« Il est ouvert, sur 2014, un crédit d'un milliard cinq cent deux millions DA, applicable au budget de fonctionnement des services du Premier ministre et au chapitre n° 44-01 & 769 » Contribution la résidence d'Etat du Sahel » « , stipule un décret présidentiel signé le 8 juillet dernier, et publié au J.O, apprend-on par El Watan; il est ajouté, dans Algérie-focus, que dans un précédent décret, publié en avril, portant sur les budgets de la Présidence de la République et de tous les ministères (excepté celui de la Défense Nationale), celui relatif à la gestion de la résidence d'Etat du Sahel s'élevait déjà à 745 millions DA. Cette information, en elle-même, ne constitue nullement un « scoop »; elle a trait à une allocation annuelle consacrée à une structure résidentielle de l'Etat, une opération tout ce qu'il y a de plus légale (sous-tendue par un décret présidentiel, et publiée au Journal Officiel); son montant, environ 10 millions d'euros, représente une infime partie du budget total. Elle concerne des frais relatifs à un ensemble de villas et de chalets (Club des Pins etMoretti) situé sur la côte ouest d'Alger. Il n'y a donc pas photo! Il ne s'agit donc point de faits se rapportant à un détournement financier, ou à des pots-de-vin impliquant personnalités nationales et compagnies étrangères (comme ceux dont le DRS nous a gavés dans une période récente ), chiffrant les préjudices à des centaines de millions de dollars. Beaucoup plus que la colère, ces faits avaient, on s'en souvient, engendré la stupeur, l'abattement, et conforté le sentiment général qu'on se trouvait bien dans Bled Mickey; ils donnèrent lieu à une procédure judiciaire, avec juges d'instruction, avocats, mandats d'arrêts, et tout le tutti quanti. Si bien que la question demeure: et alors, pourquoi s'attacher à un banal chapitre du budget de l'Etat dont la dimension financière, modique, ne ferait pas relever la paupière d'un siesteur au mois d'août? La réponse est parce qu'à bien lire l'entrefilet du JO, malgré son caractère laconique, on est pris par une sorte de malaise indicible, une sensation de mal-être, un dégoût de soi, une envie de vomir; on se sent empreint de la perte de repères qui pousse le harrag à défier la mer, entassé avec sa mélancolie dans un Zodiac, si près de sa misère que nous vient aux lèvres cette exhortation: Va, mon frère, tu emportes une partie de mon âme avec toi! Et on réalise alors tout ce qu'il y a d'exécrable dans l'expression « dignitaire du régime »; comment, diable, une République Démocratique et Populaire, issue d'une glorieuse révolution que le monde entier admira, en est-elle arrivée à entacher son aura en cultivant cette désignation jusqu'à l'insoutenable? Car, enfin, nous avons affaire à une catégorie de gens qui possèdent leurs propres habitations, et jouissent de revenus appréciables.Ministres en exercice et à la retraite, hauts responsables, responsables d' « organisations de masse », directeurs d'entreprises publiques, et même, semblerait-il, de simples « amis », sont les locataires attitrés de ces lieux de villégiature. Ces gens n'auraient-ils point une conscience qui leur interdirait pareille frivolité; ne seraient-ils pas sensibles à l'opprobre qu'ils s'attirent de la part de leurs concitoyens? Ne savent-ils pas qu'en cas de disgrâce, ils seront sommés de déménager dans l'humiliation? En sommes-nous encore, en 2014, à parler d'organisations de masse, et à choyer leurs rabatteurs?A quoi servent ces dix millions d'euros que l'Etat, seul coupable dans ce cas précis du train de vie qu'il offre à ses thuriféraires en échange de leur servilité, prélève sur le Trésor public? A payer les jardiniers ou les agents de sécurité de cette enclave (que les géologues qualifieraient de discordance), à veiller que nul sachet ou bouteille de plastique ne vienne choquer les yeux des épouses de ces vauriens quand elles circulent le long de ses avenues, à changer l'eau de leurs piscines après chaque plongeon? Quel que soit le prisme selon lequel l'information est analysée, celle-ci porte préjudice à l'Etat. Ainsi, d'un point de vue politique, une telle réalité, ridicule par son obsolescence, inspire la honte, parce qu'elle fait tristement référence à cette idéologie socialiste qui confère « le pouvoir au prolétariat », mais n'accorde de privilèges qu'à ses apparatchiks. Et c'est pour cela que ce montant de dix millions d'euros, malgré sa relative modestie, a plus d'impact psychologique sur la société que les bakchichs cités plus haut. Dans son volet économique, l'évidence d'une aberration est criarde. Ces structures, que beaucoup de pays nous envieraient pour leur apport conséquent en devises fortes (et qui donneraient un peu de couleur à un secteur du tourisme bien mal en point si elles lui étaient rétrocédées), sont au contraire consommatrices de dépenses faramineuses en monnaie locale, inutiles et indécentes; il s'agit là d'une des innombrables occasions où l'Etat exprime sa cécité suicidaire, en opérant des choix irrationnels dans l'affectation de ses ressources financières. L'aberration devient outrageante quand on apprend que certaines de ces résidences ont été cédées au dinar symbolique. Les considérations sécuritaires, dont il aurait pu être prévalu dans les années 90 pour assurer la protection des hauts responsables, ne sont plus de mise depuis belle lurette pour justifier l'occupation, sélective et coûteuse, de cette « zone verte ». Luxe aux nantis, cages à poules pour la plèbe: le message en direction de la société renferme une forte odeur de mépris, et s'assimile effrontément à une préférence pour les laudateurs du système par rapport aux « laissés pour compte » dont on ne se souvient qu'aux élections. Les premiers ont acquis des appartements et des biens à l'étranger, se font soigner gratuitement »là-bas », et leurs enfants ont été gratifiés de bourses indépendamment de leur niveau académique; le slogan imprimé au fronton des mairies est ce qu'on a inventé de plus affligeant pour rire des seconds. Les émeutes actuelles à Diar-El Mahçoul, événement d'ailleurs récurrent à chaque distribution de logements, et sur tout le territoire national, sont là pour convaincre de l'incommensurable gap entre l'insolence des uns et la frustration des autres. Ceaucescu, Kadafi, Benali, Pahlavi, Marcos: pourquoi les fins de règne des dictateurs, dont certaines furent tragiques, ne réussissent-elles pas à contraindre nos dirigeants à la méditation féconde? Ce bon vieux peuple sait que A.Bouteflika demeurera impotent pour le restant de ses jours, quel que serait le montant de ses comptes en banque (comptes bancaires dont il n'a d'ailleurs pas livré les numéros dans sa déclaration de candidature à la magistrature suprême!); de même, s'il ignore combien a coûté, à ce jour, le monstrueux projet de la réconciliation nationale, nul ne l'obligera, en revanche, à pardonner à ceux qui le meurtrirent dans sa chair; il ne connait pas, non plus, le nombre de faux moudjahidines, ni le montant de leur pension (le pauvre Mellouk, lui, le sait, et c'est la raison pour laquelle il est menaçé de mort!), mais il sait que l'illicite est éphémère. Des sources étrangères créditent le Président de la République d'une fortune personnelle de 245 millions de dollars (le « drebki » du FLN le dépasserait avec ses 300 millions d'euros présumés!), et de biens immobiliers au Maroc, son pays d'origine; on apprend que son frère Saïd a un faible pour le Petreus à 6000 euros la bouteille, que son autre frère, avocat, a obtenu un appartement en France, à titre gracieux, de la part de Rafik Moumène. D'autres nouvelles, certainement encore plus croustillantes, viendront en leur temps, certainement, et toujours de l'étranger. Pourtant, le monde entier sait que, dans sa fuite précipitée, Benali a laissé derrière lui une armoire pleine de billets de banque, restera confiné en Arabie Saoudite jusqu'à sa mort, et ne rajeunira pas en se teintant les cheveux ( pour l'anecdote, après qu'elle ait quitté les Philippines avec son mari dans les mêmes conditions d'urgence, on a découvert, dans la garde-robe de la femme de Marcos, pas moins de 500 culottes!). Ce bon vieux peuple est éternel; il s'en est toujours tiré « par lui-même, et pour lui-même ». Ses dirigeants oublient que, eux, sont mortels.