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Mohammed Smaïn, ancien dirigeant de la LADDH : Il n'y a pas assez de militants des droits de l'homme en Algérie.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 20 - 07 - 2012

Emprisonné pour la première fois de sa vie à 70 ans, l'ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH) dénonce les conditions d'incarcération qu'il a pu constater dans la prison de Relizane.
-Pour quelles raisons avez-vous été emprisonné le 18 juin dernier ?
Il s'agit d'une affaire qui remonte à l'année 2001. J'ai témoigné contre deux patriotes jugés à Nîmes (sud de la France, ndlr). Le jugement a été long parce que nous avions déposé des recours. L'affaire est allée jusque devant la Cour suprême. Au mois de janvier de cette année, la justice a confirmé une peine de deux mois de prison ferme. A partir de ce moment-là, j'ai été contacté par les services de sécurité. Ils m'ont demandé de mettre un terme à mes actions et de revenir sur mes déclarations. Dans cette affaire, j'ai dit la vérité, donc j'ai refusé. Deux mois après, la justice a émis un mandat de dépôt. Ils ont tout calculé parce que le 5 juillet est traditionnellement jour de grâce présidentielle. Ils ont laissé venir le mois de juin et ils m'ont arrêté. Alors qu'ils pouvaient le faire depuis le mois de décembre. Je ne sais pas qui est à l'origine de cette décision, mais ce n'est certainement pas la justice. Sur l'acte d'accusation, il est écrit : «Outrage à corps constitué» !
-Vous avez passé 19 jours dans la prison de Relizane. Qu'avez-vous vu ?
C'est l'enfer. Les conditions de détention sont bestiales. Les gens subissent des horreurs. Les conditions de vie, le règlement intérieur, tout est arbitraire et injuste. Les détenus ne sont pas traités comme des êtres humains. On n'a pas de lieu où dormir, pas de lieu où manger, si on ne demande pas, on n'a pas de ration non plus. A partir de minuit, dans certaines cellules, personne ne peut aller aux toilettes. Elles sont occupées par un détenu, qui dort là, sur une porte démontée et posée en travers du siège. Le traitement est le même pour tout le monde, que vous soyez militant des droits de l'homme ou prisonnier de droit commun. Les prévenus en détention provisoire doivent être considérés comme innocents. Or, ils sont traités comme tous ceux qui ont été condamnés. C'est dégradant pour un citoyen. Tout cela est inimaginable, il faut le voir pour le croire. Quand on condamne quelqu'un à la prison dans ce pays, c'est pour l'humilier et le dégrader, pas pour qu'il paye sa dette à la société. Il y a eu vraie torture morale et certains en deviennent fous.
-Dans quel objectif dénoncez-vous ces conditions de détention ?
Je suis militant des droits de l'homme depuis des années, et nous n'avons jamais parlé des conditions de détention en Algérie. Nous avons fait une faute. Selon le ministère de la Justice, tout va bien. L'opinion publique pense aussi que les prisonniers n'ont pas à se plaindre. Même la Croix-Rouge internationale dit dans ses rapports que la situation est normale. Mais avant l'arrivée des observateurs, on vide les salles, on installe la télévision, le téléphone et on achète des lits neufs. Dans la réalité, cela n'existe pas, les gens souffrent et personne ne dénonce quoique ce soit. Les prisonniers de droit commun ne disent rien, ils savent qu'ils vont revenir dans cette prison. Les autres prisonniers ne parlent pas non plus parce qu'ils ont peur d'y retourner pour diffamation. Il fallait que quelqu'un dénonce cette situation intolérable. C'est un problème primordial qui touche une grande partie de la société, et pas uniquement les détenus actuels. Nul n'est à l'abri, il y a beaucoup de futurs prisonniers dans le pays.
-Le procureur général de la cour de Relizane vous accuse de «fourvoyer l'opinion publique avec de fausses informations». Que lui répondez-vous ?
Le démenti du procureur général est hors sujet. Alors que je parlais de la situation des détenus dans les cellules, le procureur dit que je n'étais pas dans une cellule surpeuplée. C'est vrai. Mais ça ne veut rien dire, car je ne dénonce pas les mauvais traitements que j'ai subis, je parle des autres prisonniers. Il y avait des salles archicombles dont on ne pouvait pas fermer les portes. Quant aux détenus qui passent le bac, les responsables de la prison forcent les gens à s'inscrire, et ensuite ils les aident à tricher pour qu'ils réussissent. Tout ça pour la satisfaction des ministères. Le ministère de la Justice n'a aucune envie de réformer, de restructurer. Ces gens-là mentent pour tromper l'opinion publique et internationale. Les hauts responsables savent ce qui se passe, ils savent ce qu'ils disent. Je ne comprends pas pourquoi un procureur-général ou un ministre ment. Pour sauver son secteur ? Il faut dire la vérité.
-Vous avez 70 ans, n'avez-vous pas envie de passer la main ?
Passer la main à qui ? Je veux bien, mais la relève n'existe pas. Il n'y a pas assez de militants des droits de l'homme en Algérie. Le pouvoir a de l'argent, il a corrompu tout le monde, surtout la jeunesse. Le système de l'emploi-jeune, c'est une manière de corrompre. On donne de l'argent, on ne contrôle rien mais en contrepartie, «ferme-la!». Les jeunes sont libres de fumer du haschish, de faire du commerce de drogue. Mais surtout, il ne faut pas qu'ils touchent à la politique. Le pouvoir sait aussi comment dissuader les militants potentiels en les harcelant. Dès sa deuxième déclaration, un militant est mis sous contrôle judiciaire ou en prison. Les gens ne supportent pas ces conditions ; ils pensent à leur carrière, à leurs enfants, ils ont peur de la prison. Cette pénurie de militants s'explique enfin par notre histoire. Nous sommes en 2012, mais il faut se rappeler les années 1992, c'était l'enfer. A cette époque, si on n'était ni du côté du pouvoir ni du côté des terroristes, on était désignés comme opposants par les deux camps. Il y a des gens qui ont été arrêtés et tués parce qu'il fallait choisir son camp. «Ou tu es avec nous ou tu es contre nous.» Le système était capable de tout, même de tuer. Aujourd'hui, la population ne veut plus subir la violence.
-S'il est si difficile de militer, qu'est-ce qui vous fait tenir ?
Je pense à l'avenir de notre pays, de nos petits-enfants, aux autres Algériens. Si on laisse faire un régime autoritaire comme le nôtre, il peut rester des décennies, il ne bougera pas ! Le régime d'aujourd'hui est pire que le colonialisme français. La démocratie n'existe pas dans un système sécuritaire. Dans un Etat qui n'a pas de justice, il y a toujours un risque pour le citoyen, car la force reste toujours à l'autorité. A l'origine de la création de la Ligue algérienne des droits de l'homme, nous voulions pouvoir lutter contre la dictature, le népotisme, tous ceux qui s'attaquaient à la société. Aujourd'hui, la Constitution affirme bien certains principes. Mais sur le terrain, c'est autre chose. La lutte doit continuer. Il faut qu'on arrive au moins à instaurer un Etat de droit.
Bio express :
Mohammed Hadj Smaïn est né à Rélizane où il milite pour les droits de l'homme. Il a participé à la création du Mouvement démocratique algérien (MDA) aux côtés d'Ahmed Ben Bella. A la dissolution du parti, il rejoint Ali Yahia Abdennour et l'équipe qui créera la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH). Quelques années plus tard, il prend la tête de la LADDH à Relizane. Le 18 juin dernier, à l'âge de 70 ans, il est emprisonné pour la première fois de sa vie pour «outrage à corps constitué».
Yasmine Saïd
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