أحفار القبور سايس ريم القور * لا تطيحشي الصخور على حيزيا قسمت لك بالكتاب وحروف الوهاب * لا طيح التراب فوق أم مرايا Ô fossoyeur ! ménage l'antilope du désert Ne laisse point tomber de pierres, sur la belle Hiziya ! Je t'en adjure, par le livre saint, Ne fais point tomber de terre sur celle qui brille comme un miroir. C'est par ce touchant extrait du magnifique poème de Mohamed Ben Guittoun que le poète a tenté de traduire la tristesse et le désarroi de son ami Sayed suite à la perte cruelle de sa femme Hizia, à l'âge de 23 ans. Beaucoup considèrent que le poème de Hizia est un des plus beaux poèmes d'amour écrits à cette époque. La composition de cette élégie, en 1878, n'a rien à envier aux élégies grecque, romaine ou de la renaissance. Ce poème a été commandé par Sayed à Ben Guitoun. Sayed, terrassé par la douleur de la mort de sa bien-aimée, n'a pu trouver les mots pour l'exprimer. Et si ce poème a eu tant de succès et a fait l'objet de deux traductions majeures – celle de Constantin Louis Sonneck (1849-1904), et celle du tlemcenien Souhel Dib en 1987- c'est parce que le contexte même de cette belle histoire d'amour favorisait ce triomphe. Nous sommes en effet dans les années qui vont de 1855, date présumée de la naissance de Hizia, à 1878, date supposée de sa mort. C'était donc une époque où l'Algérie n'était pas encore totalement « pacifiée » par les colons français. La résistance au colonialisme était marquée notamment par le soulèvement d'El Mokrani, puis du Cheikh El Haddad, le grand maître de la confrérie des Rahmaniya. C'est dans ce contexte que Sayed, un orphelin, qui d'après la légende, a été recueilli par son oncle Ahmed Bel Bey, richissime éleveur du Tell algérien et père de Hizia, est tombé amoureux de sa cousine. Parce que Hizia reste malgré tout une légende dans l'imaginaire de beaucoup. C'est un beau récit où certains faits historiques sont transformés par l'imagination du poète. C'est une légende dans la mesure où on a très peu de témoignages sur les vies de Hizia et Sayed. La cause et les circonstances du décès de Hizia restent par exemple énigmatiques, et le poème n'apporte aucune précision sinon qu'elle fut subite suite à une halte, à Oued Tell près de Sidi Khaled. En 2007, le Dr SIBOUAKAZ AHMED-BEY affirmait dans un blog qu'il était « un des petits fils de Sayed , mon père était Smaine ben Sayed. A ce titre permettez moi d'apporter une correction importante : Haizia est morte de maladie au retour de toute la famille de Bazer (El-Eulma) au début de l'automne. Elle est morte à Sidi-Khaled (7 km d'Ouled-Djellal) et y a été enterrée. Mon grand père Sayed a souffert de la mort de Haizia. 5 ans plus tard sa famille arrive à le convaincre pour fonder un foyer (sur la base de la conviction religieuse). Il prit comme première épouse une cousine qui se prénommait Haizia ; il s'en sépara pour stérilité. En deuxième noce il prit pour 2èmé épouse ma grand mère Baya Bouakaz qui lui donna 2 garçons Smaine (mon père) et Belgacem et 1 fille Etebere. Mon père est enterré dans le carré réservé à la famille Bouakaz dans le cimetière de Sidi-Khaled,ou se trouvent les tombes de Sayed et Haizia. J'espère avoir apporté quelques éléments importants pour une de plus belle histoire de notre patrimoine culturel national. Tout en restant à votre entière disposition recevez mes cordiales salutations. « Ben Guittoun est originaire de Sidi Khaled près de Biskra. Il serait mort en 1907. Bien qu'il ait écrit de nombreux poèmes, c'est celui de Hizia qui l'a fait entrer dans la postérité. Le poème débute d'abord une introduction à l'adresse des amis du poète : Amis, consolez-moi; je viens de perdre la reine des belles. Elle repose sous terre Un feu ardent brûle en moi ! Ma souffrance est extrême. Mon cœur s'en est allé, avec la svelte Hiziya. Suit alors une description des jours heureux de Sayed avec Hizia, sous forme de récits : Lorsqu'au milieu des prairies, elle balançait son corps avec grâce, Et faisait résonner son khelkhal, Ma raison s'égarait ; un trouble profond envahissait mon cœur et mes sens. Jusqu'à la mort subite de son amour : Nous avons campé ensemble sur l'Oued Ithel C'est là que la reine des jouvencelles me dit adieu C'est cette nuit-là qu'elle passa de vie à trépas C'est là que la belle aux yeux noirs quitta ce monde Elle se tenait serrée contre ma poitrine, lorsqu'elle rendit l'âme Les larmes remplirent mes yeux, et s'écoulaient sur mes joues. Suit alors une description de son enterrement, qui, pour votre serviteur, reste la partie la plus riche en émotions de ce poème, tant la beauté des mots est sans égal : On l'enveloppa d'un linceul, la fille de notable Ce spectacle a augmenté ma fièvre, et ébranlé mon cerveau On la mit dans un cercueil, la belle aux magnifiques pendants d'oreilles. Je demeurais stupide, ne comprenant pas ce qui m'arrivait. On l'emporta dans un palanquin, embelli par des ornements La belle, cause de mes chagrins, qui était grande telle la hampe d'un étendard. Sa litière était ornée de broderies bigarrées, scintillantes comme les étoiles, et colorées comme un arc-en- ciel, au milieu des nuages, quand vient le soir. Et cette résignation face à la volonté divine et devant la fatalité, qui rappelle étrangement le poème « A Villequier » qu'a écrit Victor Hugo suite à la perte de sa fille : Telle est la volonté de Dieu, mon Maître Tout-Puissant. Le Seigneur a manifesté sa volonté, et a rappelé à lui Hiziya. Mon Dieu ! Donne-moi la patience; mon cœur meurt de son mal, Emporté par l'amour de la belle, qui a quitté ce monde. L'extrême sensibilité et l'extraordinaire sincérité de ce touchant poème ont été tels que de nombreux interprètes ont chanté le poème de Hizia : Rabah Deriassa, El Bar Amar, Abdelhamid Ababssa, Khelifi Ahmed et récemment encore Réda Doumaz. Mais c'est Khelifi Ahmed qui a transposé cette merveilleuse histoire de Hizia des fins fonds Sidi Khaled en la chantant à l'Olympia de Paris, lui donnant ainsi une dimension internationale. Depuis des années, la presse algérienne fait état d'un classement « prochain » de cette histoire d'amour épique de Hizia, au patrimoine national immatériel par la direction de la culture de Biskra. Je ne sais toujours pas si cela a été fait. Certes la tombe de Hizia a été déplacée au cimetière de Douaouda de Sidi Khaled. Mais cette ville aurait gagné de faire de ce patrimoine une richesse nécessaire au développement de cette très belle région. Lorsque votre serviteur a été visité la tombe de Hizia, j'ai pris le seul taxi présent l'aéroport de Biskra pour me rendre au cimetière de Douaouda. Et lorsque j'ai demandé à ce chauffeur de taxi le prix de l'aller-retour avec trois heures de présence à Sidi Khaled : – Vous avez de la famille là-bas ? – Non je viens juste pour visiter la tombe de Hizia ! – C'est de votre famille ? – Non juste que parce que son histoire m'a beaucoup touché et j'essaye de réunir le maximum d'informations sur sa vie – Et venez d'Alger que pour passer trois heures à Sidi Khaled et revenir ? – Oui ! – Vous ne paierez rien Khouya. Je vous offre cette course. Moi-même amoureux de cette belle histoire, je ne peux que m'incliner devant une telle passion. Offrez-moi juste le repas du midi. « Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion ». Saint-Augustin.