C'est un véritable procès de l'Algérie qui est en train de se tenir à la 17e Chambre correctionnelle de Paris. Le procès en diffamation intenté par Khaled Nezzar à Habib Souaïdia se transforme peu à peu en procès politique contre l'Etat algérien entre l'arrêt du processus électoral de 1991 et la sortie du livre La sale guerre. La deuxième journée du procès a vu l'entrée en scène de deux anciens hauts responsables, le Chef du gouvernement sous Boudiaf, Sid Ahmed Ghozali, et l'ex-compagnon du général Nezzar au HCE, Ali Haroun. SAG s'est présenté peu avant 10h devant le président de la cour pour dédouaner «l'armée et Nezzar des accusations portées contre eux par Habib Souaïdia». M.Ghozali, qui a affirmé qu'il n'est pas venu témoigner contre Souaïdia, qualifié de «simple instrument dans un grand complot qui le dépasse», a souligné qu'il a lu attentivement son livre et sur les 200 pages de l'essai, il n'en a retenu que 20 qui attaquaient le général Nezzar. «Le reste n'était que des considérations politiques dictées ailleurs pour favoriser la théorie du ‘‘qui tue qui'' ?». Appelé à s'expliquer par l'avocat de la défense, Me Comte, sur les quatre décrets qu'il avait signés en tant que Chef du gouvernement et qui, selon lui, «ouvraient la voie à l'arbitraire avec notamment la création de centre d'internement dans le Sud, les assignations à résidence, la création de l'état d'urgence...et les arrestations arbitraires», Ghozali a répondu avec calme que «c'est une décision politique qui s'est inscrite en droite ligne avec la Constitution et que ce ne sont pas des décrets arbitraires». L'ancien Premier ministre a évoqué l'épisode de sa rencontre avec les chouyoukh du FIS où il a leur précisé qu'il n'était pas là pour détruire le FIS, mais s'ils continuaient à alimenter la violence et l'intégrisme, leur parti sera dissous. La défense de Souaïdia, habilement dirigée par Me Comte, demande alors à SAG, devant l'étonnement général, ce qu'il pense du fait que la lettre de démission de Chadli était rédigée par le général Touati et Ali Haroun. Surpris par la question, Ghozali précise qu'il était un commis de l'Etat et qu'il lui arrivait de rédiger des lettres à Chadli et à Boumediene. Me Comte tente alors de jouer sur le passé de Ghozali et de prouver qu'il avait des divergences avec le pouvoir. Maître Comte: «l'Etat algérien ne repecte pas les lois. Cette déclaration vous l'avez faite dans un quotidien algérois, vous maintenez votre déclaration». Ghozali: « C'est une appréciation faite sur la base d'une position politique, mais je reste convaincu que depuis 1999 il y a une dérive de mon pays.» Acculé par les questions dérangeantes, Ghozali perd patience et demande s'il était là en tant que témoin ou accusé. C'est alors que Souaïdia, déterminé, se lève et interroge l'ex-Chef du gouvernement. «Où était votre ministre de l'Intérieur?» Ghozali répond avec un calme exemplaire. «C'était Abdelatif Rahal qui était mon ministre de l'Intérieur, un vrai diplomate qui avait derrière lui une grande carrière.» Non content de la réponse, Souaïdia poursuit en demandant de citer son parcours. Intervient alors la défense de Nezzar qui précise que ce n'est pas l'objet du procès, invitant Ghozali à conclure son témoignage. L'ancien membre du HCE, M.Ali Haroun arrive pour apporter son soutien à Nezzar: «C'est un procès d'abord pour défendre l'honneur de l'Armée et Nezzar en tant que personne et en tant qu'ancien chef de l'institution de l'armée, qui est de surcroît la colonne vertébrale du pays. Donc, instinctivement, c'est le pays qui est défendu.» Avant d'entrer dans le vif du sujet, Haroun précise qu'il était opposé au système depuis 1963 jusqu'à 1991. L'ancien avocat poursuit sa critique en dénonçant «le charlatanisme politico-religieux du FIS». L'ex-ministre des Droits de l'Homme sous le gouvernement Ghozali a tenté de prendre ses distances par rapport aux centres d'internement du Sud. Les avocats de la défense ont fini d'enfoncer le clou en lui faisant dire qu'il avait libéré les 4500 détenus islamistes dont certains étaient venus le voir pour le remercier. L'intervention la plus remarquée, mais aussi la plus controversée, est venue de Sifaoui qui a demandé qu'on lui explique «comment un réfugié politique se retrouve devant le tribunal pour défendre un général». Il a tenu à rendre «hommage au général Nezzar pour avoir arrêté le processus électoral de 1991 et d'avoir évité à l'Algérie un autre Afghanistan». Sifaoui, ancien journaliste, a tenté tout au long de son intervention de discréditer Souaïdia en le qualifiant de «mythomane professionnel» et Gèze de «manipulateur». Il a tenté de se laver de toutes «les accusations de collaboration avec les services aussi bien algériens qu'étrangers». Il explique, avec force détails, l'épisode où «Souaïdia a rencontré en sa présence un agent de la DST qui lui avait proposé de travailler pour ses services contre un appartement et de l'argent». Souaïdia se lève pour démentir toutes ces accusations en s'interrogeant: «Comment le colonel Philippe connaissait-il le numéro de portable de Sifaoui?» Interrogé au sujet du journaliste exilé, l'historien algérien Mohamed Harbi précise qu' «il fallait être naïf pour croire que Sifaoui était journaliste». Ce dernier surgit du fond de la salle et demande à prouver ses accusations. Mohamed Harbi qui s'exprime en défaveur du général Khaled Nezzar précise à la cour qu' «il y a une militarisation du politique depuis 56, date de l'assassinat d'un dirigeant politique en l'occurrence Abane Ramdane». Harbi n'hésite pas à dire que «la presse demeure le secteur le plus infiltré par la SM et qu'en l'occurrence, elle demeure le meilleur allié de l'armée». Harbi termine son témoignage en précisant qu'il a été le dernier exilé à recevoir son passeport. Le procès se poursuivra aujourd'hui avec de nouveaux témoignages aussi gênants qu'enrichissants pour l'Algérie.