Humiliation, violence, entassement des prisonniers dans des cellules étroites alors que d'autres dorment dans des toilettes. Le militant des droits de l'homme et ancien vice-président de la LADDH, Mohamed Smaïn, décrit un univers carcéral effroyable. Il vient de passer 18 jours dans la prison de Relizane où il a été incarcéré après une condamnation à deux mois de prison ferme, avant de bénéficier d'une grâce. S'exprimant lors d'une conférence de presse animée, hier à Alger, conjointement avec le président d'honneur de la LADDH, maître Ali Yahia Abdennour, il attire l'attention sur les conditions intenables dans lesquelles vivent les prisonniers. Il parle, en effet, d'«un territoire où seule la loi des gardiens et du directeur de l'établissement est appliquée». «Les détenus sont entassés dans des salles étroites saturées jusqu'à l'étouffement. Le soir, ils dorment collés les uns aux autres, imbriqués. Impossible de se retourner pour ne pas déranger les autres. Il y a ceux qui dorment dans les toilettes. Et la nourriture servie ne sert qu'à maintenir les prisonniers en vie. Ils mangent pour ne pas mourir», témoigne Mohamed Smaïn. Et d'ajouter que les prisonniers qui se rebiffent subissent les punitions les plus insupportables : «Transférés dans des cellules punitives, ils sont battus avec des matraques en caoutchouc pour ne pas laisser de traces. On entend souvent des hurlements…» Cela se passe à la prison annexe de Relizane qui est destinée à accueillir 140 détenus, mais qui en «héberge plus de 400». «On inflige aux détenus l'humiliation. La prison est synonyme de dégradation. Quand tu sors de cet univers, tu n'es plus un homme. Le prisonnier laisse sa liberté, sa dignité et toute autre valeur», poursuit-il. Pendant son incarcération, Mohamed Smaïn a été transféré à la prison centrale de Relizane. Là aussi, il décrit «une discipline de fer où les prisonniers subissent l'humiliation au quotidien». Le défenseur des droits de l'homme, maître Ali Yahia Abdennour, qui, lui aussi, a séjourné dans les plus sinistres pénitenciers du pays, a estimé qu'en Algérie «le droit s'arrête aux portes des prisons». «Les prisonniers sont considérés comme des détails, voire même du bétail», regrette-t-il en rappelant le sinistre épisode des 27 détenus transférés de Tizi Ouzou à Relizane, en 1996, morts asphyxiés dans le fourgon en cours de route sans qu'aucun responsable ne soit sanctionné. Les raisons de sa condamnation Mohamed Smaïn a évoqué, à cette occasion, les conditions de son arrestation et sa condamnation à deux mois de prison ferme en 2002 pour «dénonciation de faits imaginaires». Il parle d'«un enlèvement». «Ils m'ont guetté à Relizane. Les policiers qui m'ont interpellé m'ont dit qu'ils avaient reçu l'ordre d'Alger», dit-il. Cette affaire a duré près de 10 ans ; elle a connu des rebondissements en 2008, avec l'interpellation à Nîmes (France) des deux frères Adda poursuivis pour «barbarie et torture» et qui sont toujours sous contrôle judiciaire. Mohamed Smaïn est cité comme témoin dans le procès. Une affaire encombrante pour les autorités algériennes, qui tiennent Mohamed Smaïn pour «responsable». «Il y a cinq mois, j'ai reçu dans ma maison un colonel des services de sécurité qui m'a demandé d'aider les autorités dans l'affaire des deux frères Adda, en revenant sur ma déclaration et en convaincant les autres témoins, dont un gendarme à la retraite et quatre membres des familles de disparus, de faire de même. En contrepartie, il m'avait promis de me rétablir dans mes droits, de me rendre ma fiche d'ancien moudjahid. Je lui ai dit que je n'ai besoin de rien et que je reste attaché à mes principes. Je suis loin d'être responsable de cette affaire de Nîmes», raconte-t-il. Ali Yahia Abdennour a, de son côté, restitué le contexte politique dans lequel des enlèvements ont été commis dans la région de Relizane entre 1994 et 1997. «A l'époque, j'étais président de la Ligue. Mohamed Smaïn était responsable local, il avait découvert des charniers et signalé 212 disparitions. A Relizane, il y avait plus de 400 patriotes impliqués, mais nous avons dénoncé les dépassements d'une dizaine de patriotes seulement», se rappelle-t-il.