Mardi 13 Décembre 2011 In lanation.info Le monde est dangereux pour l'homme depuis que l'homme existe. Du Paléolithique à nos jours, les groupes humains sont en alerte et survivent par leur niveau de cohésion et leur capacité à produire les moyens de leur pérennité. Certains, après des dizaines de milliers d'années, semblent découvrir une vérité aussi antique que les sociétés humaines. Les relations internationales sont depuis des siècles fondées sur le rapport de forces qui n'est pas seulement militaire et économique. Il est aussi tributaire de l'adhésion de la population, des citoyens. L'Impérialisme est une réalité économique, politique, militaire. N'en doutons pas même si des jeunes, lassés d'une phraséologie trop systématique pour être honnête, sont enclins à y voir une vieillerie idéologique. Mais ce qui est certain est que l'impérialisme, la mondialisation des multinationales et des porte-avions, a de la ressource et sait s'adapter. Et, quand dans nos sociétés, les élites autoproclamées sont surtout soucieuses d'évacuer du champ politique le peuple et ses expressions représentatives, l'impérialisme et les sous-impérialismes découvrent qu'il y a concurrence en matière d'offres de service pour la fonction de gardiennage. La Libye nous en a offert une illustration en cinémascope avec des hommes qui ont servi Kadhafi pendant des décennies, avant de se retourner contre lui et prétendre à l'emploi en CDD1 de gardien d'un petit pan du limes. Analyse correcte, réponse erronée Louisa Hanoune, par exemple, s'abreuve très visiblement à de bonnes lectures, élabore une analyse correcte et aboutit à des conclusions-recommandations pour la perpétuation du statuquo. Ce qui est une manière de stériliser radicalement cette analyse, de la vider de toute substance et de toute originalité. L'Algérie ne manque pas de veilleurs. Ils sont là, depuis des décennies, à incarner l'Algérie, son peuple, son histoire et son avenir. Ces veilleurs exclusifs ont le souci permanent d'éviter que ce peuple « ingrat » qui dépare le paysage ne remette en cause l'ordre établi. Depuis que le citoyen et les sociétés sont mis en marge de leur destin, les comités de veille existent : Pour gérer le champ politique, décider de la fortune et de l'infortune des entrepreneurs privés, et soustraire l'usage de la rente aux regards de la « populace ». Pourquoi créer encore un autre « comité de veille » alors que ceux qui existent déjà sont toujours bien présents. Ils managent, sur des registres divers, nos partis et balisent les « lois de la réforme » pour conserver intacte une organisation d'un autre âge ? En quoi ce comité de veille « militant » et patriotique serait-il plus qualifié que le comité de veille lunaire qui a pu observer un impossible croissant annonciateur de l'Aïd ? Il reste le thème éternel du complot. Une demi-vérité qui ne vaut que par le constat brut. Parler politique et prévenir la paranoïa L'empire complote, les sous-impérialismes complotent et nous intriguons à la mesure de nos moyens. Mais, dans cette catégorie, nous sommes imbattables en termes de constance ou d'immobilité. C'est le sempiternel discours officiel de veilleurs qui nous représente toujours au milieu d'un gué en eaux troubles, et invariablement entourés d'ennemis pernicieux. On peut concéder, en adaptant la formulation, que cela n'a rien de faux. L'ennui avec les veilleurs est que de ce constat alarmant, ils font un argument de pouvoir, un argument pour perpétuer un désordre structurel invalidant. La Syrie est menacée par les impérialistes ? C'est vrai depuis longtemps… Faut-il pour autant défendre sans nuance les « veilleurs » qui sont au pouvoir à Damas et l'exercent avec la brutalité de nervis de quartiers interlopes ? Il se pose pour l'Algérie, trompeusement « paisible » en ces temps de mouvements des peuples et de positionnements impérialistes dynamiques, des questions graves. Que nous devons traiter par la politique et non par la paranoïa. Comment éviter la recolonisation, la gestion directe de nos réserves d'hydrocarbures, le contrôle de notre territoire et la subordination du pays à des intérêts qui ne sont pas les siens ? Aucun « comité de veille », à moins qu'il ne soit, sous une forme ou une autre, l'émanation du « Centre » mondialisé, n'est en mesure de répondre valablement à ces interrogations critiques. Les questions ne sont pourtant pas très nombreuses. La seule vraie réponse, celle qui conditionne toutes les autres, est celle de la cohésion nationale fondée sur la citoyenneté et les libertés. Toutes les libertés. Sans aucune concession à des comités de veille. La plus imprenable des citadelles et l'unique système de défense qui vaille, ce sont les « citoyens » qui peuvent l'édifier et en assurer l'efficacité dissuasive. Les événements qui se déroulent dans tout l'arc arabe, prélude à une confrontation d'une autre ampleur, démontrent s'il en était besoin que l'ère des autoritarismes est achevée. Y compris cet autoritarisme intellectuel qui consiste à décider ce qui est le mieux pour les Algériens sans se donner les moyens démocratiques de les entendre. La menace impérialiste est réelle. Mais on se fourvoie si on n'identifie pas clairement que le maintien en survie artificielle de systèmes hérités d'une période révolue constitue bien la menace la plus imminente. La légitimité « révolutionnaire » est forclose et ceux qui s'en réclament sont comparables à ces habitants des cavernes qui, ayant dormi trois siècles, se réveillent avec une monnaie qui n'a plus cours depuis longtemps. Tourner en rond dans la nuit De passage en Tunisie, Ghazi Hidouci a eu un lapsus maghrébin en se disant « heureux d'être en Algérie ». Il a corrigé avec un sourire dont nous avons tous saisi la triste ironie. L'ancien ministre de l'économie observe qu'en Tunisie, un changement de régime se passe correctement, pacifiquement mais sérieusement. Et qu'un processus lent se met en place où les gens apprennent à faire de la politique. Il invite donc les Algériens à « lire » ce qui se passe en Tunisie, à regarder les débats sur les télévisions tunisiennes et encore mieux à se rendre en Tunisie. C'est d'autant plus nécessaire que la situation algérienne est marquée par un immobilisme complet sur fond de quasi-disparition de l'Etat. Sur des constats qui pourraient être clairement approuvés par Madame Hanoune, Ghazi Hidouci tire des conclusions très différentes. « Nous sommes au milieu du gouffre. L'Algérie est entièrement visée par les pays de l'OTAN, on lui demande des comptes, on contrôle sa police directement, on lui demande de prouver qu'elle lutte contre le terrorisme, on lui demande de se prononcer dans un sens ou un autre, en Libye, en Syrie… Demain, on le lui demandera pour l'Iran, et Israël… Nous avons un pouvoir qui a disparu, … on voit la disparition de l'Etat… Si vous êtes visés par l'OTAN et que vous n'avez pas d'Etat, c'est une hypothèse de cauchemar que nous vivons… ». Pourquoi devrions-nous regarder vers la Tunisie, changer de régime et cesser de ressasser le discours anti-islamiste que nous servons depuis vingt ans avec lequel les « alliés » occidentaux prennent des distances ? Car dans une réalité où les contestations s'expriment par la violence, il est « facile de créer une situation libyenne et syrienne en Algérie ». Et, comme pour répondre à l'inanité d'un comité de veille de super-patriotes, Hidouci souligne que le grand problème de l'Algérie n'est pas seulement dans un pouvoir délabré, mais dans le fait qu'elle ne « dispose plus de cadres algériens pour l'empêcher et faire face aux situations dangereuses ». Conclusion sans appel : sans peuple de citoyens, pas de veille ni de comité qui tienne. Le titre d'un film Guy Debord nous situe bien sur l'échiquier d'un monde décidemment dangereux : « In girum imus nocte et consumimur igni ». « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu ». Il suffit seulement de remplacer « feu » par « pétrole »…Notes 1. CDD : Contrat à Durée Déterminée Lectures: