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La nouvelle Fondation présidée par Chevènement, les nouvelles formes de dirigisme religieux.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 17 - 09 - 2016

Le refus des financements arabes et l ‘appel à la banque Rotschild.
Malgré la trêve estivale, l'annonce de la nomination de Chevènement à la tête de la nouvelle Fondation de l'Islam a provoqué un véritable tollé en plein mois d'août. La vivacité des réactions a réduit à un simple choc des égos l'opposition entre Kepel et Roy qui avaient occupé le champ médiatique, où l'on donne facilement au moindre désaccord sur l'Islam des dimensions métaphysique et géopolitique qu'il n'a pas.
Comme du temps de sa compétition avec Jospin, qui s'était soldée par la débâcle socialiste du 21 avril 2002, tout le passé trouble de Chevènement fut rappelé à la jeune génération qui l'ignorait: son passage en 1957-1958 à « Patrie et Progrès » (un groupuscule nationaliste pro-Algérie française), son passage dans une SAS de l'Oranie, sa collaboration avec le général Katz, son hommage rendu récemment en Franche-Comté au colonel Jeanpierre, un des tortionnaires de la bataille d'Alger, la présence dans ses comités de soutien de 2002 du vieux Pierre Poujade et du jeune Philippot, sans oublier sa sympathie pour Eric Zemmour, le provocateur islamophobe, pro-israélien et lecteur assidu de l'essayiste sécuritaire Kepel.. .
En petits comités, on ajoute à ces griefs le rôle occulte qu'on prête au « Che » (on ne prête qu'aux riches) auprès de Boutéflika qu'il aurait convaincu de limoger l'éphémère ministre de la Culture, Nadia Labidi, à qui il reprochait d'avoir pris la place de Khalida Messaoudi, qui participa, sans le savoir, au limogeage du général-major Toufik en renseignant la présidence et l'état-major sur ses faits et gestes. Khalida fit partie, avec Réda Malek et Saïd Saadi, du groupe des « éradicateurs » que Chevènement avait érigé en interlocuteurs privilégiés en Algérie dans les années 90. Encouragé par ces résultats, il se serait même cru en mesure de choisir un successeur à Sellal, et organisa à Paris un médiatisé colloque destiné à faire connaître les capacités d'homme d'Etat attribuées par lui et son entourage de France-Algérie à Bouchouareb. Mais celui-ci eut droit à de désagréables révélations qui contrarièrent ses ambitions. Cet épisode montra que Chevènement ne comprend plus ce qui se passe en Algérie. Malgré cela, il ne cache pas sa nette préférence pour Ouyahia comme successeur de son ami Boutéflika, rencontré l'été 1962 à Tlemcen. Plus récemment, il a présidé un colloque sur l'Algérie à l'IRIS, où des intervenants avaient été invités la veille, par l'ambassade d'Algérie et même, semble-t-il, par des membres de l'association France-Algérie (où le Che a remplacé Joxe il y a trois ans) à s'en tenir à un politiquement correct.
La nomination de Chevènement avait été précédée par l'ébruitement d'une intention prêtée au ministre de l'Intérieur d'appliquer le concordat à l'Islam dans tout l'Hexagone. Cette information, qui sera démentie la semaine d'après, remua le petit monde des « organisateurs » de l'Islam du début des années 90 qui avaient décrété qu'en tant que « résidu de l'histoire » le concordat ne saurait s'appliquer à l'Islam en Alsace-Moselle. On sait maintenant que ce refus n'était pas fondé en droit. Il était lié à un très sérieux désaccord entre l'Elysée et la place Beauvau au sujet notamment de la nomination du recteur de la mosquée de Paris. L'intérieur voulait une concertation franco-algérienne, tandis que la Présidence ordonnait de laisser les Algériens décider de la nomination du successeur cheikh Abbas. Ce désaccord a été maintenu secret par ceux qui voudraient imputer la maigreur de leur bilan aux seuls « divisions des musulmans » et ne veulent toujours pas que ça s'ébruite de façon à imputer la presque totalité des échecs dans l'organisation de l'Islam à leurs successeurs... On a su aussi que Pierre Joxe, en bon protestant, a surtout écouté les mises en garde contre Arkoun (promoteur de tous les projets de rénovation des études islamiques) du doyen de la Faculté de Théologie protestante
La nomination de Chevènement à la tête de la nouvelle Fondation inquiéta aussi la première direction de l'ISSMM, créée par Jospin et Allègre juste pour permettre à Lucette Valensi d'être « directrice » de quelque chose afin de la sortir de la mélancolie dans laquelle l'avait mise l'échec de sa candidature à la présidence de l'EHESS. L'ISSMM a été créé au prix du détournement de l'Ecole des Hautes Etudes sur l'Islam proposée par Chevènement quand il était ministre d'Etat chargé de l'Intérieur dans le gouvernement de la « gauche plurielle ». Lucette Valensi s'était déclarée peu concernée par « l'éducation des jeunes musulmans de France », et renonça à «l'université ouverte » prévue dans le projet d'Ecole des Hautes Etudes de l'Islam, au motif qu'il n'y aurait « pas de demande »(sic). Il est difficile d'oublier cet aveuglement quand on sait que les frères Kouachi ne se seraient sans doute pas rendus jusqu'au Yémen pour y faire les études sur l'Islam dont la rénovation en France fut sabotée par Valensi, Pouillon et Ilbert (qui sévissait au secrétariat d'Etat à l'Enseignement supérieur, sans avoir jamais rien produit d'autre que sa thèse de complaisance sur Alexandrie) ) qui les faisait passer pour les meilleurs islamologues auprès des jospinistes.
La vivacité des réactions à la création de la Fondation, et à la nomination de Chevènement, renseignent aussi sur les nouvelles ambitions nées chez une nouvelle catégorie d'acteurs qui se croient compétents sur l'Islam, au des échecs des « organisateurs » traditionnels de cette religion. C'est le cas notamment de Pascal Blanchard à qui un travail universitaire sur le contrôle colonial de l'immigration rapporta une mission au ministère de la Ville. Il se croit le lus légitime à s'occuper de tout ce qui touche à l'Immigration, à l'intégration, à l'Islam et à la mémoire coloniale, sur le modèle des officiers des Bureaux Arabes du Second Empire, au vu des retards du PS en matière de « politique musulmane ». En effet, pour s'exonérer d'une réflexion approfondie sur l'Islam, tout bon socialiste cède au réflexe consistant à faire sous-traiter ces questions complexes par ...SOS-Racisme. Cette règle se trouve confirmée par la faillite de l'Institut des Cultures d'Islam, ce fleuron de l' »Islam de France », ouvert par la mairie de Paris dans le 18° arrondissement et dont la mosquée fut entièrement financée à hauteur de 3 millions d'euros par... l'Algérie. Pour lui éviter la fermeture, Anne Hidalgo décida de renvoyer tous les anciens de SOS-Racisme nommés par Bertrand Delanoé, pour nommer présidente Bariza Khiari, la sénatrice fabiusienne d'origine algérienne, et néanmoins membre du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat, ce qui lui vaut des invitations répétées à l'émission dite islamique par Abderrahim Hafidi, pour qui la monarchie alaouite serait la seule habilitée à former, pour « l'Islam de France », des imams « républicains » et francophones, et peut-être même, un jour,... radicaux-socialistes.
Contrairement à Blanchard, Jean-Pierre Filiu ne veut plus entendre parler de mémoire coloniale. Car il reste traumatisé par sa malheureuse tentative de l'utiliser à des fins électorales. C'est lui qui conseilla à Jospin d'utiliser la tribune offerte par le dîner du CRIF pour dénoncer la pratique de la torture en Algérie. Le premier ministre, suivit son conseil, en croyant que cela allait rapporter au moins les voix de la « gauche morale » à l'élection présidentielle de 2002, mais il ne tarda pas à le regretter. Car Jospin a été forcé de battre en retraite quand la publication du livre d'Aussaresses révéla le rôle de Mitterrand, alors garde des Sceaux dans le gouvernement Guy Mollet, dans l'élimination de Larbi Ben M'hidi. En voulant mettre à contribution la mémoire coloniale dans la pêche aux voix, Filiu contribua à sa manière au 21 avril 2002, que les jospinistes persistent encore à imputer au seul Chevènement.
Mais Filiu s'est occupé de terrorisme et s'est imposé comme meilleur connaisseur de la Qaïda que Kepel et Roy réunis. Sur Daech il est aussi ignorant que ces politistes auxquels sont venus faire de l'ombre Pierre Conessa et Matthieu Guidère, un franco-tunisien qui avait été précepteur de l'actuel émir du Qatar. L'accès aux « sources fermées » sur la Qaïda fait croire à Filiu qu'il est « compétent » pour donner des leçons aux « organisateurs » de l'Islam en France. Dans ce domaine ouvert à tous les vents, Filiu risque moins de se tromper qu'en multipliant les suppositions hasardeuses sur Daech que vient souvent démentir un rapport émanant d'autres « sources fermées ».
La création de la nouvelle Fondation a surtout suscité l'ire des membres du bureau de celle qui avait été mise en place par Bruno Le Maire et Dominique de Villepin- qui aurait été au moins aussi utile, sinon plus que Chevènement, si le gouvernement cherchait vraiment l'efficacité.
Les deux vice-présidents de la Fondation des Œuvres de l'Islam, Chemseddine Hafiz et Mohamed Béchari, ont été ses plus actifs saboteurs. Pour saboter la Fondation, Hafiz créa le « Fonds Social Musulman », en s'inspirant du « Fonds Social Juif Unifié » dont les mérites étaient vantés par le CRIF que Sarkozy avait transformé en principal « conseiller » de ses musulmans de service. De son côté, Béchari a contacté tous les destinataires de la lettre de Villepin pour les mettre en garde contre une Fondation laïque, qui ne vaut pas les Waqfs (biens de mainmorte) islamiques, et invita les donateurs potentiels à financer « l'Institut » Avicenne, qui lui servit de point de chute à Lille, quand l'ambassade du Maroc ordonna sa mise à l'écart du CFCM. Béchari fut écouté par le Qatar et la Lybie qui n'exigeaient pas une comptabilité analytique, et ne distinguait pas entre le financement d'une institution (qui n'aura jamais fonctionné) et l'entretien du train de vie d'un protégé. Fouad Alaoui, qui était le troisième vice-président, contribua également au sabotage, en faisant créer à Pantin par l'UOIF, dont il était l'homme fort, une association des Waqfs destinée à concurrencer la première Fondation.
Le « Che » lâcha du lest pour se faire accepter par les musulmans dont la nouvelle génération continue à lui reprocher son soutien à Milesovic, qui aura effacé les mérites incontestables de sa démission en 1991 du ministère de la Défense, quand il laissa le soin à Joxe de devenir le ministre de la Guerre contre l'Irak. Mais on n'apprécia guère ses jugements à l'emporte-pièce sur l'ensemble des intellectuels musulmans qui seraient incapables, selon lui, de faire fonctionner une telle structure. Le musulman idéal pour lui reste sans doute son ami, et protégé, Sami Naïr, mais celui-ci s'est exclu de lui-même en prêchant un laïcisme assimilationniste outrancier, et en mettant sa logique verbale au service de la propagande des éradicateurs algériens Sami Naïr n'a pas la capacité d'adaptation de Chevènement qui osa déclarer « révolue l'ère Bélaïd Abdesslem», dont il avait approuvé le dirigisme industriel avant de soutenir le « libéralisme » d'Amara Benyounès, puis celui de Bouchouareb qu'il voyait déjà premier ministre de Boutéflika.
Chevènement fit appel au romancier marocain Tahar Bendjelloun, dont les contes garantissent au lectorat français un exotisme à domicile, mais l'éloignent des « affaires » de l'Islam. Puis pour faire bonne mesure et éviter la relance des querelles algéro-marocaines, il fit entrer Ghaleb Bencheikh, en négligeant ses grandes difficultés de cohabitation avec Dalil Boubakeur dont il convoite le fauteuil de recteur à la mosquée de Paris. Chevènement est déjà interpellé sur cette dernière nomination qui néglige le bilan très négatif de Ghaleb Bencheikh à l'émission islamique de France 2, qui fut créée par Jacques Berque avant de sombrer dans la médiocrité, l'affairisme et le service des généraux algériens mis à la retraite par Boutéflika. L'arrivée de Ghaleb a néanmoins pour mérite de rappeler le dirigisme religieux, peu conforme à la laïcité, qui permit à l'entourage de Chevènement de rattacher directement cette émission au ministère de l'Intérieur ! L'article 17 du cahier des charges stipule en effet que c'est l'Intérieur qui nomme le producteur-délégué de cette émission !!! Cette clause illégale n'a pu être introduite que grâce aux liens étroits entre la directrice de France 2 et un proche collaborateur de Chevènement à la place Beauvau.
Après avoir voulu nommer un de ses proches (sans doute Yves Autexier, qui va souvent au Maroc) comme directeur de la nouvelle Fondation, Chevènement accepta un « musulman » à ce poste, en la personne de Hakim El Karoui, un ex-collaborateur de Raffariin à Matignon, qui était aussi conseiller occulte de Ben Ali. Quand fut publié la note remise au tombeur de Bourguiba, début janvier 2011, par ce franco- tunisien, qui se dit aussi « protestant », cela l'a forcé à démissionner de la présidence de l'ICI (Institut des Cultures d'Islam), ouvert dans le 18° arrondissement de Paris, avec un financement en partie algérien...El Karoui, qui est aussi chargé des pays émergents à la banque Rotschild, avait été nommé à l'ICI par Delanoé qui escomptait des financements de cette banque. Et c'est cette qualité qui semble intéresser le plus Chevènement.
Pour faire taire les critiques, Chevènement expliqua à plusieurs reprises que sa Fondation n'aura que des « objectifs profanes ». Mais y-a-t-il plus « sacrée » que la prochaine élection présidentielle qui risquerait de faire vivre un nouveau 21 avril au candidat socialiste à qui Chevènement, s'il restait l'allié de Dupont-Aignan, prendrait un nombre de voix suffisant à l'éliminer au premier tour ?
Enfin, dans ses plaidoyers, Chevènement promet une « aide linguistique » de la Fondation aux imams. Cela suppose l'acceptation pour une durée indéterminée de l'importation des imams exclusivement arabophones a qui on promet une initiation au français, sachant qu'ils seront rappelés dans leur pays d'origine dès qu'ils commenceront à baragouiner dans la langue de Molière. Alors que le recrutement des jeunes nés en France serait plus rationnel, et coûterait trois à quatre fois moins cher que la rémunération des imams d'ambassades parfois mieux payés qu'un maître de conférences d'université. Le si cartésien Tahar Bendjelloun acceptera-t-il de déroger au politiquement correct et avoir le courage de signaler que l' « Islam de France » ne pourra pas s'accommoder longtemps de ce genre de contradictions ?
A Alger, où la nomination de Boubakeur dans le très symbolique "Conseil d'orientation" de la Fondation-Chevènement n'a pas eu raison des premières réserves, on insiste pour voir le Che venir au prochain salon du Livre pour y dédicacer ses livres vieux de 15-20 ans. Les rares connaisseurs de ces dossiers parmi les Algériens craignent de voir la grande "capacité d'adaptation" de Chevènement l'amener jusque dans les suites de la Mamounia de Marrakech qui, comme le précédent de Lang l'a rappelé, n'est qu'une étape vers Layoune où les invités de marque prononcent devant les caméras de toutes les chaînes de télé marocaines "sahra al maghribia" (Sahara marocain)avant d'expliquer, une fois de retour à Alger, qu'ils voulaient prononcer "Sahara al Gharbia"(Sahara Occidental). Le strapontin offert par Hollande à Chevènement pour l'éloigner du présidentiable souverainiste Dupont-Aignan mettra-t-il fin à un demi-siècle d'"algérophilie" que justifiait surtout une grande "Nostalgérie" française?
Gilles-Ali Nedjar


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