Il s'agit, ci-dessous, d'une loi dont l'étrange méconnaissance a, certainement, couté (la perte de droits) à nombre* de compatriotes. I- La loi -ou, plus exactement, l'exigence juridique- dont nous traiterons, ci-dessous, est singulière en ce qu'elle est, tout à la fois, scrupuleusement appliquée –dans toute une pratique de l'administration publique- et particulièrement ignorée. ‘Ignoré' dans le sens non pas de ‘méprisé' mais dans celui que la langue de Yathrib exprime par ‘majhoul'. Le rapport au fonctionnaire, mentionné dans le titre, tient en ceci : cette obligation est rigoureusement observée dans la décision qui se prend, par l'employeur, au terme de la période du stage effectué par l'employé. Ce rapport est tellement fort qu'on peut affirmer, sans trop craindre d'être excessif, que la loi1 en question compte, certainement, parmi celles que les stagiaires de la fonction publique sont les plus nombreux à connaitre -tout au moins, à l'approche du terme de leurs périodes d'essai et dans ce que contient le Droit du travail. Concrètement, ce savoir –à notre connaissance, largement répandu- consiste en ceci : si son stage s'est achevé sans que nulle décision n'ait été prise, alors le concerné peut ne plus se faire le moindre souci au sujet de sa titularisation –celle-ci lui est acquise. Le lecteur possédant un certain savoir juridique, en principe, devrait pouvoir le deviner, il s'agit de l'exigence de non-rétroactivité des actes administratifs. ‘Devrait', car nous parlons de l'une des règles les plus centrales que le système juridique impose à l'Autorité administrative ; mais, ‘en principe', car on pourrait trouver troublant d'avoir à constater combien elle est ignorée –ce dernier point est, d'ailleurs, ce qui fait l'intérêt du présent papier. Nous disions que cette règle est strictement respectée quand il s'agit des procédures de titularisation dans la fonction publique. S'il y a le moindre doute là-dessus, alors que le lecteur ait l'amabilité d'essayer de trouver des ex stagiaires qui n'auraient pas été confirmés et dont la décision de non-titularisation n'aurait été prise que postérieurement à la clôture de la période de stage, c'est-à-dire : rétroactivement. On pourrait même chercher s'il en existe dont le stage aurait été reconduit avec un tel manquement, à la règle qui nous préoccupe. A supposer qu'on en trouve quelque peu, voyons s'il y en a qui auraient déposé un recours contentieux dans le but d'obtenir l'annulation de l'acte litigieux. Le cas échéant, y a-t-il risque d'en trouver qui n'auraient pas obtenu gain de cause ? Cette éventualité –pour le moins, en principe- est d'autant plus insignifiante –pour ne pas oser dire : nulle- que, dans les juridictions administratives, on juge en collège, et pas en solitaire. Quoi qu'il en soit, un fait est incontestable : le Juge administratif qui n'annulerait pas une telle décision –en supposant la requête déposée dans le total respect des conditions (formelles) de recevabilité- commettrait, lui-même, une infraction à la loi. Donc, d'une part, il est très peu probable de trouver des non-titularisations –nous parlons de la fonction publique- qui auraient été prononcées rétroactivement, mais, de l'autre, il n'est point malaisé de pouvoir se rendre compte de la force avec laquelle est ignorée la non-rétroactivité exigée de l'Administration. Pour se faire une idée de cette ignorance, interrogeons ceux-là-mêmes qui décident des titularisations –qu'ils soient signataires des actes ou membres des commissions consultatives. Nous sommes en présence d'une exigence juridique qui est méconnue jusque par ceux-là-mêmes qui l'appliquent d'aussi près que nous venons de le dire -les exceptions, plus ou moins nombreuses, relevant de ce qui fonde, souvent, les généralisations. Ceci étant, quand l'on sait quel est le poids de la fonction publique, dans l'emploi national (algérien), et l'on imagine le nombre de titularisations faites dans ce secteur, depuis l'indépendance du pays, on peut parler d'une étrange ignorance, d'un curieux phénomène. II- Comprenons bien que nous affirmons lerespect de la non-rétroactivité dans les procédures de (non)titularisation, d'un coté, et la méconnaissance du principe de non-rétroactivité des actes administratifs, de l'autre. Mais, en insistant sur ceci, comprenons, aussi, que nous poussons à ce qu'on nous rétorque par la possibilité que la rétroactivité dans ce domaine –donc, abstraction faite, naturellement, de celle relative à la Loi- ne soit interdite que pour une action ...et une action qui ne concerne que les fonctionnaires stagiaires. La remarque sera de taille étant donné la modeste2 proportion de ces derniers, dans le nombre total des salariés exerçant sur le territoire national. Elle le sera d'autant plus qu'on ne pourrait qu'y ajouter le fait que la totalité des décisions administratives émises, ou susceptibles de l'être, ne s'épuise pas –loin s'en faut !- dans celles se rapportant, exclusivement, au statut de salarié. Pour éviter cette éventuelle opposition, remarquons que pour que la possibilité, qui lui correspond, puisse se réaliser, il aurait fallu que la règlementation interne à notre fonction publique contienne un minimum de référence à cet interdit, une règle le mentionnant. Et même ceci, le cas échéant, ne serait pas suffisant –puisqu'il ne signifierait aucunement pas que le même interdit ne se retrouve pas dans nombre d'autres Règlements, ou autres Codes. Or, il n'en est rien. On peut tourner et retourner à volonté ladite règlementation, on n'en trouvera aucune trace. Ainsi, les instances ayant autorité de confirmer (ou non) ces employés ...respectent une obligation dont ils ne trouveraient, nulle part, la preuve (écrite). En conséquence, on peut retenir que cette norme, si respectée dans les actions de confirmation d'un si important corps de travailleurs, n'est point spécifique à l'employeur correspondant -et, encore moins, à ces dites actions. Maintenant, il nous reste à tenter de comprendre –tant soit peu- pourquoi elle est si foncièrement ignorée. Nous avons dit qu'elle ne se trouve dans aucun texte règlementant la Fonction publique. Nous pouvons, maintenant, poursuivre en disant qu'elle ne se trouve dans aucun des textes législatifs régissant l'Etat algérien –ou, pour le dire en termes un peu plus concrets, notre vivre ensemble (national). Elle ne se trouve pas, non plus, dans autre des actes émis par le Gouvernement. La raison de cette absence est, d'abord, dans le fait que le Droit, dans ses sources, ne se réduit pas à son existence dite ‘formelle', autrement-dit : écrite. Abstraction faite des traités internationaux et de la Constitution, il ne se réduit pas aux lois proprement dites, celles nécessitant le vote du Parlement, auxquelles s'ajoutent tous les règlements (ordonnance décrets, arrêtés et circulaires) édictés par le Pouvoir exécutif. Ensuite, parmi les autres sources où le système juridique puise, les sources dites ‘informelles', il y a –en plus de l'importante coutume- ce qu'on appelle les ‘Principes généraux du droit' (PGD). Et ces principes comptent, dans leurs principales caractéristiques, celle de s'imposer sans avoir besoin de faire l'objet du moindre texte législatif. Or, il s'avère que le principe qui nous préoccupe –celui de la non-rétroactivité des actes administratifs- en est un. De surcroit, et cet attribut est essentiel, nous sommes en présence d'un PGD compris –absolument !- dans ceux que la Cour internationale de Justice (CIJ), dans l'article 38 de son statut, nomme « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». D'une part, sauf à s'oublier dans le manqued'objectivité, le lecteur ne peut douter que la CIJ classe l'Algérie parmi ce qu'elle entend par « nations civilisées ». Il y a, d'ailleurs, longtemps que cette juridiction a rompu avec la tradition partageant le monde entre un Occident, civilisé, et un reste du monde, plus ou moins barbare ; est désormais ‘nation civilisée', toute communauté humaine érigée en Etat. D'autre part, ces PGD dont parle la CIJ sont ceux explicitement exprimés par l'article 21.1.C du statut de la Cour pénale internationale (en 1998), à savoir « les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde ». Autrement-dit, la non-rétroactivité des actes administratifs est –autrement plus qu'un principe sur lequel toutes les parties contractantes (les Etats) se seraient mises d'accord, uniquement, pour asseoir le droit international- une exigence juridique interne à tous les droits nationaux de la planète. En conclusion, il est, de par le monde, interdit à l'autorité administrative d'émettre des actes produisant des effets antérieurement à leurs dates d'émission. III- Il reste quelorsque nous écrivons qu'une fois la période de stage entièrement finie, le fonctionnaire –pour lequel aucune décision n'aurait été prise- peut être certain d'être titularisé, nous reconnaissons, nous-mêmes, que la fonction publique titularise en enfreignant cet interdit. Face à ceci, il pourrait être légitime de nous opposer que le principe n'est pas aussi général que son nom l'indique. Plus encore, même là où on l'a dit le plus strictement respecté, il ne le serait pas. En fait, la Fonction publique –et pas uniquement elle- émet une énorme quantité d'actes rétroactifs. On peut même dire qu'une telle pratique relève de la gestion courante. Toutefois, le fait, aussi, est que nul ne peut contester l'énorme distinction qu'il y a -pour le Sujet (de droit) qui en fait l'objet- entre une promotion, événement des plus heureux dans le cours d'une carrière professionnelle, et une révocation –qui en est, probablement, le pire. Entre ces deux types d'acte il y a tout ce qui oppose les décisions favorables aux décisions défavorables. Et c'est cette différence qui explique le nombre d'actes –dont ceux de première nomination, d'installation, d'octroi d'échelons, de nomination à un poste supérieur ...- signés avec une rétroactivité qui se mesure, souvent, en mois. Pour ne pas opposer cette rétroactivité au PGD portant non-rétroactivité, il faut se rappeler, en outre, que le système juridique n'interdit –avec sens- que dans l'objectif de veiller sur les droits (des particuliers) et l'intérêt général. Or, entre deux décisions produisant de l'effet antérieurement à la date où elles sont prises, et dont l'une est défavorable alors que l'autre ne l'est pas, autant la première empiète sur le droit de l'Administré concerné, autant laseconde ne le fait pas. Maintenant, et avant de conclure, pour se faire une idée concrète de ce en quoi un acte rétroactif peut, concrètement, porter préjudice, contentons-nous de l'exemple du fonctionnaire qui, de façon rétroactive, aurait été révoqué pour stage non-concluant. La durée (règlementaire) dudit stage étant strictement fixée, il s'en suit que lorsqu'on décide d'une révocation3, des semaines (voire des mois) après la fin d'un stage, on ne peut qu'être amené à réclamer le remboursement d'un trop-perçu –à savoir, la rémunération encaissée (par l'employé) durant la période écoulée entre la fin du stage et la date de la décision. On ne peut y échapper. Or, nous ne sommes, ici, dans aucun des traditionnels cas de trop-perçu –dont celui du comptable qui continue (par omission) à verser un salaire après une cessation de relation professionnelle, ou celui d'une cessation (de cette relation) qui serait intervenue avant la fin du mois et après le versement du salaire (mensuel) en cours. Deux questions s'imposent ici : D'abord, n'est-il pas évident que, tant qu'on n'a rien décidé au sujet de sa titularisation, tout stagiaire de la fonction publique continue à faire partie du personnel ? Exiger le remboursement d'un salaire légalement dû –en d'autres termes, refuser de payer un travail (salarié) commandé et exécuté- n'est-il pas nier le tout premier droit du travail ? Y répondre, ce qui ne saurait se faire que par l'affirmatif, suffit à montrer en quoi toute non-titularisation, rétroactive, est une injustice ...et la violation d'un droit des plus indiscutables. Nous sommes bel et bien dans une situation où le donneur d'ordre est amené à réclamer le remboursement de rémunérations méritées et légitimement encaissées. A ce qui précède, ajoutons que, pour pouvoir révoquer pareillement, il faut s'octroyer le droit de décider que des personnes soient privées, durant une partie de leur vie d'adulte –le temps s'écoulant entre la prise d'effet de la révocation et la prise de la décision de révocation-, de tout salaire, de tout avancement dans la carrière professionnelle et de toute acquisition de droits à la retraite. Révoquer de façon rétroactive revient à user de ce dit droit. Pour se limiter au cas de la titularisation, la chose revient à considérer que la population des fonctionnaires stagiaires est faite de demi-sujets ...de droit -un genre, dans un monde de citoyens, de demi-citoyens. Ainsi, Ce n'est pas pour de simples petites questions de forme ...que cette non-rétroactivité est reconnue, de par le monde, en tant que PGD. Ce n'est pas, non plus, pour pas grand-chose ...que, face à celle de nombre d'autres PGD, moins importants, sa violation est considérée comme un ‘Excès de pouvoir'. Et un ‘Moyen d'ordre public', que le Juge administratif a obligation de dénoncer ...même lorsque le requérant lui-même ne le fait pas. C'est tout ceci qui nous a autorisés à écrire, plus haut, que le Juge qui refuserait d'annuler une révocation rétroactive, pour stage non-concluant, commettrait une grave entorse au droit –qu'il est sensé (....) appliquer dans tout exercice de son métier. A présent, on peut ajouter qu'il confirmerait une injustice ...alors que, de par sa très noble fonction, il a mission de rendre la Justice. Enfin, et pour conclure, on peut souhaiter que toute victime d'une décision administrative, rétroactive, se défende, et qu'elle remarque que, par ce faire, elle fera –plus que se défendre- œuvre d'utilité publique ...dans une nation qui, plus que jamais, par le passé, a besoin d'une Institution judiciaire à même d'imposer la puissance de la Loi à tout un chacun. ____________________________ * : Je parle de ‘Nombre' non sans preuves en mains. 1- Loi connue en tant que s'imposant aux pratiques de titularisation. Dans tout le texte, ‘loi' (juridique) est entendu dans son sens le plus large. 2- Aussi grande que soit la part de la Fonction publique dans l'emploi total, la proportion des stagiaires –dans ce dernier- est modeste. 3- Révocation pour stage non-concluant.