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Deux fois 25 ans
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 13 - 03 - 2012

Deux fois 25 ans, c'est-à-dire le temps qu'il faut pour amener à l'âge adulte deux générations : voilà l'âge de l'Algérie « indépendante » et de son système politique despotique façonné par Ben Bella et Boumediene et transmis par eux en héritage à la caste des officiers supérieurs de l'ANP.
Je revois encore, aussi clairement que si c'était hier, les tracts, largués par un avion militaire au-dessus du petit village colonial où résidait ma famille, annonçant le cessez-le-feu. J'avais 8 ans et fréquentais l'école depuis trois ans déjà. Ma grand-mère me demanda de traduire ce qui était écrit sur ces tracts, dont j'avais ramené une pleine poignée à la maison. Puis ce fut la folle ivresse du 5 juillet 1962, les jeunes gens qui dansaient sur les toits des autocars de la SATAC et les foules en délire qui courraient dans tous les sens, criant à en perdre haleine : « Tahiya l Djazayer! Tahiya l Djazayer!»
Le peuple algérien savoura longtemps sa victoire sur la caste des colons européens arrogants et brutaux. Il se laissa submerger par le profond bonheur et la fierté que procurent la liberté et la dignité recouvrées après 132 ans d'humiliation et de brimades. Un vaste mouvement d'ascension sociale eut également lieu à travers tout le pays : occupation des logements, terres, magasins et emplois dans l'administration abandonnés par les Européens. La France était partie, le drapeau vert et blanc frappé du croissant et de l'étoile rouges flottait au fronton des mairies, les enfants étaient à l'école et le soleil brillait en permanence dans le magnifique ciel au-dessus de la généreuse terre d'Algérie. Ben Bella et Boumediene pouvaient se permettre d'emprisonner ou de faire assassiner les chefs historiques du FLN et se lancer dans les projets les plus extravagants, c'était à peine si le petit peuple y prêtait attention. La vie était belle et ce n'étaient pas les querelles des politiciens et leurs luttes pour le koursi qui allaient gâcher notre bonheur!
Cela dura près de 25 ans; 25 années d'insouciance et de farniente…
Puis le ciel s'assombrit brusquement et nous fûmes soudain confrontés à une nouvelle réalité : les prix du pétrole venaient de s'effondrer et notre pays croulait sous les dettes. Il nous apparut alors clairement que nous avions été bernés. Pendant qu'on nous abreuvait de discours chantant les vertus du socialisme et nous demandant de supporter les effets négatifs de la politique d'austérité afin d'édifier une économie moderne, toute une faune d'opportunistes bien placés s'activait à amasser des fortunes colossales en se servant dans la caisse commune. Nous comprîmes qu'une nouvelle caste avait profité de notre insouciance pour consolider son pouvoir et installer sa domination, remplaçant ainsi la caste des anciens colons européens.
L'explosion d'octobre 88 mit définitivement fin à toutes nos illusions. Les balles des soldats de l'ANP qui faucheront des centaines de jeunes manifestants désarmés scelleront le divorce entre gouvernants et gouvernés. La première génération de l'indépendance entra dans l'âge adulte alors que la torture – jadis associée dans l'inconscient collectif à l'image du para français – fut pratiquée sur elle à grande échelle par l'armée qui était censée la protéger. La haine, qu'on croyait oubliée à tout jamais, resurgit.
La deuxième étape ne pouvait donc se dérouler que sous le signe de cette haine, que la caste au pouvoir se plaisait à attiser en étalant ses richesses mal acquises au grand jour. Le FIS fut en grande partie l'enfant de cette haine de classe, la haine de tous ceux qui avaient cru en un avenir meilleur pour leurs enfants, envoyés à l'école au prix de maints sacrifices et à qui on demandait maintenant de se débrouiller tous seuls dans un pays que la fin de l'Etat-Providence avait livré à toute une faune d'escrocs et de bandits sans foi ni loi. Comment expliquer autrement le déchainement de violence que connut notre pays après le coup d'Etat de janvier 92?
25 ans d'insouciance, suivis de 25 ans de haine et de violence : voilà ce que fut pour l'immense majorité des Algériens l'histoire de l'Algérie « indépendante ». L'insouciance du peuple permit aux imposteurs d'installer leur domination totale sur le pays en toute tranquillité et la violence détruisit tous les liens sociaux et toutes les valeurs qui avaient permis à la société algérienne de résister à l'occupation coloniale pendant 132 longue années. Notre pays s'apprête à entamer la troisième étape de son parcours. Une troisième génération d'Algériens va voir le jour et grandir dans un pays qui a perdu tous ses repères et toutes ses valeurs. Les imposteurs sont toujours là, plus arrogants que jamais.
Il est grand temps pour les hommes et les femmes de bonne volonté, tous ceux et toutes celles qui ont l'Algérie au cœur et qui ont mal de la voir s'avilir et s'enfoncer chaque jour un peu plus, de s'unir afin de chasser les imposteurs et redonner confiance et espoir à un peuple qui a oublié d'où il vient et qui ne sait plus où il veut aller.


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