Dans un entretien avec El Watan en date du 10/01/2012, Sid Ahmed Ghozali s'est livré à un exercice politique pour le moins surprenant, déroutant, et même extravagant. A la lecture de cet entretien, on découvre quelques perles politiciennes, surprenantes en apparence, mais d'une étouffante démagogie et d'une incohérence sidérante, dès qu'on gratte un peu et qu'on retire le vernis. Acteur de premier plan, on peut le lui accorder pour ne pas froisser un ego surdimensionné, Ghozali cherche en fait, en feignant déconstruire le discours officiel sur l'arrêt du processus démocratique, à rafistoler une image politique par trop associée à celles de ceux que l'on surnomme «les Janvieristes», à présent infréquentables, comportant peut-être même des risques à vouloir s'en réclamer ! A l'exemple du parrain symbolique Khaled Nezzar, auditionné suite à une plainte pour crime contre l'humanité, par une procureure suisse. Ghozali pense qu'il suffit d'un petit tour de prestidigitation politique, tel un sophiste grec, pour redorer un blason terni par un bilan humain, politique, économique et social des plus désastreux. Venons-en aux faits et énumérons en les commentant quelques-uns des extraits de l'entretien parmi les plus significatifs. 1- «,,,j'ai procédé à une analyse en disant que la violence que nous vivions était le résultat d'une situation de violence qui avait commencé à se développer bien avant, dès le lendemain de la disparition de Boumediène», Exit donc le coup de force constitutionnel contre l'Assemblée constituante, le coup d'état de juin1965, la répression qui s'est abattu sur FFS et les militants de gauche ou berbéristes, Exit aussi la torture, les assassinats politiques, les emprisonnement sans aucune forme de procès, Bref, Ghozali revisite l'histoire à sa manière, juste pour nous laisser suggérer que le 11 janvier 92 n'est finalement qu'une petite convulsion dans notre histoire politique, un simple arrêt du processus électoral. L'argument est de dire que la violence a précédé cette date fatidique. Seulement, l'ancien chef de gouvernement se moque de la rigueur et de la précision qui veut que la violence politique constitutive d'un système de pouvoir autoritaire et répressif n'est pas de même amplitude meurtrière que la guerre contre les civils menée après le coup d'état de janvier 92 et qui, toute proportion gardée, est à l'échelle de la guerre coloniale. 2 – «Il y a eu, entre fin 1990 et début 1991, des tractations secrètes et des accords conclus entre le gouvernement et le FIS pour que les élections législatives, avancées à juin 1991, ne donnent pas un vainqueur et puis prendraient le FFS comme arbitre» Il y a un adage qui dit que «les demi-vérités sont les plus beaux mensonges», Ghozali excelle en la matière! Ghozali, on le comprend, fait l'impasse sur un événement qui a précédé les élections annulées de juin 91: la grève insurrectionnelle du FIS à l'instigation précisément de «ces gens à l'intérieur de l'Armée» auxquels il fait allusion dans l'entretien et qui paniquaient à l'idée de voir les réformes démocratiques du gouvernement Hamrouche aboutir, Le départ du gouvernement Hamrouche était la première séquence du coup d'Etat du 11 janvier 92, L'instrumentalisation du FIS contre le processus démocratique a débuté avec cette grève, qui a pourtant échoué, et a trouvé son point d'orgue avec un acte politique que Mr Ghozali omet, comme à son habitude, et qui a été rappelé, il y a quelques jours, par un de ces compères un peu plus conséquent, Ali Haroun : la majorité absolue obtenue par le FIS avec moins de 23% d'électeurs n'a été rendue possible qu'avec un mode de scrutin et un découpage électoral « revus et corrigés » dans le plus grand secret par son gouvernement. En rejetant la proposition de Hocine Ait Ahmed, d'un mode scrutin de liste par wilaya, qui aurait garanti une représentation pluraliste de l'assemblée, Ghozali et ses parrains ont ouvert la voie au pire des engrenages. Et tout porte à croire que la victoire des islamistes du Fis a été préméditée selon une stratégie des plus pervers et visait à vite refermer la brèche démocratique ouverte à la faveur des événements d'octobre 1988. 3 – «Sur l'analyse de l'angle du processus, je n'ai pas à changer un iota. Sur l'angle de la santé ou la validité de la décision je n'ai pas à changer. Et ce qui est changé dans mon approche, c'est tout simplement ce qu'on a fait et vu durant vingt ans. Et qui m'a conduit à dire qu'en fin de compte, cette opération a été un coup d'épée dans l'eau» Un «coup d'épée dans l'eau» qui a causé plus de 250000 morts, des milliers de disparus, d'exécutions extrajudiciaires, de torture systématisée! Ghozali ne mesure pas le poids des mots. Appeler «coup d'épée dans l'eau», une grave décision politique avec de telles conséquences relève de la légèreté intellectuelle et de l'indigence politique. C'est souvent le cas hélas avec ces «commis de l'Etat», ces technocrates longtemps enfermés dans les bulles du système et qui, lâchés dans l'arène, pensent se découvrir une vocation politique en étant dépourvus du moindre sentiment humain. En définitive, dans cet exercice de style, Ghozali cherche, à l'instar de beaucoup de ceux qui ont soutenu l'arrêt du processus démocratique, à mettre à son actif le «meilleur», empêcher l'arrivée du Fis au pouvoir, et de se dédouaner du pire, les vingt années de violence et de terrorisme imposées au peuple Algérien. Trop facile! Et surtout, puisqu'il en a fait référence, pas du tout conforme à «la dialectique marxiste» ou tout simplement au principe de la relation de cause à effet. 4 – «Le FFS, je le considère comme un parti démocratique et je suis sûr qu'Aït Ahmed, en son for intérieur, ne voyait pas l'arrivée du FIS au pouvoir comme une bonne chose. Mais comme il savait que celui-ci n'allait pas passer, il s'est donné le beau rôle de défenseur de la démocratie». Extraordinaire aveu de malhonnête intellectuelle et de mauvaise foi politique. Inutile de reproduire ici les analyses et les positions du Président du FFS, connues de tous et reconnues par tous y compris ces adversaires comme étant justes. Les propos de Ghozali sont la quintessence de ce que représente l'éthique en politique pour un personnel dirigeant, ancien ou nouveau, soigneusement sélectionné par les officines du pouvoir pour leur aptitude à ne pas s'embarrasser de scrupules et à faire preuve de ceux qu'on appelle dans le langage populaire : « Tqesdir » ! Inutile de s'étaler davantage, ces quelques «joyaux» politiques, suffisent à démonter un raisonnement pollué de contre-vérités, d'approximations, d'omissions volontaire et de mauvaise foi. Dont l'objectif, non avoué, est de laisser penser à un authentique exercice d'autocritique alors qu'il sert de camouflage à une opération, certainement pas solitaire, de rédemption politique et d'entretien de la confusion politique. Samir Bouakouir, Représentant du FFS à l'Etranger