In http://syrie.blog.lemonde.fr/ 07 septembre 2012, par Ignace Leverrier Il y a un an, l'activiste Yahya Churbaji disparaissait à Daraya, enlevé par des agents du régime. Il était l'un des meneurs les plus emblématiques de la révolution dans cette ville de la banlieue de Damas, considérée comme l'exemple le plus abouti du combat politique non-violent en Syrie. Yahya Churbaji Un an a passé sur cet enlèvement sans apporter d'information crédible sur la situation de ce militant, chantre du pacifisme et de la « révolution des fleurs ». Le régime a célébré à sa façon cet anniversaire en commettant à Daraya, il y a quelques jours, le pire massacre intervenu en Syrie depuis le soulèvement contre Bachar Al Assad, tuant 675 jeunes gens, femmes et enfants, dont une partie exécutés de sang-froid après avoir été capturés et entravés. Le 6 septembre 2011, les forces de sécurité avaient arrêté Maan Churbaji, le frère de Yahya, qu'elles avaient blessé en ouvrant sur lui le feu. Elles l'ont forcé à appeler son frère au téléphone et à lui dire qu'il avait été atteint par une balle. La ruse était destinée à l'attirer dans un piège et à s'en emparer. Les moukhabarat de l'air ont aussitôt préparé un traquenard. Ils ont capturé Yahya Churbaji en même temps que son ami Ghiyath Matar, qui accouraient pour porter secours au blessé. Peu de temps après, Ghiyath Matar est mort sous la torture entre les mains des criminels qui l'avaient arrêté. Personne n'a plus revu Yahya jusqu'à ce jour. Aucune information n'a pu être confirmée sur le lieu de sa détention et sur les motifs de son arrestation. Il n'a pas été traduit en justice. Yahya Churbaji durant une manifestation Yahya Churbaji est né le 21 janvier 1979 à Daraya. Adolescent, il est devenu adepte de la lutte non-violente. Il faisait partie d'un groupe de jeunes, issus d'un centre d'apprentissage du Coran placé sous la tutelle de l'Etat, dont le responsable – un prédicateur local emprisonné durant deux mois, durant l'été 2000, pour avoir refusé de faire la prière au nom des présidents Al Assad père et fils – avait favorisé la transformation progressive en un centre d'études religieuses et d'activités éducatives diverses. Ils étaient engagés dans des activités sociales et humanitaires. Ils géraient une bibliothèque qu'ils avaient eux-mêmes créée. Ils donnaient des cours de soutien et des cours du soir. Ils dénonçaient la corruption. Ils luttaient contre le tabagisme. Ils proposaient leur médiation dans les conflits locaux. Ils incitaient leurs concitoyens à prendre conscience de leur situation. Et ils faisaient du volontariat et de l'action civile – le nettoyage spontané des rues de leurs quartiers par exemple – l'un des moyens privilégiés du changement. Lors du massacre de Jénine, en Palestine, en avril 2002, ils avaient organisé dans Daraya une marche silencieuse. Ils avaient fait de même, en avril 2003, pour dénoncer la guerre en Irak. A cette occasion, ils avaient également organisé un boycott des produits américains. Ils entendaient proposer une alternative non-violente aux sentiments d'injustice et de colère qui étreignaient de nombreux Syriens. Ils voulaient les dissuader de se mobiliser, sous une bannière nationaliste ou islamiste, pour aller se battre en Irak. C'est alors que 18 d'entre eux ont été arrêtés. Yahya Churbaji était à ce moment-là étudiant à la Faculté des Sciences de l'Université de Damas. L'un des membres du groupe, Hasan Khalil Al Kurdi, originaire de la ville d'Al Tall mais qui participait aux actions menées à Daraya, a fait, à sa sortie de prison, le récit détaillé de leur internement. Pour ce qui le concerne, après avoir été transféré d'une branche d'un service de sécurité à une autre pendant trois mois et demi, dont deux passés dans une cellule d'isolement, Yahya Churbaji a été condamné à purger une peine de quatre ans de prison au pénitencier militaire de Sednaya. Il a été remis en liberté au bout de deux ans et demi, mais il est resté privé de ses droits civiques, frappé d'une interdiction de quitter le pays, et soumis à des tracasseries à répétition de la part des services de sécurité. Au tout début de la révolution, Yahya Churbaji avait répondu à l'appel des familles de détenus politiques et avait participé au rassemblement organisé, le 16 mars 2011, sur la place Marjeh, à Damas, à proximité immédiate du ministère de l'Intérieur. Appréhendé par les moukhabarat, il était parvenu à s'enfuir, abandonnant entre leurs mains ses papiers d'identité et son téléphone portable. Lorsque le soulèvement a atteint Daraya, il s'est impliqué dans la préparation et l'encadrement des manifestations, de manière à prévenir toute dérive violente et la destruction des biens publics. Avec un certain nombre d'autres activistes de la ville, il avait pris l'initiative d'apporter des fleurs lors des rassemblements. A qui voulait l'entendre, il affirmait : « Je préfère être tué que tuer ». Il était convaincu que « c'est en nous qu'il faut mener la révolution, avant de la faire sur le terrain », car « si nous ne nous changeons pas, rien ne sera changé ». Dès qu'il l'a pu, le régime l'a arrêté avec l'ensemble des autres militants non-violents. Les Comités locaux de Coordination en Syrie, qui ont diffusé un communiqué le 6 septembre pour affirmer leur soutien à Yahya Churbaji, soulignent « son immense contribution au renforcement du caractère pacifique de la révolution. Ils saluent son courage, son patriotisme sincère et son attachement à la paix civile. Ils affirment que son arrestation par le régime, en compagnie d'activistes partageant sa non-violence, démontre les mensonges et les altérations à la vérité auxquels le régime se livre lorsqu'il prétend qu'en tuant des Syriens, en encerclant les villes, en les détruisant et en chassant leurs habitants, il tente uniquement de supprimer les résistants armés. Ils invitent les institutions de la société civile et les organisations arabes et internationales à se mobiliser de toute urgence pour faire pression sur le régime. Celui-ci doit faire connaître le sort du militant, les motifs de son incarcération et son actuel état de santé. Ils s'inquiètent en effet d'avoir entendu dire que, suite aux tortures qui lui ont été infligées et aux conditions inhumaines dans lesquelles il est détenu, sa situation s'est gravement détériorée ». Les Comités saisissent l'occasion pour condamner « l'ignorance délibérée par la communauté arabe et la communauté internationale dans son ensemble, des crimes que le régime commet contre le peuple syrien en révolte, contre les détenus et contre ceux qui chassent de leur domicile ».