« Le discours journalistique algérien demeure porteur de toute une série de procédés destinés à banaliser les échecs et à transmettre les images du pouvoir susceptibles de séduire le lecteur. » Lise GARON* « Il y a deux histoires: l'histoire officielle, menteuse, puis l'histoire secrète, où sont les véritables causes des événements. » Honoré de Balzac Je précise, de prime abord, que je suis attristé par la dernière attaque terroriste en Algérie. D'où, d'ailleurs, cette humble contribution. Et je profite de cette occasion pour passer mes condoléances et mon profond respect aux familles des victimes. Cet acte ignoble de ces takfiristes, qui se sont auto-proclamés « soldats de Dieu » et « défenseurs de l'islam », ne peut être que condamné avec rigueur et sans hésitation, aucune. Il faut savoir que leur lecture de l'islam est partielle et partiale, s'inspirant notamment des textes de certains exégètes qui ne font pas du tout l'unanimité au sein des savants musulmans. Je ne peux développer davantage ceci dans le cadre de cet article. Cela dit, sommes-nous dans l'obligation, quelconque, de soutenir l'armée algérienne sans la remettre en question ? Voilà la question que je me suis posée au regard de ces derniers évènements qui secouent l'Algérie. Mais, en effet, d'autres questions s'imposent: le bilan de cette offensive que mène l'armée est-il réel ou juste une « information officielle » pour remonter le moral des troupes ? Ces informations peuvent-elles être vraiment vérifiées par les médias avant d'être diffusées au grand public? Ces derniers sont-ils juste des relais de propagande au service du pouvoir et son armée ? Je pense que c'est un moment propice pour établir un vrai état des lieux et dresser un bilan sur la situation du pays. Et voir, au passage, où sommes-nous réellement avec la « fameuse » réconciliation nationale, vendue par le système et ses larbins comme étant bien réussie. Pour ce qui est du soutien à l'Armée Nationale Populaire (ANP) dans sa lutte contre ce terrorisme–takfiriste, il faut savoir que c'est le devoir de chaque citoyen. Cependant, il ne faut surtout pas rester là. La question est plus compliquée pour la réduire à un simple slogan (Je suis soldat algérien), qui ne veut rien dire au final, ou une image qui circule sur les réseaux sociaux. D'ailleurs une simple lecture de la « mémoire traquée » d'Abdeikader Tigha (Cf. « Contre-espionnage algérien ») suffit pour voir la question du terrorisme algérien sous d'autres angles qu'occultent les mass médias. D'un côté, nous apprend cet ancien agent du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), il y a la lutte contre le terrorisme, et de l'autre, sombre et loin des caméras, il y a surtout la manipulation et le financement des groupes armés. Le pouvoir tente de se justicier dans le cadre de la « raison d'Etat ». Mais cela reste très difficile, car même cette dernière devrait avoir ses limites dans un Etat de droit. Il faut bien analyser les événements : si on parle de ces neufs soldats assassinés, alors on sait qu'ils sont des hommes enracinés dans la plèbe, sans doute, et méritent notre respect. Mais, est-ce que cela va de soi pour leur supérieur, ceux qui les commandent depuis les grandes villas d'Alger ? La réponse est claire... Ils utilisent le peuple comme une chair à canon. Ils l'ont toujours fait, faut-il le rappeler ! Alors ceux qui jouent en ce moment sur la fibre nationaliste et patriotique pour nous vendre les mérites de l'armée algérienne doivent, impérativement, regarder le sommet de la pyramide et se demander s'ils, les généraux algériens, font ça dans l'intérêt de l'Algérie ou, entre autres, de leurs comptes bancaires ? La réponse, encore une fois, est claire... Par ailleurs, depuis cette dernière attaque terroriste, les médias algériens essaient de nous conditionner dans un état de guerre, contre le terrorisme nous disent-ils. Et nous empêcher de réfléchir loin des raccourcis et des questions passionnelles, qui entravent par défaut toute pensée critique. A en croire les médias, chose difficile si vous êtes initiés dans leur propagande, l'ANP a vengé « ses soldats » en tuant une vingtaine de terroristes, depuis l'attaque d'Ain Defla. Ajoutant que l'armée a aussi récupéré les armes de ces terroristes et des militaires tués. Les médias relatent, dans des boucles à la pavlovienne, cette information sans pour autant montrer les cadavres de ces terroristes. Il faut les croire sur « parole » et prendre leur dire pour argent comptant! Choses étranges dans cette histoire de communication : on a vu à travers les différents médias les cercueils des soldats tués. Cependant, on n'a rien pu voir concernant les corps de ces terroristes, sauf les rares photos où on voit une personne, complètement déchirée par balles, par ci et deux autres par là. Alors que, faut-il le rappeler, la communication du Ministère de la Défense Nationale (MDN) est axée notamment sur ce genre de photos qui montrent des terroristes abattus. Dans ce genre de situation, le MDN, dans sa stratégie de communication-propagande, qui est, plus ou moins sujette à des préoccupations, a toujours usé de la confusion pour ne jamais diffuser la vraie information. Rappelons, au passage, l'attaque terroriste de Tiguentourine, où le bilan « officiel » des victimes changeait chaque minute le long de la prise d'otage ! Cette fois-ci, le MDN a attendu 48 heures pour émettre un communiqué officiel sur cette attaque meurtrière. Entre temps, le silence radio et la confusion étaient pénibles, surtout pour les familles des militaires en service dans cette région du pays. L'ANP, dans sa composante majoritaire et loin de sa haute hiérarchie, ressemble aux pieds du corps humain. Ils ne peuvent désobéir au cerveau qui les commande, sauf en cas de paralysie. L'ANP, comme institution, va toujours soutenir la tête, même au détriment de sa survie, tels les pieds d'un suicidaire bien déterminé. Donc, pour l'instant, il ne faut pas attendre un changement de la part de cette institution. Dans la même optique, je pense que l'intervention de l'armée, pour un éventuel changement, que demande l'ancien Premier Ministre Mouloud Hamrouche, est une chimère qu'il faut oublier à jamais. Cependant, précison s'impose quand on parle de ce dernier. En effet, M. Hamrouche est aussi un militaire et il a été chef de protocole de Boumedienne. En fait, ses appels en faveur de l'ANP sont juste la conséquence logique d'un conditionnement, qui a façonné sa vision du politique. Par ailleurs, l'ANP est bien disciplinée. Certes, la discipline militaire est une vertu dans un pays démocratique, où la Loi est au-dessus des gouvernés et des gouvernants. Mais pas dans un pays comme le nôtre, où les militaires ont toujours marché selon leur propre loi, en étant aux commandes de la nation, avec un bilan négatif, s'il en faut juger. Cela dit, je tiens à signaler que la presse algérienne, qui ne peut survivre que grâce à la manne publicitaire, est juste un pion sur l'échiquier. Les rédacteurs en chef et les directeurs de chaînes de télévision privées savent bien qu'il ne faut jamais dépasser les limites que leur fixe le système. Dans des moments cruciaux comme ceux que vit actuellement l'Algérie, les médias, publics et privés, sont juste le fer de lance du système, un organe de propagande à vrai dire. Au regard de ce que j'ai avancé, le tout me laisse perplexe sur la nature de ces informations que proposent les médias en ce moment. Je pense, pour ma part, qu'il s'agit avant tout d'une offensive médiatique pour s'approprier cet « espace-vide » qui caractérise les mass médias algériens. L'ANP veut l'instrumentaliser pour gagner la sympathie du peuple et faire « booster » le moral de ses troupes. De même, les médias n'ont aucun moyen de vérifier les communiqués du MDN. Leurs sources d'informations sont contrôlées. Il y a une grande opacité qui règne sur les affaires relevant de la sécurité nationale. En effet, ces informations ne peuvent être diffusées sans l'accord du MDN et du DRS Chemin faisant, cette compagne médiatique en faveur de l'ANP essaie de détourner l'opinion publique sur une des questions essentielles que devrait poser chaque algérien : La réconciliation nationale, a-t-elle vraiment réussi ? La réponse est : non. Bien au contraire ! Pour en finir et répondre à ces faux indignés de la presse nationale, je vous propose le discours de John Swinton, qui fut un temps rédacteur en chef du fameux journal « New York Times », lors de son discours d'adieu : « Quelle folie que de porter un toast à la presse indépendante! Chacun, ici présent ce soir, sait que la presse indépendante n'existe pas. Vous le savez et je le sais. Il n'y en a pas un parmi vous qui oserait publier ses vraies opinions, et s'il le faisait, vous savez d'avance qu'elles ne seraient jamais imprimées, je suis payé 250 $ par semaine pour garder mes vraies opinions en dehors du journal pour lequel je travaille. D'autres parmi vous sont payés le même montant pour un travail similaire. Si j'autorisais la publication d'une bonne opinion dans un simple numéro de mon journal, je perdrais mon emploi en moins de 24 heures, à la façon d'Othello. Cet homme suffisamment fou pour publier la bonne opinion serait bientôt à la rue en train de rechercher un nouvel emploi. La fonction d'un journaliste (de New-York) est de détruire la Vérité, de mentir radicalement, de pervertir, d'avilir, de ramper aux pieds de Mammon et de se vendre lui-même, de vendre son pays et sa race pour son pain quotidien ou ce qui revient au même: son salaire. Vous savez cela et je le sais; quelle folie donc que de porter un toast à la presse indépendante. Nous sommes les outils et les vassaux d'hommes riches qui commandent derrière la scène. Nous sommes leurs marionnettes; ils tirent sur les ficelles et nous dansons. Notre temps, nos talents, nos possibilités et nos vies sont la propriété de ces hommes. Nous sommes des prostitués intellectuels. » (Cf. « Vers le Nouvel Ordre du Monde », D. Manifold, pp. 15 et 16) Nabil de S'BIHA * La citation de Lise GARON est tirée du livre « L'Algérie et son destin : Croyants ou Citoyens » de M. Harbi, pp. 221 et 222.