Ecrit par El Watan 2014 Depuis le 23 mars, Amar Ghoul et Amara Benyounès sillonnent l'Algérie et la France, en super VRP de Abdelaziz Bouteflika. Liés le temps d'une campagne, le seront-ils encore après le 17 avril ? C'en est presque trop. «Mon ami», «mon frère», «mon compagnon», «mon collègue»… c'est tout le champ lexical de la complicité qui défile quand ils s'affichent ensemble. Partout où ils passent, la même scène se reproduit. Amar Ghoul et Amara Benyounès forment le tandem le plus atypique de cette présidentielle. L'un et l'autre dirigent des partis récents de la majorité. L'un et l'autre sont de jeunes ministres. Concurrents sur le papier, ils semblent s'être répartis pour cette campagne. Amar Ghoul, le bon, le gentil, le tendre. Amara Benyounès, la brute, le cogneur, le provocateur. Le premier embrasse, étreint, sourit, serre des mains. On l'embrasse, on l'étreint, on lui sourit, on veut le toucher. Ce samedi 5 avril à Lille, la star, c'est Amar Ghoul. A peine entré dans la salle Alain Colas où se tient le meeting commun avec le numéro 1 du MPA, Amara Benyounès, voilà qu'un enfant se précipite vers lui sur scène. Le leader du TAJ l'embrasse de bon coeur. L'installe sur ses genoux. Entame la conversation et chuchote on-ne-sait-quoi à son oreille. Pendant ce temps, l'assistance s'impatiente. Le meeting a déjà du retard. Sur l'estrade, le chef du protocole hésite : faut-il intervenir ? Il finit par trancher : la campagne d'abord ! Le voilà qui avance et lui arrache des bras l'enfant, qu'il restitue à ses parents. L'hymne national retentit dans les haut-parleurs. Quelques minutes plus tard, le représentant de Abdelaziz Bouteflika prend la parole pour défendre le programme de son candidat. A l'étranger, il fait la promesse de billets moins chers pour l'Algérie. Il assure que la communauté expatriée bénéficiera de l'ANSEJ et de programmes de logements spécifiques. Il garantit que des filiales des banques publiques ouvriront hors du territoire national, pour permettre aux Algériens, où qu'ils soient, de gérer au mieux leur épargne en dinars. C'est encore Amar Ghoul qui vante la garantie obsèques et rapatriement pour ceux qui désirent que l'Algérie soit leur dernière demeure. A Lyon, à Marseille, à Bruxelles, à Lille et à Paris, ses discours font un tabac. Et pour cause, il a le beau rôle : c'est lui, le généreux orateur. Alliance A ses côtés, Amara Benyounès enfile le costume du bagarreur. Il distribue les coups. Aux opposants, aux anti-4e mandat, à Barakat. Des coups, il en prend aussi. Pendant la tournée européenne du duo, c'est Amara Benyounès qui est systématiquement pris pour cible. A Lille comme à Paris, la température grimpe quand il s'approche du micro. A chaque fois, c'est là qu'une poignée de manifestants déploie ses banderoles pour crier des slogans hostiles au régime. «C'est parce que ces gens-là sont du RCD et du MAK», avance l'un de ses proches. Une demi-vérité. Le 6 avril, ceux qui font irruption dans la salle de l'hôtel Méridien à Paris se réclament du Collectif Citoyen pour l'Algérie. Si certains reconnaissent militer au RCD, nombre d'entre eux affirment ignorer que c'était Amara Benyounès qui parlait au moment de leur action. Lui n'en a cure. Il continue de cogner. Il manie autant l'uppercut que le coup de poignard dans le dos. Uppercut quand il lance en meeting, face aux manifestants : «Laissez faire, on est habitués, c'est la minute Facebook et Youtube.» Coup de poignard quand il lâche au détour d'une prestation télévisée que les anti-4e mandat s'invitent aux meetings de Bouteflika, car ils sont incapables de faire le plein par eux-mêmes dans la rue. Amar Ghoul, Amara Benyounès : l'histoire d'un duo qui s'est bien trouvé pendant cette campagne. A chaque étape, le leader du TAJ rend hommage à son «ami» du MPA, et inversement. L'alliance de circonstance survivra-t-elle à la campagne ? Sur le papier, tout laisse à penser que non. Les deux hommes ont sensiblement le même âge. 53 ans pour Ghoul, 56 pour Benyounès. Le premier est un scientifique, spécialiste en génie nucléaire. Le second est un pur économiste. Si les deux hommes affichent une entente à toute épreuve, leurs équipes, elles, peinent parfois à se coordonner. Illustration à Paris, le 6 avril, où les équipes du MPA annoncent l'annulation du meeting du lendemain à Batna. Celles de TAJ soutiennent quant à elles que la réunion aura bien lieu. Rivalités Cafouillage durant une dizaine de minutes avant que Twitter vienne arbitrer le match : le compte @Bouteflikacom, fil officiel de Abdelaziz Bouteflika, confirme que «pour des raisons purement logistiques, Messieurs Ghoul et Benyounès ne pourront pas se déplacer à Batna». Entre temps, la rivalité des entourages a éclaté au grand jour. Une rivalité confirmée en off par un responsable de campagne estampillé FLN : «Chacune des équipes veut prendre le lead sur l'autre.» La rivalité se ressent aussi au niveau des militants, aussi. Mardi 1er avril, 8h, au siège de TAJ, à Ben Aknoun (Alger). L'heure du départ approche pour Tizi Ouzou, pour les deux représentants de Abdelaziz Bouteflika et leurs partisans. A l'intérieur de la villa qui jouxte le ministère des Finances, une jeune fille s'impatiente. «Vous attendez les adhérents du MPA pour partir ?», demande-t-on. Eclat de rire dans la grande salle du rez-de-chaussée. «Ah non jamais !, répond la militante du TAJ. On ne les laisse pas entrer ici, ce sont des concurrents.» Drôle de campagne où la main gauche se méfie de la droite. Jusqu'au 17 avril, il faut applaudir de concert. Et après ? Neila Latrous