Rachid Aouine. Douanier révoqué « Je demande qu'une enquête soit ouverte sur les exportations de gaz vers la Tunisie » El Watan le 14.09.12 Lors d'une inspection, ce douanier dénonce des manquements dans la surveillance de l'exportation de gaz vers la Tunisie. Alors que son rapport est validé par la tutelle, il est intimidé puis révoqué. - Vous dénoncez une fraude lors de l'exportation de gaz naturel vers la Tunisie. Comment l'avez-vous découverte ? J'étais en mission à l'usine d'El Borma, à la frontière tunisienne. C'est par là que l'Algérie exporte le gaz vers la Tunisie, via la Société tunisienne du gaz et de l'électricité. J'ai constaté des irrégularités : la Douane ne surveillait pas les exportations de cette usine. Or, selon les articles 165 à 172 de la loi des Douanes, cela fait partie de ses missions. - Qu'avez-vous constaté exactement ? Les agents affectés à la surveillance se limitaient à des apparitions épisodiques, pour signer des documents qui avaient été élaborés quand ils n'étaient pas là. Les agents étaient insuffisamment formés et ne respectaient pas les normes de contrôle des hydrocarbures. Les appareils de contrôle des expéditions de gaz étaient vétustes et non homologués. - Qu'avez-vous fait? J'ai envoyé un rapport à l'inspection régionale des Douanes de Hassi Messaoud pour signaler toutes ces irrégularités. C'est mon travail. Mais la direction n'a pas réagi. Au lieu de déclencher une enquête sur les problèmes constatés, les responsables m'ont fait subir des pressions et ont essayé de m'intimider à plusieurs reprises à cause de ce rapport. - Comment se caractérisaient ces intimidations? Les responsables régionaux m'ont envoyé des questionnaires sur mon comportement et qui n'ont rien à voir avec l'enquête. J'ai également reçu des blâmes et des avertissements injustifiés. Ils se sont vengés de moi parce que j'ai mis le doigt sur quelque chose de grave. Toutes les intimidations provenaient de l'inspection des Douanes locale de Hassi Messaoud et de la direction régionale des Douanes de Ouargla. J'ai eu les mêmes intimidations de la part de la direction générale des Douanes, alors que le rapport n'avait pas encore été transféré à leur niveau. J'ai été convoqué par le directeur d'administration générale de la direction générale des Douanes qui m'a insulté. Il m'a accusé de vouloir créer des problèmes. - Ces intimidations se sont-elles poursuivies ? Plus tard, l'Inspection générale des finances (IGF) a été dépêchée à l'usine d'El Borma. Ils ont constaté la véracité de mon rapport. L'IGF a fait un rapport à son tour. Les conclusions sont identiques. J'étais soulagé, mais les problèmes ont continué. Après ce rapport, j'ai été muté abusivement à Oum El Bouagui par la direction générale. Pourtant, je suis syndicaliste, membre de la section syndicale des Douanes de Hassi Messaoud. Selon l'article 90-14, je suis protégé dans mes activités de syndicaliste. Je ne peux ni être muté, ni suspendu, ni révoqué. La loi n'a pas été respectée. - Comment avez-vous réagi ? J'ai déposé un recours pour la décision de mutation. En réponse, un mois plus tard, ils m'ont suspendu. On m'a dit que la seule chose à faire était de déposer un nouveau recours auprès des plus hautes autorités. C'était le 17 novembre 2011. Normalement, après deux mois et demi de suspension, l'employé doit passer devant la commission paritaire. Ce n'est pas le cas pour moi. J'ai écrit au président de la République pour expliquer que le traitement que je subissais allait à l'encontre de sa politique de combat de la corruption et que cette décision risquait de provoquer une grogne au sein des douaniers de Ouargla. Mais je n'ai eu aucune réponse à mon courrier. J'ai envoyé des courriers au Premier ministre, au ministère de la Justice, au ministère des Finances et à l'organisme de lutte contre la corruption. Et puis, à la fin du mois d'août dernier, j'ai été révoqué définitivement du corps des douaniers pour «abandon de poste», parce que je n'ai pas été à Oum El Bouagui. - Est-ce que cette procédure est légale ? Non. Selon la loi 90-14, je ne peux pas être muté sans comparaître devant la commission paritaire. Cette commission ne s'est jamais réunie. Je n'ai pas abandonné mon poste. Le droit de syndicalisation a été bafoué. Pour moi, tout ça est un règlement de compte, c'est la conséquence de ce que j'ai dénoncé. - Qui est à l'origine de vos problèmes, selon vous? Je ne sais pas qui est derrière la décision de ne pas surveiller les exportations. La direction des Douanes doit surveiller les exportations. La surveillance doit être permanente. Les quantités de gaz exporté doivent obligatoirement être notées par des douaniers, H24. Dans cette affaire, certains agents viennent une fois par mois. Lorsque les exportations ne sont pas surveillées, beaucoup de choses peuvent se passer. Il faut craindre des cas de fraude par rapport aux quantités transportées. - Quelle est votre situation aujourd'hui ? Je suis au chômage. Je voudrais que le président de la République et les autorités me réintègrent dans les Douanes. Je demande qu'une enquête soit ouverte sur ces exportations de gaz. Je veux être réhabilité dans mes droits. Ceux qui m'ont suspendu doivent être sanctionnés dans le cadre de la loi sur la répression des fraudes. Pendant ma suspension, j'ai perdu mon salaire. Je veux être dédommagé. - Comment ont réagi vos collègues ? Après ma suspension, beaucoup de douaniers ont peur de dénoncer des irrégularités. Bio Express : Rachid Aouine est diplômé de l'Ecole des douanes de Ouargla. Il entame sa carrière en 2001. Son rapport sur l'exportation de gaz de l'usine d'El Borma est validé début septembre 2011. Le 13 octobre, il est muté. Il est suspendu de ses fonctions le 17 novembre. A la fin du mois d'août 2012, il est définitivement radié du corps des Douanes algériennes.