Le Soir d'Algerie [email protected] Il y a deux façons de regarder un verre contenant du liquide : la première, résolument optimiste, le voit à moitié plein tandis que pour la seconde, plus portée au pessimisme, le verre est à moitié vide. L'optimisme et le pessimisme étant les choses au monde les mieux partagées, on ne risque pas un conflit territorial ou une guerre civile pour le contenu d'un verre. A moins de se lancer dans une discussion philosophique (ce qui n'est pas encore interdit) sur l'origine du contenu du verre, sa conformité avec l'éthique ou sa teneur en alcool. On ne perd rien, d'ailleurs sinon un peu d'équilibre, à entamer une discussion éthylique de longue haleine sur la vision plus ou moins trouble qu'on peut avoir de l'autre moitié du verre. Encore qu'à certains stades, l'optimisme l'emporte haut la main et prime sur toute autre considération que l'état comateux qui ne permet plus à l'œil de distinguer quoi que ce soit. Quelle que soit l'âpreté du débat, les éclats restent circonscrits et ne font pas plus de dégâts qu'une tempête dans un verre d'eau ou de vin. Il en va autrement des relations entre gouvernants et gouvernés où la décantation est nette et sans équivoque. D'un côté, il y a les optimistes qui gouvernent et affichent leur béatitude. De l'autre, en dessous, se trouvent les éternels sujets au pessimisme, communément rassemblés sous le nom de peuple. C'est en son nom que se déclenchent des révolutions qui ne devraient profiter qu'à lui mais dont il ne tire, en fin de compte, aucun profit. Au nom du peuple, les optimistes des étages supérieurs annoncent aux pessimistes d'en bas que nos réserves de change et d'or n'ont jamais été aussi abondantes. Ce qui devrait semer l'allégresse dans les cœurs et requinquer l'humeur vagabonde du pouvoir d'achat. Hélas, pour les gouvernants et pour les gouvernés, le Ramadan est à nos portes avec son cortège d'exigences alimentaires, et avec lui la fameuse rentrée scolaire. Vous savez : la reprise de cette école qui coûte de plus en plus cher pour ne rapporter que des peccadilles et grossir les cohortes de chômeurs. Alors, avec un gouvernement optimiste qui ne doute de rien et un peuple pessimiste qui ne croit plus en rien, ou presque, lequel aura raison ? Mon côté pessimiste me dit que le dernier mot reviendra aux lyncheurs de Sidi-Aïssa, renforcés par le «K.K.K.» de Chetaïbi et les prêcheurs de l'éclipse lunaire. Il y a quand même, dans les médias arabes et algériens, des nouvelles qui incitent à l'optimisme. Si on devait décerner la palme de la meilleure nouvelle de la semaine, elle irait incontestablement, selon moi, à cette équipe féminine de «harraga» qui a établi un record olympique. Parties des côtes de Annaba, ces treize femmes ont accosté en Sardaigne, après une vingtaine d'heures de navigation sur une barque artisanale. Il faut saluer le courage et la détermination de ces femmes qui démontrent que le désir de partir n'est pas exclusivement masculin. Le quotidien Ennahar-Al-Djadid nous dit que ces treize femmes ont préparé dans le plus grand secret cette expédition, ce qui dément l'autre idée reçue sur les femmes qui ne savent pas tenir leur langue. Ce groupe (le chiffre 13 est-il fortuit ou estce pour conjurer le mauvais sort ?) comprend une universitaire, des chômeuses et une majorité de coiffeuses, précise encore le journal. Pour ceux qui peuvent se demander pourquoi il y a autant de «harragate» chez les coiffeuses, il y a une explication qui tient la route : comme il y a de plus en plus de femmes qui portent le hidjab, le métier de coiffeuse n'est plus aussi rentable. Dans une société comme la nôtre, les coiffeuses déjà regardées avec suspicion ne peuvent se convertir à la coiffure pour hommes. Il est encore plus difficile pour elles de devenir barbiers (barbières ?), sachant que la passion de nos dirigeants pour l'Iran promet de sales quarts d'heure aux imberbes. Alors bravo aux coiffeuses, et aux autres, qui ont opté pour la destination danger et mis le cap sur la Sardaigne. Ce faisant, elles ont montré au monde leur profond détachement de la mère patrie et leur préférence pour l'optimisme italien. Une nouvelle revigorante qui nous parvient de Gaza : le fils d'un haut dirigeant du Hamas vient de jouer un mauvais tour à l'auteur de ses jours en se convertissant au christianisme. La défection de Mossaâb aurait pu passer inaperçue s'il n'était le fils de Hassan Youssef, célèbre dirigeant du Hamas, note Joseph Bichara, correspondant du magazine Elaph en Palestine. Du coup, la chaîne américaine Fox-Newss'est intéressée à ce cas et a interviewé le jeune Mossaâb sur les circonstances de sa conversion. Le nouveau converti a porté des accusations graves contre les dirigeants du Hamas, tout en épargnant son père qu'il a couvert d'éloges. Mossaâb Hassan Youssef affirme que le point de rupture a été atteint lorsqu'il a vu de ses yeux des dirigeants du Hamas assassiner et torturer des centaines de Palestiniens, dont des membres du Hamas, accusés de collaboration avec Israël. Il précise que la sauvagerie de ces dirigeants, visibles quotidiennement à la télévision selon lui, l'a amené à réfléchir sur beaucoup de choses, considérées comme sacrées ou intouchables en Palestine. Cependant, ajoute-t-il, tous les sympathisants du Hamas ne sont pas aussi violents et n'ont pas du sang palestinien sur les mains. Il y a aussi des personnes frustes qui soutiennent le Hamas parce qu'elles sont persuadées que le mouvement représente Dieu et l'Islam. Quant aux dirigeants du Hamas, ils ont crié au complot sioniste visant à déstabiliser le Hamas et à amoindrir ses capacités offensives. Une théorie qui a dû faire bien rire le grand poète Mahmoud Darwish qui repose sur la plus haute colline de Ramallah, face à Al-Qods. Mahmoud Darwish, le poète de la Palestine, contre qui se sont déchaînés la semaine dernière les partisans du Hamas sans observer le respect dû aux défunts et sans égard pour sa stature. Alors que le monde entier rendait hommage au poète et au patriote disparu, ses compatriotes de Gaza désignaient en lui le communiste et l'apostat. S'ajoute une autre abjection que rapporte notre ami Lakhdar Afif dans l'hommage qu'il rend à Darwish sur le magazine Elaph.«Après la démission de Mahmoud Darwish des organes dirigeants de l'OLP, Yasser Arafat l'a puni en lui coupant les vivres, écrit Lakhdar Afif. C'est ainsi que Darwish a vécu, reclus dans son appartement à Paris, ne possédant même pas de quoi offrir un café à ses visiteurs. L'abjection est une seconde nature chez les dirigeants en terre d'Islam et au fil des siècles. Le conquérant de l'Andalousie, Tarek Ibn Ziad, n'est-il pas mort en mendiant dans les rue de l'opulente Damas. Simplement parce qu'au lieu de lui couper la tête, le calife l'a récompensé en lui coupant les vivres. En dépit de cela, j'ai été surpris d'apprendre que Mahmoud Darwish avait vécu dans la pauvreté à Paris. J'étais persuadé que la cuillère en argent de Yasser Arafat ne quittait jamais sa bouche depuis qu'ils s'étaient rencontrés. J'ignorais que Arafat qui était généreux avec les «plumes aboyeuses» arabes – un chien qui aboie avec moi est mieux qu'un chien qui aboie contre moi, disait-il —avait affamé le poète de la Palestine. Si j'avais su que Mahmoud Darwish rengainait sa faim en silence, je l'aurais invité à se joindre avec moi à la file devant les restos du cœur. Le dernier refuge pour ceux qui refusent de mettre leur plume au service des grands de ce monde que nous connaissons». A. H.