« Il faut changer de peuple! » a dit récemment K.Daoud, écrivain et chroniqueur (et récidivé ce jeudi); plus de deux décennies avant lui, S.Saïd, à l'époque président d'un parti, s'était écrié: « nous nous sommes trompés de société! »; N.Boukrouh, qui représentait un autre parti, avait, quant à lui, parlé de « ghâchi ». Trois personnalités différentes. Fines plumes, douées de lucidité et d'un remarquable esprit d'analyse, elles ont aussi en commun leur foi en la démocratie. J'ajouterais volontiers en leur faveur le fait qu'elles résident là, avec nous, partagent nos joies (si rares), nos frustrations et déconvenues (quotidiennes, celles-là!), nos espoirs aussi( ténus mais farouchement tenaces); ceci pour les différencier de ceux qui, les deux pieds de l'autre côté de la mer, affirment que « le peuple algérien est merveilleux » mais s'exaspèrent de la lenteur que mettent les « singes » à « devenir des hommes » (Darwin en aurait avalé son chapeau!) _ feu Boudiaf, lui par contre, brûlait en 1954 de déclencher la révolution armée, quitte à prendre pour cela la tête d'une troupe constituée de primates de la Chiffa _; il y a une différence entre la classe et l'inélégance. Paradoxalement, ce sont toutes ces qualités qui ont nourri ma perplexité. Diable, me suis-je dit, pourquoi des gens de cette stature se plaignent-ils autant de leurs compatriotes, jusqu'à en désespérer? Comme leurs commentaires suivaient des élections, j'ai pensé que c'était marque de dépit (ô combien compréhensible et légitime), au vu des résultats de celles-ci, mais l'argument m'a semblé un peu court. Puis 1789 m'est venu à l'esprit, l'insurrection du peuple français contre la monarchie _ tous ces gueux affamés, armés qui d'une fourche, qui d'une faux, à l'assaut de la Bastille_ , et je me suis questionné, en intégrant les « révolutions oranges » modernes et les « printemps arabes »confus, sur les fantasmes que l'élite intellectuelle souvent nourrit à l'égard des masses populaires. Mais qu'est-ce un peuple? Le Larousse offre la définition suivante: ensemble d'hommes habitant ou non sur un même territoire et constituant une communauté sociale ou culturelle. Une sorte de cohabitation, plus ou moins agréée, entre des individus doués de tares et de qualités; des êtres humains capables d'indécision ou de détermination, de peur ou de fougue, de force ou de faiblesse, de sagesse ou d'impatience, de candeur ou de roublardise, de traîtrise ou de loyauté, certains croyants et d'autres athées, tous ayant droit à une place au soleil dans leur pays. Ce n'est, par conséquent, ni une armée homogène et disciplinée qu'on dresse comme un seul homme sur ordre de la hiérarchie, ni un cercle de lettrés qu'un pamplet incendiaire brillamment rédigé fait applaudir dans un salon; a contrario, la parole peut induire en lui des réactions insoupçonnées ( rappelons-nous l'effet dévastateur des discours de A.Belhadj), mais le pouvoir n'autorise pas de l'accorder à ceux qui lui opposent contradiction. Aussi, mis à part les kabyles qui ont toujours envie d'en découdre avec celui-ci _ on se doit de leur reconnaître la constance et la ténacité dans leurs revendications ( même si certaines sont contestables), leur formidable capacité à se mobiliser, et leur bravoure guerrière _ , ou les chaouïas à l'orgueil légendaire, force est de reconnaître qu'il ne faut pas attendre de notre société le soulèvement salvatoire évoqué plus haut. Il y a plusieurs raisons à cela, connues pour la plupart (traumatisme des années noires, fatalisme, paresse, etc...); on pourrait même avancer qu'une bonne fraction serait réfractaire à l'idée de démocratie, car ce terme requiert automatiquement un sevrage de la mamelle nourricière à laquelle l'Etat l'a habituée ( et Dieu sait combien ce dernier est connu pour être fin connaisseur en la matière; on a tous en mémoire comment il a su retourner l'égérie d'un parti d'opposition, mais aussi bien des hommes que l'on croyait irréductibles). Sur quoi s'appuyer alors pour provoquer le changement? Quelques pistes en vrac. Il y aurait déjà ces mouvements (politiques, sociaux) inattendus, qui ont vu le jour avec les dernières élections présidentielles, et qui conservent encore leur vitalité quoi qu'on en dise. On peut également, par exemple, songer à vulgariser, en l'adoptant soi-même d'abord, la doctrine de S.Hessler qui, dans son essence, appelle à la résistance citoyenne quotidienne. Il y a la voie de l'oralité, avec toute sa puissance (mais qui induit la répression sauvage). Il faut, dans tous les cas de figure, surtout ne pas baisser les bras; continuer d'écrire, d'éveiller les consciences (un travail pédagogique de longue haleine, frustrant), de se concerter, de s'associer, de se regrouper, de revendiquer sans violence _ ce sont autant de formes de militantisme_. Continuer de déshabiller les rois, et d'en rire; le contexte s'y prête d'ailleurs, grâce à une manne tombée du ciel (sans jeu de mots); en effet, avec Wikileaks, les juges milanais, les révélations récentes faites en France relatives aux biens que certains de nos pontes posséderaient là-bas (et même, semble-t-il, au Maroc et ailleurs), avec aussi des personnalités de la trempe de Monsieur Mellouk qu'on promène de tribunal en tribunal depuis plus de vingt ans sans réussir à l'infléchir, la tâche apparaît plus faisable, voire plus passionnante ( d'autant que tout ne semble pas encore avoir été mis sur la place publique). Il y a, dans cette stratégie, une réelle note d'espoir; ajoutons à cela que ceux qui parviennent à l'âge de voter, accrocs au web, ne s'en laissent pas conter car l'information leur vient de partout, presqu'en temps réel. Le pouvoir a la force et l'argent; il a contre lui la biologie, le dynamisme des générations montantes et leur obstination à vouloir vivre au 21ème siècle; il est perdant (et il en est conscient), mais ne saurait changer, quitte à brûler Rome. Alors, du nerf et de la patience, et continuons de tisser méthodiquement notre toile autour de lui; harcelons-le, cernons-le jusqu'à l'étouffer avec les preuves de ses délits et de ses ignobles mensonges; amplifions sa honte et sa panique jusqu'à ce qu'il en perde le sommeil, en faisant de sa vassalité envers l'ex colon (une flagrante repentance en sens inverse de celle dont il nous berce périodiquement) un motif de dérision permanent. Une véritable guérilla urbaine avec pour seules armes le verbe et la parole. Qu'il perde de son assurance en sachant que l'on sait, qu'il n'ose plus lever les yeux sur ce peuple par lui trahi, que le fruit de ses rapines lui soit amer, que la peur de l'Au-delà le terrorise.Le peuple, c'est chacun de nous, c'est nous tous. Cette terre est la nôtre, nous n'en avons (ni n'en voulons) pas d'autre; quand ces bandits sans honneur partiront ( et ils partiront!), nous fermerons les frontières pour qu'il leur soit interdit (ainsi qu'à leurs progénitures) de venir polluer notre air. Nous sommes, depuis les élections d'avril 2014 (où le pitoyable le disputa au burlesque pour nous faire jouir férocement), déjà les vainqueurs. Tissons, mes frères, tissons! Sans relâche. Bacha Ahmed, retraité