Le déclenchement de la guerre d'Algérie est incontestablement la résultante des causes lointaines et d'autres proches. Si on doit se limiter à celles-ci, on pourra dire que ces dernières remontent au moins aux massacres de Sétif et de Guelma, en mai 1945. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la répression démesurée des autorités coloniales dissuade pour un temps les nationalistes d'envisager un affrontement direct, mais la situation reste explosive. Le chef d'orchestre de la répression dans l'Est algérien, le général Duval, ne prévient-il pas sa hiérarchie en ces termes : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » Or, après l'expérience des AML (les amis du manifeste et de la liberté), un mouvement regroupant les courants politiques algériens, à l'exception bien évidemment du PCA (parti communiste algérien), les partis nationalistes se séparent. Si Ferhat Abbas crée l'UDMA (union démocratique pour le manifeste algérien, un parti prônant au mieux une large autonomie interne, il n'en est pas de même de Messali Hadj qui crée le MTLD (mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), un parti misant sur la lutte armée, à travers notamment la mise en place de l'OS (organisation spéciale), mais sans donner les moyens à cette branche du parti. De ces querelles et atermoiements, il y a un seul vainqueur bien sûr: le système colonial. Cela dit, bien que la dynamique de rassemblement reçoive un coup terrible, le peuple algérien ne renonce pas à l'idée de s'émanciper de ce système abhorré. Comment procéder pour y arriver ? Pour Mohammed Boudiaf, l'un des chefs historiques les plus impliqués dans la préparation du 1er novembre, la lutte doit revêtir une autre forme que celle de mai 1945. « Effectivement, le 8 mai 1945, était la manifestation d'un même état d'esprit d'un peuple épris de liberté avec cette différence qu'en 1945, il croyait encore en la possibilité de recouvrer ses droits par les moyens pacifiques, alors qu'en novembre 1954 il était décidé, instruit par son premier échec, à ne plus commettre d'erreurs et à utiliser les moyens adéquats capables de faire face à la force qu'on lui a toujours opposée », écrit-il, le 22 août 1961, à propos de la préparation de la lutte armée. De toute évidence, en 1954, ce constat n'est nullement partagé par les appareils politiques. Sans que Mohammed Boudiaf le dise textuellement, ce ne sont ni les centralistes du MTLD, ni l'association des Oulémas et encore moins les partisans de Ferhat Abbas, qui peuvent adhérer à ce projet. Du coup, si un tel projet devait se concrétiser, il faudrait que les activistes du PPA-MTLD bataillent seuls. Car, même au sein du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD, le projet ne fait pas recette. En fait, bien que la direction du MTLD n'exclue pas la lutte armée, le parti, sous la houlette de Messali Hadj, depuis la création de l'OS, n'a jamais défini un quelconque calendrier. En 1949, par exemple, le « zaim » s'est séparé des activistes et s'est rapproché, par la même occasion, des réformistes. De la même manière, après le démantèlement de l'OS, le bras armé du parti, en 1950, le comité central du PPA-MTLD saisit l'occasion en procédant à la dissolution de l'organisation regroupant les activistes. Tout compte fait, pour que la révolution puisse avoir lieu, les activistes de l'OS ne doivent compter sur aucune organisation politique. L'échec du CRUA (comité révolutionnaire pour l'unité et l'action), fondé par deux centralistes (Dekhli et Bouchebouba) et deux activistes (Boudiaf et Ben Boulaid), s'explique par l'écart des positions des uns et des autres. En revanche, les activistes peuvent compter sur le concours des Algériens, dont la situation d'assujettis révolte. Enfin, « le 1er novembre 1954, une organisation, jusque-là inconnue, revendique toutes les opérations militaires : le Front de libération nationale (FLN). Cette « rébellion » est dirigée de l'intérieur par six hommes : Larbi Ben Mhidi, Didouche Mourad, Rabah Bitat, Krim Belkacem, Mostefa Ben Boulaid. La représentation extérieure est assurée par Hocine Ait Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohammed Khider », écrit Benjamin Stora, dans « histoire de la guerre d'Algérie 1954-1962 ». En se lançant dans la bataille, les neuf chefs historiques n'ont pas tort de tabler sur la participation des Algériens à leur projet. Cela dit, le manque de concertation met le peuple devant le fait accompli. À ce titre, l'histoire officielle a tort de parler d'un peuple se levant comme un seul homme. D'ailleurs, cet unanimisme, auquel fait allusion l'histoire officielle, n'existe nulle part ailleurs. Ainsi, avec ses défauts et ses atouts, le peuple algérien ne diffère point des autres peuples. En guise de conclusion, il est clair que l'action du 1er novembre 1954 est dirigée contre le système colonial. Le recours à la lutte pacifique étant épuisé, la solution, pour ces activistes, est d'abattre ce système honni par la force. Cela dit, bien que les allumeurs de la mèche ne soient pas majoritaires en 1954, ils parviennent cahin-caha à réaliser l'objectif assigné à l'action du 1er novembre. Mais, en construisant un projet sur « contre quelque chose », le mouvement libérateur bute très vite sur le problème d'organisation. Les tentatives d'Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi, en vue de mettre la révolution sur les rails, échouent pour le grand malheur de l'Algérie. En tout cas, la riposte française et les problèmes d'ego renvoient hélas ce projet aux calendes grecques. Peu à peu, au nom du combat pour la liberté, les dirigeants la restreignent sévèrement. À l'indépendance, cette situation va s'amplifier gravement. Et ça continue toujours. Ainsi, 59 ans après le soulèvement des Algériens pour recouvrer leur liberté, ils sont toujours à la quête de ce droit. Pour combien de temps encore? Sans doute, le jour où on aura 1% du courage des révolutionnaires de 1954