La commémoration de ce triste anniversaire du 11 janvier 1992 ne déroge pas à la coutume : l'Algérie demeure enfermée dans une logique suicidaire d'immobilisme autoritaire. Le pouvoir algérien se délite au rythme de la déperdition des réserves de change, autrefois présenté comme l'indicateur le plus probant de la qualité de la gestion du pays. Le régime issu du putsch a atteint un niveau d'impotence particulièrement grave, et certainement inédit dans l'histoire politique globale contemporaine. Dans quel pays un candidat mutique et invisible est-il réélu pour un quatrième mandat présidentiel alors qu'il est notoirement très diminué ? Où a-t-on vu en effet un Chef d'Etat en exercice incapable depuis des années de s'adresser au peuple ? Les institutions sont que des coquilles vides et l'Algérie, pilotée au jour le jour, n'est plus réellement gouvernée. Le pouvoir réel plus que jamais enfermé dans sa logique de fuite en avant et privé des moyens colossaux fournis par les niveaux extrêmement élevés des prix des hydrocarbures voit ses marges de manœuvre se réduire à vue d'œil. La mécanique politique, qui fonctionnait à grand peine avec un niveau de 100 dollars le baril, est totalement inopérante au prix actuel de 35 dollars. La camarilla irresponsable au pouvoir a empêché l'Algérie de profiter d'une longue période de hautes recettes pétrolières pour réformer son organisation et créer les conditions d'une dynamique économique efficiente. Au contraire, la structure rentière de l'économie a été renforcée, la production interne a été annihilée et la dépendance aux importations significativement amplifiée. Les bénéficiaires de l'explosion des revenus des hydrocarbures sont principalement des affairistes sans envergure associés aux dirigeants du régime. Mais la prospérité en trompe l'œil assurée par des prix pétroliers élevés qui a débouché sur un niveau de gabegie et de corruption absolument astronomiques appartient à un passé durablement révolu. Toutes les projections concordent pour dessiner un tableau désastreux et de très sérieuses hypothèques pèsent sur la fragile paix sociale. Face à la dégradation rapide des comptes, les gouvernants sabrent dans des subventions imprudemment concédées du temps de l'opulence rentière et tentent un très douloureux rattrapage de prix très longtemps artificiellement comprimés. Avec la dévaluation de la monnaie nationale, tout aussi douloureuse, c'est l'un des rares leviers à la disposition du régime pour vainement tenter de colmater des brèches qui s'élargissent irrésistiblement. Au plan économique, le bilan du régime est sans appel. L'effondrement de la bulle rentière signe l'échec complet et annonce l'imminence d'une faillite inscrite dès l'origine dans la logique prédatrice du régime. Cet échec a déjà des conséquences sociales massives sur une société traumatisée par la sale guerre. Quel impact sur le fonctionnement du pays quand 60% du budget de l'Etat et plus de 95% des recettes d'exportations proviennent des hydrocarbures ? Qu'en sera-t-il quand ces réserves auront fondu au soleil de la gabegie ? On se souvient des difficultés extrêmes à approvisionner le marché à la fin des années 1980 à la suite de la contraction drastique des prix pétroliers. L'Algérie ne comptait alors que 22 millions d'habitants, en 2019 lorsque les réserves ne seront qu'un souvenir, la population atteindra 44 millions... Face à ces échéances menaçantes, entre fuite en avant et politique de l'autruche, il ne reste plus au régime en crise que ses appareils de propagande pour tenter de masquer la marche vers l'abîme. Sous cet angle, les énièmes tripatouillages d'une constitution réduite à son expression la plus indigente ne sont qu'un aveu d'impuissance d'un régime bunkérisé. L'immobilisme est la constante d'un système qui ne parvient pas à se renouveler même si la seule – et très relative – note de satisfaction réside dans le fait qu'un des acteurs-clefs, le général Toufik Mediène, le très durable chef de la police politique, ait été poussé vers la sortie sans les effusions de sang qui accompagnent ce type de changement. Dans un tel contexte, le décès de Hocine Ait Ahmed a relancé le débat sur les responsabilités de la rupture du processus électoral et les conséquences sanglantes du viol de la volonté populaire. Depuis quelques jours l'un des auteurs de ce coup de poignard dans le dos du peuple, le général Khaled Nezzar se livre à de piteux exercices d'autojustification et au travestissement éhonté des faits qui ont entouré le coup d'Etat. Cette soudaine résurgence sur la scène politique d'acteurs qui auraient pourtant tout intérêt à tenter de se faire oublier illustre parfaitement le caractère indépassable du traumatisme particulièrement violent du 11 janvier 1992. Le coup d'Etat et le régime qu'il a engendré restent frappés d'opprobre populaire et fragilise directement le pays. Car l'Algérie est menacée avant tout par ce système qui porte en lui les germes de la division et de la déstabilisation. D'autant que le pays entre dans une phase particulièrement critique de son histoire ou les dangers extérieurs s'ajoutent aux tensions internes. De fait, même si elle parait encore réduite à ce stade, la menace externe est sous-jacente. Mais l'Occident, grandement responsable de la destruction de nombreux Etats arabo-musulman, a-t-il aujourd'hui intérêt à jeter de l'huile sur le feu et à encourager des ruptures brutales dans un pays meurtri par la sale guerre ? On peut en douter pour le moment. D'abord parce que le régime sert parfaitement les intérêts externes. Et aussi parce que la déstabilisation brutale de l'Algérie aurait des répercussions catastrophiques sur toute la région de la Méditerranée occidentale. Les occidentaux n'ignorent pas que l'Algérie est sur une trajectoire de rupture. Mais il est clair que l'Europe n'a pas les moyens d'absorber une onde de choc qui risque d'être bien supérieure à celle provoquée par la guerre en Syrie. Le régime tend inéluctablement vers sa fin au moment où l'environnement régional de l'Algérie est soumis à des pressions très vives. Le système né du putsch a sapé les fondements de l'Etat. Tout aussi gravement, la dictature par la violence, la corruption et le refus du droit, a sapé les structures morales de la société. La leçon que l'on peut retirer de la situation générale du pays vingt-quatre ans après le coup d'Etat du 11 janvier 1992 est que l'Algérie est plus fragile que jamais. Le peuple algérien, bâillonné et privé de liberté, a toujours fait preuve d'un sens élevé des responsabilités en refusant obstinément les logiques de guerre civile. La société bien plus responsable que ceux qui se sont illégalement emparés des rênes du pouvoir saura défendre l'unité et l'intégrité nationales. C'est sur cet espoir et cette conviction que repose l'avenir de l'Algérie.