«Les nations naissent dans les cœurs des poètes, et meurent dans les mains des politiciens.» Mohamed Iqbal Si l'Occident et ses intellectuels ont étudié l'Islam, à travers tous les siècles en analysant la révélation prophétique à la lumière des sciences; les musulmans n'ont fait de même qu'à de rares occasions. Quand l'approche du matérialisme historique fut appliquée à l'avènement de l'Islam, le philosophe Hassan Hanafi écrit à cet égard que : «Islam sunnite ne constitue qu'une expression historique, car, en fait, l'islam est une seule et même religion qui a reçu des interprétations différentes à travers les siècles et selon les communautés. On peut en parler comme de la religion du peuple dans sa quasi-totalité. L'islam sunnite n'est donc pas seulement l'islam orthodoxe, mais la religion vécue par le peuple et inspirant son action dans la vie politique et sociale. La théologie de l'islam sunnite est à la base de l'idéologie du peuple, beaucoup plus que la philosophie, la loi ou même le mysticisme. Elle le restera longtemps encore, tant que le peuple sera croyant et fidèle à la tradition. Socialisme, marxisme, nationalisme, etc., ne peuvent prétendre être profondément ancrés dans les masses populaires, dont la majeure partie est encore insensible aux harangues socialistes du siècle dernier. Par contre, la théologie, à la base de l'idéologie populaire, tient une part essentielle dans la culture nationale. Ainsi est-elle dénoncée comme « l'opium du peuple » (« l'opium des consciences », selon Emmanuel Kant) et rarement présentée comme un «cri de l'oppressé». L'islam sunnite offre deux interprétations : l'une conservatrice et réactionnaire, défendue par les autorités politiques et religieuses comme par l'élite économique et sociale, l'autre revendiquée par l'avant garde du peuple et les intellectuels progressistes. Tandis que la première interprétation veut préserver le statu quo au nom de la loi et de l'ordre, signifiant ainsi que les classes privilégiées sont intouchables, la seconde souhaite le transformer au nom de l'égalité et de la justice sociale à la seule fin que la majorité puisse accéder à ses droits politiques, économiques et sociaux, confisqués par l'élite. Sans doute chacune de ces interprétations ne recouvre-t-elle, en fait, qu'une lutte entre les groupes d'intérêt qui sont à la base des différentes classes sociales, mais les idéologues de chacun des groupes manipulent les concepts théologiques à des fins politiques». Cette analyse suggère en premier que Islam admet toutes les réalités humaines et sociales – l'asservissement du faible par le fort, la faim, l'ignorance, la violence, l'oppression et la répression. Mais contrairement aux autres religions, l'Islam n'accepte pas le statu quo, mais œuvre à le changer. De ce fait les sociétés islamiques de tout temps n'ont pas échappé au paradigme classique des luttes des classes. L'Islam fut et reste la force motrice immuable de ces luttes dans le monde islamique. On n'est même tenté de conclure que la seule lecture valable de l'Islam est celle qui infère et prône fondamentalement l'égalité et la justice sociale. C'est sa raison d'être. De ce fait, l'Islam exige à ce que l'humanité prend la pleine responsabilité de son propre destin, sur le plan spirituel et matériel. Et le Créateur a gratifié l'être humain de la liberté de pensée et la confiance pour accomplir cela. En d'autres termes, il n'y a pas de prédestination divine, et c'est l'humanité qui écrit son propre destin en faisant usage en permanence de la raison afin d'appréhender et réinterpréter la révélation au fur et à mesure. La foi est une relation personnelle entre l'être humain et le Créateur avec la certitude que, les individus sont en premier des partenaires dans ce monde. Cette foi est foncièrement d'essence vertueuse. Dans l'acte social, elle doit être traduite en pratiques morales afin de contribuer à construire des ponts de compréhension entre les individus, et à approfondir l'entre-aide, l'égalité et la justice, à exhorter les gens à travailler pour le bénéfice de l'ensemble de la communauté. Pour notre pays l'Algérie, ceux qui avaient rédigé l'appel du 1er Novembre : «La restauration de l'Etat Algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques», n'ont soulevé aucune équivoque. Car ces principes islamiques ne peuvent exhorter qu'à la quête pour la justice, l'égalité sociale et le vivre-ensemble. Ces principes doivent être inscrits dans les cœurs, avant de l'être dans aucune Constitution. Khaled Boulaziz