Affaire du trafic d'enfants vers la France Ce que l'enquête a révélé... El Watan le 20.02.13 Si certains avocats jugent l'affaire dite du «commerce des enfants» vide de toute preuve probante, d'autres estiment qu'elle n'est que la face apparente d'un vaste réseau de trafic de nouveau-nés, adoptés dans le cadre de la procédure de la kafala. Les antagonistes n'ont en réalité pas tort. Les révélations des uns et des autres lèvent peu à peu le voile sur une partie de la vérité, avant que la lumière ne soit faite le jour du procès des 13 accusés poursuivis dans le cadre de cette affaire. En attendant, notre journaliste livre les détails édifiants déjà révélés par l'enquête préliminaire. Lorsque les policiers ont commencé à enquêter sur les circonstances dans lesquelles deux enfants venaient de quitter le territoire national à destination de la France, rien n'indiquait que leur enquête allait déboucher sur une affaire des plus intrigantes. Même si jusqu'à maintenant les 13 accusés devant comparaître devant le tribunal criminel près la cour d'Alger pour l'affaire du «commerce d'enfants» sont présumés innocents et leurs droits totalement consacrés jusqu'à ce que leur culpabilité soit confirmée, il n'en demeure pas moins que l'affaire reste unique dans les annales de la justice. En fait, lorsque les policiers ont commencé à enquêter sur les circonstances dans lesquelles deux enfants venaient de quitter le territoire national à destination de la France sous de faux papiers, rien n'indiquait que leur enquête allait déboucher sur une affaire des plus intrigantes. Adoptés par un couple d'émigrés dans le cadre de la kafala, ils avaient été transférés en France. 9 enfants «transférés» en France en une année Les premiers soupçons pèsent sur un médecin généraliste dont le cabinet se trouve à Aïn Taya. Poursuivi entre 2004 et 2006 pour une affaire d'avortement et de décès d'un nouveau-né chez une nourrice, celui-ci, condamné par le tribunal d'El Harrach à deux années de prison ferme, n'a passé que 9 mois en prison. Lors de son arrestation dans son cabinet, les policiers ont récupéré du matériel gynécologique, mais aussi des bijoux déposés dans des enveloppes portant des noms de femmes, des sommes en dinars et en devises, des photocopies de pièces d'identité de plusieurs femmes. Dans ses aveux, il explique que certains de ces bijoux appartiennent à sa fille et le reste constitue un gage de paiement de certaines patientes qui n'avaient pas suffisamment d'argent pour s'acquitter des soins qu'il leur a prodigués dans son cabinet. Mais lors de la perquisition effectuée chez la nourrice (avec laquelle il a été poursuivi en 2006), les policiers retrouvent trois enfants qu'il lui avait confiés. Confondu, il reconnaît avoir aidé plusieurs mères célibataires à placer leurs bébés et des familles d'accueil à adopter des enfants, mais nie avoir encaissé de l'argent en contrepartie de ces services. L'enquête va démontrer que le médecin assistait les mères célibataires durant leur grossesse et l'accouchement, avant de prendre les nouveau-nés pour les placer dans des familles, sous la procédure de la kafala établie dans un cabinet notarial situé à Bachdjarah, parfois sans la présence des mères biologiques ou sans leur accord et aussi sans les témoins et les parents adoptifs. De 2005 à 2006, l'enquête révèle l'établissement de 12 actes de kafala rédigés dans le cabinet notarial, dont 9 concernent des enfants ayant quitté le pays et vivant actuellement en France. Les policiers retrouvent huit mamans biologiques. Leurs révélations permettent de reconstituer le puzzle. S. Lalahoum affirme avoir sollicité le médecin pour se faire avorter, mais ce dernier l'en a dissuadée ; il lui a demandé de garder l'enfant jusqu'à la naissance, lui promettant de lui trouver une famille adoptive. Pour ne pas attirer l'attention de ses proches, il lui propose une ceinture spéciale qui dissimule sa grossesse. Le jour J, elle se présente avec sa sœur au cabinet pour, comme l'atteste le certificat qu'il lui a délivré, enlever un kyste hydatique. Chantage et menaces Elle met au monde une petite fille qu'elle abandonne au médecin avant de repartir. Quelques jours plus tard, Lalahoum revient pour récupérer le bébé, mais le médecin refuse de le lui rendre. Il la menace de divulguer son secret et l'oblige à enregistrer la naissance avec des documents antidatés. Tout comme il l'oblige à l'accompagner chez le notaire pour signer la kafala sans la présence des parents adoptifs (des émigrés). H. Hiba apporte le même témoignage, précisant que la kafala s'est faite en présence du médecin qui lui a appris que son fils avait été adopté par une famille d'émigrés. F. Nassima a accouché de jumelles à l'hôpital de Kouba. Sur recommandation, elle va voir le médecin à son cabinet et lui laisse les deux bébés, déposés par la suite chez une nourrice à Aïn Taya. Elle affirme avoir signé la kafala dans le cabinet du notaire, en présence du médecin seulement, au profit d'un couple d'Algériens vivant en France. B. Zahra a mis au monde un garçon à l'hôpital de Aïn Taya. En raison de sa situation sociale, elle a mis le nouveau-né à la pouponnière de Surcouf. Quelques jours plus tard, elle est contactée par le médecin qui lui propose de récupérer son fils pour qu'il soit placé dans une famille d'accueil. Elle s'exécute et, elle aussi, signe la kafala par devant le notaire de Bachdjarah, en présence du médecin, mais sans les parents adoptifs. Les nommées B. Warda, D. Zahra, K. Hana et K. Malika livrent les mêmes témoignages, mais leurs bébés ont été récupérés chez la nourrice que sollicite le médecin en contrepartie d'une rémunération de 5000 DA par enfant. Un travail qu'elle faisait depuis dix ans durant lesquels elle a accueilli 25 nouveau-nés. Ces révélations permettent de confondre le médecin. Pour leur part, les six familles adoptives, poursuivies, déclarent ignorer tous les faits liés à un trafic d'enfants. Certaines affirment être entrées en contact avec le médecin après avoir entendu parler de lui dans un quartier de Saint-Etienne (France) par le biais d'un boucher qui assurait le contact ; il avait la réputation d'aider les couples d'Algériens qui voulaient adopter des enfants en leur trouvant des nouveau-nés et en les aidant à obtenir rapidement tous les papiers nécessaires, dont la kafala. Seuls quelques-uns ont affirmé avoir payé ces prestations ; les autres disent avoir refusé de payer. Ce qui est certain, c'est que le rôle du médecin n'est pas aussi clair qu'il y paraît. En tout état de cause, cette affaire a fait tache d'huile. Elle n'aurait jamais dû exister si le législateur n'avait pas donné aux notaires le pouvoir de préparer la procédure de la kafala, et ce, même s'il a prévu les conditions dans lesquelles celle-ci est établie, à savoir en présence de la mère biologique, des parents adoptifs et des témoins, avant qu'elle ne soit validée par le juge. Il est important de souligner que dans cette tragédie, les victimes ne sont pas uniquement les mères biologiques forcées d'abandonner leurs bébés. Torturées par le désir d'avoir des enfants, très vulnérables, les familles adoptives ont, elles, été victimes de cet engrenage de la corruption. Le procès tant attendu des treize accusés va certainement mettre en lumière toute la vérité et rien que la vérité.