Salima Ghezali Mardi 20 Décembre 2011 Ni le sucre, ni l'huile ni le blé, ni la pomme de terre, ni les viandes rouges ou blanches ni même le lait ou la tomate industrielle, l'état n'est le maitre d'aucun de ces produits de première nécessité. A chaque Ramadan, comme à chaque crise depuis cinquante ans, sous le « socialisme » ou sous les auspices de « l'économie de marché », sous la férule du parti unique ou du multipartisme, par temps de guerre au terrorisme ou par temps de réconciliation, l'état promet de régler les problèmes de l'approvisionnement des ménages puis témoigne de son impuissance face au pouvoir du chantage alimentaire. L'état n'est pas non plus le maitre des réseaux d'attribution de logements sociaux, des terrains constructibles, des zones forestières, des parcs naturels, du domaine maritime, du sable des rivières ou des plages. L'état n'est pas le maitre des circuits de l'Ansej ni de ceux du pré-emploi ou du filet social. L'état n'est pas en mesure d'assurer le recrutement d'un quota acceptable de populations locales sur les sites industriels. L'état ne maitrise pas les filières de l'approvisionnement en médicaments ni la gestion des hôpitaux. L'état n'est pas responsable de la qualité du système éducatif et des universités, il n'arrive pas à mettre fin aux réseaux de drogue ni à ceux de la prostitution, de la pédophilie et autres trafics d'humains. L'état n'a même pas le contrôle de l'administration où prolifèrent toutes sortes de malversations et d'abus et pas davantage le contrôle de l'appareil judiciaire dont se plaignent les membres autant que les justiciables. L'état ne peut garantir ni les délais de livraison des grands travaux ni le respect de la qualité ou des coûts de réalisation. Il ne peut assurer une transmission honorable de l'histoire nationale et pas davantage défendre la mémoire des authentiques moudjahids ni désigner les faussaires à l'opinion publique. L'état ne peut garantir l'accès aux sources de l'information, ni fournir une information crédible, ni un service public de qualité, ni une presse indépendante, ni la transparence dans l'octroi de la publicité ni une aide aux publications d'intérêt public, ni un organisme de justification de la diffusion, ni des organisations syndicales et des corporations fortes et organisées. L'état ne peut garantir l'hygiène publique ni un ramassage correct des ordures. L'état ne peut pas empêcher le viol de la constitution ni le parjure, il ne peut garantir la sécurité publique, ni éviter les bavures à répétition, ni procéder au désarmement des milices. L'état ne peut pas en finir avec les enlèvements de citoyens, les émeutes au quotidien, les routes coupées, les incendies volontaires, les affrontements inter-quartiers, le recours au droit coutumier dans des régions réputées être le fief de quelques barons notoires, il ne peut pas davantage répondre de l'intégrité de ses représentants ni juger tous ceux qui ont violé la loi. L'état ne peut pas garantir la durée de vie de la pelouse des stades ni empêcher la diffusion par la radio publique des chansons à la gloire des fumigènes dont il a décrété l'interdiction sans arriver à la faire appliquer. L'état ne peut ni réguler le marché formel ni combattre l'informel. Ni adopter un code des marchés publics qui réponde aux critères d'efficacité ni répondre de l'honnêteté du grès à grès, ni protéger les citoyens prêts à s'impliquer dans la lutte contre la corruption ni rendre justice à ceux injustement incarcérés dans des règlements de compte entre clans, ou à cause de la simple incompétence d'un enquêteur, d'un procureur, d'un avocat ou d'un juge. Pour faire bref, l'état a comme un problème de pouvoir. Alors l'état fait des réformes. Et au lieu d'amener les maitres du sucre, de l'huile, des viandes, des quartiers sensibles, du logement social, des procès, des hôpitaux, des médicaments, des rumeurs, des fumigènes, de la publicité, des lois sur papier et des lois qui sont appliquées, des fans-club et des commissions occultes, des pesanteurs administratives et du coup de téléphone à se constituer ouvertement en cartels politico-économique et à négocier les règles du jeu pour un nouveau départ, il continue juste à faire bavarder, dans un simulacre de vie institutionnelle, leurs hommes de paille. Comment un état qui n'arrive à mettre fin à aucun de ses dysfonctionnements peut-il organiser des élections qui répondent à des normes respectables ? Comment peut-il se mettre à hauteur des critères d'une observation par la communauté internationale, à l'heure où celle-ci est visiblement engagée dans un processus de recomposition complexe des façades de ses clients les plus assidus ? Comment peut-il surtout faire accepter à son système de clientèles, qui constituent le pouvoir, de respecter les règles du jeu cette fois ? A moins que l'état ne soit plus maitre de l'agenda du pouvoir. Le rendez-vous raté avec les foules en colère programmé dans le cadre du printemps arabe lui a fait remettre la gestion directe à des parties intéressées par une passation de consignes qui réduise la part de brouillard, qui a jusqu'ici constitué l'essentiel de la marge de manœuvre, des deux conciergeries qui ont la garde des clés de la république.