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La langue amazighe qui dérange et la poésie qui empoisonne le Pouvoir algérien…..
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 27 - 03 - 2013


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La langue amazighe qui dérange et la poésie qui empoisonne le Pouvoir algérien :
De 3 minutes de micro à l'interdiction d'une conférence.
La salle El Mouggar (ex. Aletti) d'Alger, dont le nom même est une arabisation-déformation du mot amazigh Amougger qui veut dire rencontre, aurait pu être, comme son nom l'indique, un lieu de rencontre pluri-culturel.
Au lieu de cela, si les murs parlaient, ses murs nous révéleront tous les dénigrements dont furent l'objet certains intellectuels algériens dont Moufdi Zakaria, auteur de Kassaman ou Mohamed Dib, auteur de La grande maison.
Située en plein centre de la capitale, cette salle était gérée par le Ministère de la Culture et de l'information (c'est-à-dire : Inculture et désinformation).
Autant dire que c'était tout simplement une forteresse bien gardée. S'y aventurer relevait purement du suicide.
J'étais conscient et de l'impossibilité et du danger de tenter de s'introduire dans pareille tribune, chasse gardée du pouvoir.
Ma jeunesse – j'avais 22 ans – et ma conviction de militer pour une juste, pacifique et noble cause me poussa à y passer outre.
Mon ami Mohamed-Said Ziad, journaliste à Algérie-Actualité m'y encouragea et me procura une aimable introduction.
Après maintes tentatives, la direction de la salle m'accorda une participation à une soirée poétique collective.
Au lendemain de la promulgation du décret présidentiel portant Révolution Agraire, le ministère de « la culture », célébra cet événement.
La matinée du 13 juillet 1972, M. Ahmed Taleb El Ibrahimi, l'occupant dudit ministère, eut, entre autres, à inaugurer une exposition de peinture.
En clôture, une soirée de poésie fut organisée. Une soirée «Tahia thouwra ziraâiya » ( vive la révolution agraire), slogan du pouvoir, en vogue bien évidemment.
L'animateur attitré des soirées poétiques était bien sûr un certain Essaihi.
Ce dernier nous réunit au salon de la salle avant de monter sur scène.
Nous étions six poètes dont moi-même :
- Et vous M. Medjeber, quel thème poétique allez-vous nous présenter ? me questionna M. Mohamed-Lakhdar Essaihi.
- Des poèmes anciens qui relate la colonisation française, l'expropriation des terres, la résistance populaire...
- En arabe ou en français ?
- En langue berbère.
- En langue berbère ? Mais personne, parmi le public, ne vous comprendra. Il vaut mieux traduire vos poèmes en arabe...
Il me donna un instant de réflexion afin de me décider.
L'un des participants, me souffla à l'oreille, discrètement, en arabe :
- Jeune homme, ne te laisse pas intimider. La langue amazighe est la langue légitime, elle représente l'authenticité de notre pays. Tiens bon ! Dis tes poèmes en amazigh.
L'animateur, après avoir fait le tour de la table, revint à moi, s'enquit :
- Alors M. Medjeber, votre décision ?
- Je maintiens la langue de mes poèmes. Il y a parmi nous des poètes de langue arabe et de langue française. Il faut qu'il y ait quelqu'un pour dire des poèmes en langue amazighe.
- C'est votre dernier mot ?
- Oui.
- Alors je vous donne trois minutes de micro.
Acceptez-vous ?
- Oui.
- Cela vous suffit ?
- Oui. Cela me suffit.
- Vous en êtes sûr ?
- Sûr et certain !
Sur scène, lorsque vint mon tour de passer devant le micro, l'animateur m'y présenta comme étant “ La voix du Djurdjura" (sous-entendu : “… et maintenant une voix folklorique locale pour nous amuser un peu").
Je déclamai mes poèmes. En fait c'étaient des poèmes d'auteurs anciens, puisés dans les recueils de Hanotaux et de Boulifa.
Les trois minutes furent vite consommées. L'animateur m'invita alors à céder le micro. Je fis la sourde oreille et je continuai. Puis, pour ne pas céder à l'insistance de M. Essaihi, je m'adressai au public :
- Est-ce que vous comprenez ce que je dis ? Est-ce que vous comprenez la langue amazighe ? Est-ce que vous voulez que je continue ?
Le public m'ovationna et m'invita à continuer.
L'arbitrage du public aidant, l'animateur de service se tut.
Je restai trois quarts d'heure devant le micro !
A la fin de cette soirée poètique, on m'invita à aller à la caisse pour recevoir de l'argent. Comme les autres participants.
Mais moi, je ne voulais pas être payé pour avoir défendu ma langue. Donc refus de ma part.
Puis, à la sortie de la salle, ce que j'apprehendais surgit, un homme en costume cravate m'aborda brutalement : C'est toi Medjeber ?
- Oui.
- Comment as-tu eu le courage de dire des poèmes en berbère ?
- Pourquoi ? Faut-il du courage pour ça ? Ai-je commis un crime, tué ou volé?
- Allez ! Aujourd'hui tu es sauf ! Gare à toi pour la prochaine fois !
Les exemples d'exactions, d'exclusion, d'interdiction , d'intimidation, de censure frappant la langue amazighe sont trés nombreux et flagrants : le chanteur Slimane Azem fut interdit d'antenne à la Radio nationale algérienne et de vente de disques ; Taos Amrouche fut refoulée de l'aéroport d'Alger, pour l'empêcher de participer au premier Festival Culturel Panafricain, en juillet 1969 ; la chaîne 2 diffusant en langue amazighe à la Radio nationale algérienne, fut menacée de ferméture ; Mouloud Mammeri se verra interdire officiellement de donner une conférence sur la poésie amazighe ancienne à l'université de Tizi-ouzou, en mars 1980. Ce qui provoquera la révolte estudiantine et populaire du 20 avril. Une révolte qui portera le nom de “Printemps berbère", que le Pouvoir algérien dictatorial réprimera outrageusement, sauvageusement, violemment, jusqu'à des emprisonnements de militants.
Ces années-là, en plus de la langue amazighe qui le dérangeait, ce même Pouvoir, ce faisant, donnait ainsi raison à Kafka : «La poésie est un poison dans la soupe des rois ».
Smaïl Medjeber
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N.B :
- Les faits relatés datent des années 1960, 1970 et 1980.
-Texte extrait de “ABC AMAZIGH : une expérience éditioriale en Algérie “, volume 1
de Smaîl Medjeber, paru aux Editions L'HARMATTAN;
-Caricatures extraites de la revue Ittij (Le Soleil) , la première B.D en langue amazighe, publiée clandestinement en Algérie en 1972, par Smaïl Medjeber et ses camarades de combat, notemment le défunt Mohamed Haroun.
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