disent ne pas comprendre pourquoi le ministère continue d'ignorer cette réalité qui met en danger la santé de milliers de malades. Pourtant, toutes les données sur l'importation, la distribution, la production et la consommation sont disponibles et accessibles, nous a fait remarquer un spécialiste en la matière. Le ministère de la Santé a, sans doute, toutes les explications nécessaires concernant ce dossier. Le département de M. Ould Abbès ne se prive tout de même pas d'accuser tantôt les distributeurs, tantôt les importateurs, les gestionnaires des établissements ou encore des «lobbies». Mais à aucun moment il ne se remet en cause, ne serait-ce que pour les lenteurs bureaucratiques connues au niveau de ce département. Les raisons sont multiples. D'après certaines informations recueillies dans le cadre de notre enquête, il apparaît clairement que la responsabilité incombe en grande partie au ministère de la Santé. Le nombre de produits introuvables ne cesse d'augmenter. «C'est scandaleux !», «C'est inacceptable », sont les réactions de plusieurs pharmaciens interrogés sur la rupture des produits. «Nous n'avons jamais connu de telles pénuries. Nous faisons face tous les jours au désarroi des patients. Malheureusement, nous ne pouvons rien faire. A un certain moment, lorsque certains produits venaient à manquer, on trouvait toujours le moyen de se les procurer auprès de confrères, mais là, il n'est plus possible de répondre à la demande des patients», nous confie-t-on, avant de signaler que les médicaments concernés sont surtout ceux traitant les maladies chroniques. El Watan a enquêté sur les raisons de la rupture de certains produits essentiels indiqués pour différentes pathologies sur la liste des 300 médicaments en rupture de stock depuis plusieurs mois. Parmi les produits qui manquent dans les officines, l'on citera la pilule contraceptive, les corticoïdes injectables, des médicaments traitant la tension artérielle et les maladies cardiovasculaires. Des stocks difficiles à composer Les dispositions réglementaires relatives au marché du médicament, revues et corrigées à chaque changement à la tête du ministère de la Santé, ont fait que le marché a connu une véritable perturbation due, selon les spécialistes, à la réduction des quantités des programmes d'importation, ce qui rend quasiment impossible la constitution d'un stock de trois mois en fin d'année. En cas d'absence d'approvisionnement en début d'année, la rupture est inévitable. Les retards dans la publication de la liste de médicaments interdits à l'importation figurent parmi ces obstacles. «Les laboratoires exportateurs ne lancent aucune production d'un produit tant que les importateurs n'ont pas les programmes validés par le ministère de la Santé. Comme la dernière liste a été publiée par le ministère l'été dernier, les importateurs ont donc établi leur programme selon cette liste. Ce qui a constitué un véritable frein et donc de telles ruptures», nous a-t-on expliqué. Dans le cas où l'importateur voudrait importer une quantité de médicaments en urgence, il est impossible au laboratoire d'exporter un stock destiné à d'autres pays en dehors d'une dérogation signée par le ministère de la Santé, car le packaging est exclusivement dédié à l'Algérie (notice en arabe et en français et numéro d'enregistrement algérien). Toutes ces contraintes sont omises par les responsables du ministère de la Santé, qui ne cessent d'avancer que «les programmes à l'importation des produits finis ont été tous signés. Il n'y a pas de raison qu'il y ait des ruptures». Ils omettent de préciser à quelle date ces programmes ont été justement délivrés, sachant que les procédures d'importation fixées par les cahiers des charges sont claires. L'obligation d'ouverture de lettres de crédit, le délai fixé pour faire les commandes, le contrôle des échantillons, le dédouanement et toutes autres procédures exigées par la loi font que le produit ne peut être sur le marché que dans les trois mois, voire plus, qui suivent la signature des programmes. Lesquels n'ont été signés par la direction de la pharmacie qu'en avril, mai, juin et juillet 2011, alors qu'habituellement, les procédures pour l'importation sont entamées dès le mois de décembre. Djamila Kourta 160 produits ont bénéficié de la levée de l'interdiction L'interdiction d'importation de certains médicaments constitue une des causes de ces ruptures. La décision a été prise sans assurer au préalable un dispositif réglementaire, en l'occurrence une structure de veille, pour assurer une disponibilité des matières premières chez les producteurs qui se sont engagés à fabriquer ces médicaments. Lors de notre enquête, nous avons constaté que certains produits sont en rupture de stock car des producteurs se sont tout simplement désengagés. Pourquoi l'autorité de santé n'a-t-elle pas sanctionné les contrevenants et cherché des moyens pour parer à ces ruptures ? Aucune évaluation n'a été faite depuis la première liste, en 2008, réactualisée en 2011. Le retard pris pour la publication de cette liste a sérieusement compliqué la situation. Jusqu'au mois de juin, les opérateurs de la pharmacie, y compris les importateurs, ignoraient quels étaient les nouveaux produits interdits à l'importation. Il leur était donc difficile de lancer des programmes d'approvisionnement à l'aveuglette. D'ailleurs, de nombreux fabricants se demandent sur quelles bases ces médicaments ne sont plus autorisés à l'importation et s'inquiètent de la détérioration du marché du médicament, fragilisé par des ruptures répétitives. Cette liste des médicaments interdits a été confectionnée sans mettre en place au préalable les mesures pour faire face à d'éventuels problèmes sur le terrain, tels que les ruptures de stocks. Elle compte 251 produits, toutes classes thérapeutiques confondues, et nombre d'entre eux sont actuellement en rupture, dont des génériques. La nouvelle liste a été finalement expurgée de plusieurs produits. Sur les 358 médicaments interdits à l'importation en 2008, 160 ont bénéficié de la levée de l'interdiction pour atteindre aujourd'hui seulement 251 médicaments. De nouvelles mesures ont été introduites dans l'arrêté de juin 2011. «Un médicament est interdit à l'importation lorsqu'il est fabriqué par au moins trois producteurs nationaux et couvre entièrement les besoins du pays. L'importation est autorisée à des tiers manquants lorsque la production nationale couvre le tiers ou les deux tiers des besoins.» Des mesures qui semblent être ignorées. Aucune évaluation n'a été entreprise pour justement situer la responsabilité de ces ruptures. Les produits cités dans l'échantillon, pourtant classés comme médicaments essentiels, dont certains ont été interdits à l'importation, ont fini par être ré-autorisés. Comment peut-on priver pendant des mois des Algériens de produits vitaux pour leur santé sans que les responsables de ces décisions ne soient jugés ? La politique du médicament menée jusque-là a malheureusement abouti à un échec. Et les malades sont les premières victimes. Djamila Kourta Délais pour l'importation d'un médicament L'importation des médicaments répond aux exigences d'un cahier des charges établi par le ministère de la Santé. Les conditions d'importation sont fixées et les procédures sont claires. La disponibilité des produits dépend donc du respect de ces procédures, à commencer par la signature des programmes, généralement en fin d'année (décembre). Les délais pour la préparation des commandes varient de 3 à 6 mois selon les produits. L'expédition, quant à elle, se fait en 10 à 15 jours et le dédouanement en 10 jours. Les produits sont alors soumis alors à vérification au Laboratoire national de contrôle des produits pharmaceutiques. Les médicaments sont libérés au bout de 15 jours, sans compter les délais du crédit documentaire. Le médicament ne peut être disponible sur le marché algérien que quatre mois ou plus à compter de la date de la signature des programmes. La majorité des produits en rupture souffrent de ce black-out imposé par le ministère de la Santé, où toute décision est centralisée au niveau du secrétaire général au lieu de la direction de la pharmacie. Djamila Kourta Lectures: