Chroniques de la faim, de la folie et de la dignité. Arfiya, gardienne de la mémoire est une ombre qui dérange, qui titille la conscience et interroge le passé et les hommes. Alf Tahiya Li Arfiya est une traduction de la pièce Mille Hourras pour une gueuse, seule œuvre dramatique de Mohammed Dib, écrite en 1980, et qui est une reprise de son roman, la Danse du roi (1968). Mise en scène par Missoum Laroussi, Alf Tahiya li Arfiya qui emprunte à la tragédie, à la comédie et même à l'épopée certaines de ces caractéristiques, est l'histoire d'Arfiya, une femme hantée par son expérience de la guerre. Idéaliste, possédée par un passé qu'elle n'arrive pas à oublier, habitée par les ombres du passé, Arfiya erre – avec un homme qui voit en elle la mère et la compagne – avec les mots comme “butin de guerre”. Cette femme, fragile et forte à la fois, considère que la paix retrouvée à l'Indépendance n'est en fait que temporaire, qu'elle est inachevée et qu'il faut rester vigilants et garder les yeux grands ouverts. Mais Arfiya ne parvient à se projeter dans l'avenir. Elle n'a que ce passé douloureux et un présent qui la contraint à vivre en marginale, à errer dans la ville et à déambuler dans les rues à la recherche de quelque chose qu'elle ne parvient à concevoir : la paix. Cette paix lui permettrait de se projeter dans l'avenir mais elle est inexistante dans le cœur et l'esprit de cette femme à qui il ne reste que la lucidité des fous et la folie des sages. Arfiya a tout perdu, sauf son courage, mais elle semble se battre contre des moulins à vent, comme Don Quichotte, car son discours est rejeté par son microcosme social, qui semble être une décharge publique. Dans Alf Tahiya li Arfiya, on renoue avec un théâtre populaire qui nous replace dans un vécu et un univers qu'on connaît bien, avec des personnages qui nous ressemblent dans leurs rêves et aspirations, grandeurs et bassesses. Au gré des pérégrinations et des tirades, la pièce présente une réflexion édifiante sur le long combat pour la dignité. Elle passe, toutefois, en revue, l'épreuve de la guerre, la misère d'un peuple, sa lutte pour la liberté, et puis cette liberté retrouvée mais qui contraint ses détenteurs à la garder, la préserver et surtout se remettre régulièrement en question pour ne pas la perdre. Alf Tahiya li Arfiya, qui propose un théâtre dans le théâtre, est un texte très puissant, tellement puissant que le metteur en scène a parfois oublié d'y mettre son grain de sel. La pièce qui traite d'un drame humain, universel, rassemble un grand nombre des spécificités de l'œuvre de Mohammed Dib : la misère, la faim, la guerre… la place de l'homme dans ce monde. De plus, le texte charge quelque peu les intellectuels et s'interroge sur leur place dans la société, tout en les jugeant parfois sévèrement. Loin de la société sur laquelle ils écrivent avec peu de conscience morale, les écrivains dans leur course pour la notoriété et la reconnaissance, écrivent sur des choses qu'ils ignorent, comme semble nous dire la scène de la rencontre entre Arfiya et l'écrivain Wassim qui se dit ami du président de la République. Alf Tahiya li Arfiya a été campée par une pléiade de comédiens, mais Warda Saïm avait la classe des tragédiennes dans son rôle d'Arfiya (un prénom lourd de sens. Arfiya vient de arf, le singulier de araf, qui veut dire us et coutumes) qu'elle a assimilé, dans le sens de ne faire qu'un avec son personnage. La pièce dont la scénographie a été signé Abdelhalim Rahmouni (qui a proposé un décor flexible, un jeu de lumière très au point) a proposé un jeu à l'horizontale est une réflexion stimulante sur l'homme et les valeurs humaines, sans moralisme aucun et sans aucune prétention, sinon de nous divertir tout en incitant à réfléchir.