Rédaction en ligne mercredi 18 juillet 2012, 19:05 Pour Thomas Pierret, spécialiste du Moyen-Orient chargé de cours à l'Université d'Edimbourg, l'attentat d'aujourd'hui contre le bâtiment de la sécurité nationale à Damas pourrait avoir un grand impact sur la suite des événements dans le conflit syrien. Entretien. Depuis le début des révoltes, les observateurs parlent d'une odeur de fin de régime. Compte tenu de l'attentat d'aujourd'hui qui a attaqué le cœur du pouvoir syrien, est-ce enfin le cas ? Le vote à l'ONU reporté à jeudi Le vote prévu mercredi à l'ONU sur une résolution occidentale menaçant le régime syrien de sanctions a été reporté à jeudi matin à la demande de Kofi Annan qui espère encore un compromis avec Moscou, ont indiqué des diplomates. C'est un coup dur indéniablement. Ce ne sont pas les personnages les plus puissants du régime qui sont morts aujourd'hui d'après ce qu'on sait pour l'instant. Mais c'est quand même une amorce symbolique : la mort du ministre de la Défense (Daoud Rajha), du beau-frère du président et vice-ministre de la Défense (Assef Chawkat), du ministre de l'Intérieur (Mohammed Ibrahim al-Chaar), et de celui qui dirigeait la cellule de crise (Hafez Makhlouf), dont certains doutent qu'elle ait un grand rôle, mais qui symbolise quand même la répression. Je crois que ces décès, combinés aux attaques des rebelles dans le centre de Damas, poursuivent un effet recherché. L'idée est sûrement de provoquer un choc psychologique tel que cela va enclencher un basculement et accélérer le nombre de désertions dans l'armée à l'intérieur de la capitale. Ces désertions doivent être confirmées, cela dit. Bref, si l'effet est de créer un choc, et si cela fonctionne, je crois que cette situation peut amener la fin du régime de Bachar al-Assad à brève échéance. S'agit-il de l'événement le plus significatif depuis le début de la révolte populaire ? Il y a eu beaucoup d'événements significatifs, mais c'est indéniablement le coup le plus dur porté au régime par l'opposition. L'armée syrienne libre nie que l'attaque du bâtiment de la sécurité nationale soit un attentat suicide et parle plutôt d'une bombe « traditionnelle ». Est-ce que les attentats suicide sont un moyen auquel les rebelles ont eu souvent recours depuis le début des affrontements avec le régime al-Assad ? Il y a eu effectivement des attentats suicide. On a vu plusieurs vidéos d'attentats suicide sur le Web, vraisemblablement publiées par les rebelles eux-mêmes. En particulier dans la région d'Idlib, il y en a eu plusieurs, toujours contre des cibles militaires. Des gens qui rentraient, par exemple, dans un barrage de l'armée avec une voiture et la faisaient exploser à l'intérieur. Ce n'est donc pas totalement inconcevable que ce soit le cas ici, mais évidemment on n'a pas d'autres informations que celles que veulent bien donner les rebelles... Reste-t-il d'autres cartes dans la manche de Bachar al-Assad ou est-il très affaibli par cette attaque ? Il en a de moins en moins, des cartes. La seule qui reste, c'est encore et toujours la force. C'est de pousser au maximum les unités militaires qui lui restent fidèles, en particulier la garde présidentielle, la 4e division blindée. C'est de mener la guerre jusqu'au bout. Après, si cela ne lui permet pas de garder le contrôle de Damas, il aura deux possibilités : soit quitter le pays ou soit se replier avec ses hommes les plus fidèles sur la région côtière, la région alaouite, où habitent la plupart de ses partisans... Est-il encore raisonnable de croire que Bachar al-Assad puisse négocier un départ du pouvoir sans être inquiété par la justice internationale ? Ça me paraît très improbable. C'est une solution qui aurait requis un soutien russe, et ce soutien russe n'existe pas. Les Russes ne veulent pas soutenir un changement de régime en Syrie. Ils ont une position très curieuse. Ils savent que le changement de régime va survenir, ils savent qu'ils ne peuvent l'empêcher, mais ils ne veulent pas le provoquer afin d'embêter les Occidentaux. Plus sérieusement, ils ne veulent pas faire chuter le régime syrien par crainte de créer un précédent qui serait dangereux pour le régime russe lui-même. Les membres permanents du Conseil de sécurité se réunissent jeudi pour voter d'autres sanctions à l'encontre de la Syrie. Cet attentat des rebelles laisse-t-il présager un durcissement de la position sino-russe ? Oui. Les Russes vont en tirer prétexte pour dire : « Voyez, on fait face ici à un mouvement terroriste, donc il n'est pas question de faire tomber le régime pour hisser au pouvoir ces rebelles »... Ça leur donne des arguments. Comment se dessine la situation à Damas pour les prochains jours et semaines ? Avant de prédire quoi que ce soit, il faut voir plus clair dans ce qui s'est passé aujourd'hui. Il faut avoir la liste complète des morts, savoir s'il n'y avait – entre guillemets – que ces responsables-là, ou si les rumeurs qui circulent à l'effet que des responsables directs du service de renseignement, qui représentent réellement le pouvoir en Syrie à l'inverse des ministres, seraient morts eux aussi sont véridiques. Si c'est vrai, on pourrait alors parler de décapitation partielle du régime. Il faut par ailleurs savoir quelle est la véracité des informations qui circulent sur les désertions de soldats dans le cœur de Damas. L'opposition dit que des troupes qui avaient été déployées dans le quartier de al-Midan ont abandonné leur charge. Je crois que si tous ces éléments sont exacts, on peut imaginer que la chute du régime va survenir plus rapidement qu'on ne le pensait jusqu'ici. Propos recueillis par Philippe Rodrigues-Rouleau (st.) Nombre de lectures: 40