Salima Ghezali Mardi 3 Janvier 2012 L'année 2011 s'est terminée sur une pétition en faveur du général Nezzar et 2012 s'ouvre sur une bouffonnerie de Bouguerra Soltani qui prétend sortir de l'alliance présidentielle tout en maintenant ses ministres au gouvernement. Rien ne saurait mieux illustrer l'étouffement du politique, tel qu'il se décline entre manœuvres clientélistes et diversion pseudo-politicienne. Il n'y a pas plus de politique (même politicienne) dans la démarche de Bouguerra Soltani qu'il n' ya de souveraineté dans celle des signataires de la pétition. Mais il ya dans ces deux gestes tout le malheur, toute l'indigence, tout le mépris qui guident l'action publique depuis des décennies. Cet étouffement du politique, qui s'inscrit en droite ligne de la série de coups de forces qui ont marqué la prise du pouvoir dès l'indépendance nationale, est aujourd'hui le principal obstacle à la formulation de réponses susceptibles de sortir le pays de l'ornière. Car la scène publique et la vie institutionnelle ne se sont pas constituées sur la base du respect d'un droit au dessus de tous et du libre choix citoyen, mais de l'allégeance clientéliste qui se met au dessus des lois. Y compris celles du bon sens et de la bienséance. L'interpellation du général Nezzar en Suisse, l'action en faveur de son jugement à l'étranger, la pétition contre cette action et l'inscription de cette affaire dans le cadre plus global de la crise nationale, mettent le pouvoir dans une impasse. Une situation dont il ne peut- en aucun cas- sortir indemne sans gravement mettre en péril ce qui reste de souveraineté et de cohésion nationales. Les choses sont rarement aussi claires en politique qu'elles le sont aujourd'hui pour le Pouvoir algérien. A l'instar des autres régimes emportés dans la spirale du « Printemps arabe », la bonne réponse à la crise ne peut être ni de ruse ni de violence. Elle ne peut-être que de passation de pouvoirs : A l'interne, pour une véritable transition démocratique en rupture avec le système en place. A l'externe, pour une mise sous tutelle plus ou moins déguisée, plus ou moins chaotique. Dans le cas où le Pouvoir accepte de laisser faire la justice suisse, et où il lui fournit les informations nécessaires à son action, tout en continuant à recueillir des soutiens extérieurs à ses « réformes », en espérant gagner du temps et éloigner la menace , il risque d'ouvrir trois brèches : La première dans sa cohésion interne, qui existe déjà, mais qui sera aggravée par le caractère manœuvrier de l'opération consistant à se débarrasser du « soldat Khaled » en faisant semblant de le soutenir pour sauver le reste du régime. La deuxième brèche réside dans la relation de soumission à la justice internationale qui n'a aucune raison de s'arrêter une fois qu'elle a commencé à prendre en charge les affaires laissées en suspens par une justice nationale n'ayant pas la crédibilité nécessaire pour satisfaire les victimes et les critères universels en la matière. Si en l'absence de justice nationale toute justice vaut mieux que l'injustice, il n'est pas certain qu'un régime, qui préfère confier à la justice internationale le soin de régler des questions -qu'il n'a pas eu la force-ou le courage- de régler de manière souveraine et dans le respect du droit national et international- soit, en mesure d'assurer la continuité de l'Etat à un moment aussi sensible. La troisième est relative au volet « réformes » et concerne les futures élections, préparées dans le « splendide isolement » d'une vision bureaucratique et sécuritaire qui mise sur l'appui d'une « observation internationale », pour crédibiliser une opération dont la population se désintéresse totalement. Pour peu que cette observation réponde aux critères internationaux en vigueur, et voilà la contestation permanente des Algériens, contre leur système de pouvoir, qui trouve dans cette « observation » les témoins qui lui manquent si cruellement au quotidien. C'est là que le IRHAL !, différé tout au long de l'année 2011, trouvera des conditions favorables à son éclosion. Pour le meilleur ou pour le pire. Dans le deuxième cas de figure, le Pouvoir tente de s'opposer (discrètement) au travail de la justice suisse et il se retrouve (tout aussi discrètement) dans la situation objective du Soudan, encore plus affaibli à l'extérieur qu'il ne l'est aujourd'hui, et contraint à accepter, les unes après les autres, des concessions majeures. Ce qui ne le mettra pas pour autant à l'abri d'une réactivation des poursuites avec l'ouverture de nouveaux fronts et le dépôt d'autres plaintes visant d'autres personnes. Peuvent être concernés les militaires autant que les civils, des islamistes autant que des anti-islamistes. Il ne manque ni les témoins, ni les trahisons, ni les preuves. Et encore moins les crimes. Il suffira d'ouvrir la boite de Pandore. Dans ce cas, les choses peuvent évoluer assez vite dans le sens du chaos dans lequel certains voient la seule alternative à l'immobilisme actuel. La « justice » pourra alors prendre mille formes incontrôlables, dont celle de l'exécution de Kadhafi. Une sauvagerie dont n'ont été victimes jusqu'ici que de pauvres Algériens que nuls pétitionnaires et surtout nul Etat n'est venu protéger à temps.