«Les gens appréhendent un nouveau Imam qui viendra parler à la cohorte muette. Trompeuse conjecture ! Il n'est d'Imam que la raison, notre mentor de jour et de nuit» Abu Alaa Al-Maari Les différentes lectures contemporaines de l'Islam, avec leur insistance sur «l'Etat Islamique» comme la solution, leur obsession avec la Shari'a vue seulement en termes de hudûd (châtiments), leurs édictes tout azimut, leur intolérance à la dissidence et à la critique, leur censure politique et leur interprétation du rôle de la femme en général – tout cela a produit un système de pensées qui est complètement déconnecté de l'Esprit du Coran et des Enseignements du Prophète. Ce système de pensées représente l'Islam non pas comme une œuvre totale de savoir évolutif, de conduites sociétales universelles, et d'engagements vers le bien envers l'ensemble de l'humanité ; mais comme un ordre moral totalitaire sous la direction d'un groupe fixé sur une lecture textuelle du Coran ancrée dans un savoir religieux passéiste sans lien avec la connaissance universelle. Historiquement, le pouvoir des théologiens dans les sociétés musulmanes a été en fonction de leur rôle de dépositaires des connaissances religieuses, qu'on peut désigner comme une sorte de banques de données légales. Cette fonction leur permet instantanément de citer le Coran et les hadiths, ainsi que les commentaires, critiques et opinions des juristes classiques. Ils peuvent ainsi porter un jugement immédiat sur une question donnée, tout en justifiant leurs opinions avec des citations miséricordieuses devant une foule médusée dont la parole et l'aptitude au questionnement furent confisquées il y a de cela des siècles. Dans leurs agissements, les théologiens ont non seulement tenu les sociétés musulmanes et la pensée islamique dans un état de dépendance totale, mais se sont érigés aussi en vigiles absolus de l'héritage légal. Afin de se doter d'une rhétorique pour contester la domination des théologiens, les intellectuels musulmans doivent s'engager corps et âme en s'accaparant de nouveaux le champ de jurisprudence, d'y réinterpréter le texte sacré à la lumière des connaissances de l'époque, pour révéler la véritable Nature du Message Divin. L'esquisse de cette contestation intellectuelle devra Islamsuivre les contours suivants : 1. L'islam doit être vu comme un canevas de savoir évolutif enseignant en premier l'Ethique et les Valeurs Universelles, avec le slogan suivant : ETHIQUE en premier, RITUEL en second. 2. La Shari'a, ou «Loi Islamique», doit être vue dans son contexte historique et ne doit être pas élevée au rang divin. Seul, le Coran a un statut divin. 3. Le rejet du concept de Jahiliya moderne. Concept qui a crée un climat d'hostilité permanent au sein des sociétés musulmanes et avec le reste du monde. 4. La dissociation avec ceux qui divisent le monde en Dar-Al-Harb et Dar-l-Silm (Maison de guerre et Maison de Paix) 5. Le mot d'ordre doit être : ni salaf, ni mahdi 6. Le rejet de l'imitation des paradigmes de pensée des théologiens et ceux de l'Occident afin de créer un nouveau mode de raisonnement capable de générer son propre savoir, et contribuer ainsi à donner une alternative viable au monde. Les musulmans doivent comprendre que les générations, et les communautés venues après l'avènement du Prophète, le Sceau de la Prophétie, sont les meilleures de toutes. Dieu n'a jamais fait confiance à un peuple sans prophète. Et il n'y aura plus de nouveaux prophètes, messagers ou envoyés. Pour la première fois, les musulmans avec l'ensemble de l'humanité sont les maitres de leur propre destin et Dieu leur a fait confiance pour avancer sans le secours d'une nouvelle révélation. La seule différence est que cette fois-ci et contrairement aux messagers et prophètes précédents, Dieu a promis de sauvegarder la révélation de son dernier Envoyé. Les musulmans doivent être à la hauteur de l'attente de Dieu. Et ils le peuvent, en faisant appel à leur propre jugement avec force et valeur en réinterprétant et adaptant son message pour leur époque. En conclusion, tant que les intellectuels musulmans n'osent pas porter un jugement conscient sur le présent, tout en regardant le patrimoine dans une perspective critique, sans laisser le passé leur porter préjudice, alors la liberté de pensée et d'action resteront hors de leur portée. Liberté de pensée et d'action dont le grand défi est de défaire la crise existentielle actuelle, celle d'une humanité défendant à corps perdu un mode de vie qui la mène inexorablement à sa perte. Khaled Boulaziz (1) Le titre réfère aussi à une œuvre de N. Boukrouh