Que dire de l'Algérie actuelle? Rien, absolument rien sinon qu'elle s'est immergée sous l'iceberg de la lassitude et de la morgue! Mais notre pays s'acheminerait-il vers un cul-de-sac en se brûlant les ailes à force de voler tout près du soleil comme dans la légende d'Icare ou tirerait-il comme il en a l'habitude son épingle du jeu sans coup férir? Difficile de prédire quoi que ce soit dans le capharnaüm de ces derniers mois. Car, à rebours des projections pessimistes et pleurnichardes des uns et les envolées thuriféraires des autres, le rendez-vous électoral du 17 avril prochain n'apporte rien de neuf au quotidien des algériens. L'homme de la rue ne rêve plus! La politique lui est presque un angle mort qu'il ne perçoit pas ou qu'il ne veut plus voir du tout, il est désabusé, ça y est, il a décroché, point de retour en arrière parce qu'il sombre dans une sorte de refoulement hypnotique! D'un côté, il dénigre la politique, rejette les discours soporifiques de ses responsables, ironise sur leurs promesses, fustige tous ceux qui s'accaparent indûment les privilèges, se revendique des idéaux et des principes nobles d'autres temps et le comble se réfère, un peu fier et nostalgique, aux figures légendaires, mythiques ou nationalistes qui ont jalonné son esprit et celui de sa nation. D'un autre côté, il constate, la mort dans l'âme, que sa pensée se matérialise à la vitesse de météore à la faveur d'une tendance, héréditaire je crois, au conservatisme, réinterprète le monde selon une échelle de valeurs obsolète qui varie selon les circonstances, il est tantôt conciliant et laudateur, tantôt râleur et émeutier, parfois pragmatique et égocentrique aussi, il crie à l'intérieur des stades «one-two-three vive à l'Algérie» et le lendemain même ferme la route pour demander du logement ou des services, scande des slogans hostiles aux symboles de l'Etat et aux politiques de tous bords, il banalise le sérieux, il cherche le travail et le refuse en même temps donnant à l'autre (l'étranger) une fausse image de fainéant et de je-m'en-foutiste, bien pire, il compte assez souvent reconquérir les rouages administratifs par les moyens douteux qu'il dénonce par ailleurs, il critique et blasphème dans le besoin mais se montre joyeux et dithyrambique envers les autorités dès qu'il se voit octroyer un droit, c'est-à-dire son droit conçu comme un privilège ou un luxe! Bref, il s'implique à son corps défendant dans la déliquescence du système qu'il rêve bizarrement de voir réformer sans qu'il y participe bien sûr! (voir à ce propos l'excellent article du Dr Amara Khaldi, changer sans agir, le Quotidien d'Oran du 03 janvier 2013). Indubitablement, on voit à l'œuvre comme «une opération de destruction massive de la société», tacitement concertée de part et d'autre (autorités et masses) sans jamais être ouvertement assumée par personne! La nomenclature se tire une balle dans le pied en croyant corrompre le citoyen lambda et celui-ci se suicide lentement et à son insu en pensant s'arracher sa part du gâteau par la ruse, les dessous-de-table et la débrouillardise! Cependant, en haut lieu, les jeux sont déjà faits, le spectacle se révèle conséquent avec lui-même, il est, du reste, obscène et nauséabond : une enfilade de coups tordus, de petites vilenies, parfois même de turpitudes s'enchaîne à perte de vue dans un climat délétère et kafkaïen qui rappelle à n'en point douter celui des républiques bananières où la loi a très peu de place, où l'apparence des choses sape le fond des problèmes, où la rente des hydrocarbures a discrédibilisé l'effort, où l'informel a ravagé le formel et l'a mis à la traîne, où également l'autorité de l'Etat est sérieusement infiltrée, voire infectée par diverses influences malsaines! Ironie du sort, comme réaction élitiste d'urgence, le discours des «politiques» s'est dégradé jusqu'au point où on ne fait plus le distinguo entre une blague et une déclaration politique, une promesse et une badinerie, une métaphore courtoise et une attaque blessante, sans doute, un daltonisme total nous renvoyant aux affres de la mauvaise gouvernance! Or, comme le rappelle bien le philosophe Albert Camus «les choses mal nommées ajoutent à la souffrance du monde!».De même, l'épisode vaudevillesque de la disparition des formulaires de candidature de Rachid Nekkaz à l'enceinte même du conseil constitutionnel, un précédent qui rappelle celui de Ahmed Taleb Ibrahimi en 2004 est un indice du niveau inquiétant du non-sérieux et de magouilles institutionnelles en Algérie, bien que les méthodes soient différentes, la finalité est, semble-t-il, la même en bout de course. Pour cause, le consensus est affaire d'allégeance et non de compétence ni de probité non plus, la culture d'Etat est sacrifiée sur l'autel des compromissions pour celle du pouvoir, celui-ci enivre, grise et dérègle les esprits à telle enseigne qu'il ait momifié la pensée de nos cadres et de nos élites! Hélas, c'est douloureux de le reconnaître en ce papier, l'Algérie d'aujourd'hui n'a guère d'hommes d'Etat, elle réfléchit autour d'elle des lueurs du pessimisme, exhale des odeurs du khobzisme et croule sous des tonnes de fatalisme! Par ailleurs, les tiraillements des alliances entre l'Establishment et la présidence ont escamoté les débats de fond sur la corruption, les enjeux économiques de l'après-pétrole, la société de connaissance à l'ère de la mondialisation-laminoir, l'avenir de l'Algérie au milieu des foyers de tension régionaux…etc! On dirait que ce quatrième mandat est agité comme un fantôme en face de tous ceux qui osent évoquer, ne serait-ce que du bout des lèvres, une possible refonte globale ou «un aggiornamento» du régime politique mis en place depuis l'été 1962! En un mot comme en mille, le pays s'apprête à Dieu ne plaise à un naufrage politique sans aucune bouée de sauvetage! Mais une question pertinente se pose et s'impose d'elle-même après tout d'autant que la perspective de la candidature du président sortant est désormais scellée : y-a-t-il vraiment conflit entre le corps de la D.R.S et le clan présidentiel ou tout ce grabuge médiatico-politique n'est qu'un écran de fumée afin de fuir sinon dissiper le marasme algérien en esquivant les débats de fond? Car, si le secrétaire général du F.L.N Amar Saâdani a ouvert le bal des incriminations en tirant à boulets rouges sur la D.R.S et son chef, le président Bouteflika a rectifié le tir en se se mettant à défendre bec et ongles l'intégrité de l'institution militaire! Donc, où est le problème? Serait-on donc face à de simples tripatouillages verbaux ou ne seraient-ce seulement ici que des stratégies de diversion bien ciblées? En vérité, dès son investiture à la tête de l'Etat en avril 1999, le président Bouteflika, très connu pour ses accointances aussi bien avec le courant des réconciliateurs qu'avec les initiateurs de la plate-forme de Sant'Egidio à Rome en janvier 1995 (notamment feu A. Mehri) et ses penchants rancuniers vis-à-vis de l'institution militaire qui l'avait écarté de la présidence en 1978, à la mort de son mentor Houari Boumédiène (1932-1978) en faveur du colonel Chadli Bendjedid (1929-2013) (l'officier le plus âgé avec le grade le plus élevé) en lui créant d'insolubles démêlés avec la cour des comptes, s'est employé de toutes ses forces à calquer le modèle tunisien de «sécuritocratie» cher à Ben Ali au processus militariste du régime algérien, à cet effet, le corps de la police est de plus en plus renforcé, les indéboulonnables officiers de l'establishment sont systématiquement mis à la retraite, l'autorité du maire est minorée au profit de celle du sous-préfet! Une atmosphère de guerre larvée où chacune des deux parties est sur ses gardes (présidence, armée)! Un véritable maillage sécuritaire mis en perspective pour contrecarrer la mainmise de l'armée car le locataire du palais d'Al-Mouradia le sait mieux que quiconque : l'Algérie est presque le seul pays dans l'espace arabo-musulman avec l'Egypte où la grande muette, fortement structurée est la faiseuse des présidents, où le civil n'a pas voix au chapitre! Sa critique au vitriol de l'arrêt du processus électoral enclenché en décembre 1991, dépeint comme «une première violence» va dans ce sens. Elle dénote non seulement une certaine approche conciliante ou conciliatrice avec le courant islamiste mais aussi et surtout une mise en garde intelligente envers les hauts officiers de l'armée! C'est pourquoi, le président, fort de son aura internationale, s'est mis à parcourir les capitales du monde pour redorer le blason d'une Algérie perdue mais aussi donner un coup de pouce à une nomenclature véreuse et corrompue, responsable à bien des égards de la tragédie nationale en contrepartie, bien sûr, du retrait de celle-ci des affaires. En même temps, il a voulu redonner un second souffle au pays mais bizarrement avec «un présidentialisme exacerbé», à mille lieues des sirènes démocratiques de nos ères modernes puisque le parlement n'est perçu autrement que comme «une assemblée-croupion», voire une caisse de résonance qu'il (le président) muselle avec des décrets et des ordonnances à tout bout de champs. A cet effet, il a avancé à petits pas, doucement, s'est peu à peu infiltré dans les dédales et les rouages du fameux «système», il ne fut pas prêt à être «un trois-quart du président» comme il le déclare si souvent! Beau rhéteur, il a charmé, embellie financière du début 2000 aidant, une jeunesse sans repères en lui miroitant des lendemains meilleurs mais il a vite déchanté : la précarité est là, l'incompréhension, la hogra jamais effacées, la réindustralisation du pays reportée sine die, l'agriculture souffrante, le chômage grimpe, les plans de relances économiques phagocytés par la machine de la corruption, le pays bien que stable ne s'est pas remis sur les rails de la bonne gouvernance…etc. Côté sécuritaire, Bouteflika est allé en bidasse armé de la bonne parole sur le terrain miné du terrorisme, entre temps, le projet de la réconciliation nationale, hérité de «la loi de Rahma» du général Lyamine Zeroual est vite pondu dans les coulisses mais hélas peu discuté car le sort des disparus demeure flou, le statut des victimes non clarifié, les responsabilités des uns et des autres dans la guerre civile (1992-2000) peu élucidées, de plus, ni commissions probatoires ni comités d'investigations à l'image de celle du Chili ou de l'Argentine en Amérique Latine n'ont vu le jour. En un mot, ce fut un projet bâclé quoi! Certes, le président Bouteflika fut un choix forcé sinon, pourrait-on dire, le moins mauvais des choix pour l'establishment mais il n'en reste pas moins doué pour les compromis d'autant qu'il arrange les intérêts des uns et des autres dans le grand jeu des équilibres claniques, le seul inconvénient pour les caciques, c'est qu'il s'est ingénié avec une rare habileté à garder le cap sur son approche foncièrement civile du pouvoir! En ce sens, le premier et le deuxième mandats furent des luttes très dures au plus haut sommet de l'Etat. Néanmoins, une erreur dans le casting est observée durant le troisième, lequel fut d'ailleurs un non-sens à plus d'un égard (la constitution fut remaniée pour cet unique objectif) : son clan accusé de corruption est désigné à la vindicte médiatique, les scandales financiers éclatent au grand jour, une odeur de tribalisme se dégage des gouvernements successifs, la démocratie est restée à l'état de slogan, la maladie le ronge, le pouvoir de «la rumeuro-cratie» s'est accru et la patrimonialisation du pouvoir tend à devenir une évidence! Le pire, c'est qu'à chaque rendez-vous électoral, le président recourt au satisfecit des «décideurs». De là découle une absence totale de visibilité politique entre le civil qui essaie de mettre les militaires en quarantaine et ce même civil qui s'appuie sur ces ces derniers pour se maintenir au pouvoir! Un jeu de chats à souris, digne des dessins animés et qui, une fois terminé met en émoi les masses, lesquelles s'adonnent aux rumeurs les plus folles! Il semble que cette histoire des clans est vieille et enracinée à jamais dans les mœurs collectives de nos dirigeants et tient ses racines anthropologiques des aguellides (guerriers) numides (voir à ce sujet mon article, le divorce des élites en Algérie, El Watan, le 10 décembre 2011)! Et comme cerise sur le gâteau, la ridiculisation de la participation politique multipliée aux effets pervers des plans bidons de l'A.N.S.E.J a rabaissé la conscience générale au niveau du «végétarisme» le plus crasseux. La course derrière les privilèges, les fortunes mal-acquises, les pot-de-vin, le tissage de réseaux de connaissance dans le système informel ont réduit en peau de chagrin l'espace de la légalité et de la transparence! Les jeunes, les grands lésés du systèmes politico-social en vigueur, veulent tous, bien malgré eux, partir ailleurs parce que tout les dégoûte, tout sent le vomi, tout révèle une façade en trompe-l'œil. Ils souffrent de l'incompréhension, du mal-logement, de la mauvaise prise en charge de leurs doléances, ils veulent fonder des foyers, se marier, avoir des enfants, être responsables dans leur pays, présider aux destinées de cette nation, participer à sa gestion mais il y a loin de la coupe aux lèvres! Car, l'inflation a détruit tout pouvoir d'achat, la misère ayant gagné les catégories les plus mal loties de la population arrive maintenant à une classe moyenne, déjà quasi inexistante! En face de cet hideux revers de la médaille, des têtes de partis-godillots s'envoient des invectives en nous étalant et peccadilles et chamailleries, et broutilles et pacotilles. Le linge sale est, toute honte bue, désormais lavé en public. La citoyenneté est niée, déniée, ignorée, méprisée et, le comble, prise en otage dans une forme de rabotage politicien systématique! Sans conteste, le président Bouteflika est resté à la gare de l'histoire, puisque le train étant déjà parti loin avec ses locomotives sans qu'il s'y accroche, il a promis dans son discours de Sétif en 2012 de passer la main à la jeunesse mais il n'a pas tenu parole, les générations futures s'en souviendront à merveille et lui tiendraient rigueur. Car, c'est de l'avenir et de la stabilité du pays dont il s'agit! Absolument. Kamal Guerroua