de Paris. 20 ans déjà ! Que d'émotions et d'amertumes mêlées de douleurs à travers cette réminiscence ! Tout reste presque intact dans l'esprit comme figé pour l'éternel. A l'heure de cette commémoration, il est loin d'être inutile de s'interroger sur l'ampleur du traumas 20 ans plus tard ! Saisir la symbolique de cette meurtrissure. Huit ans après les révoltes du « printemps berbère » (1980), et deux ans après les émeutes de Constantine (1986). Face à une symptomatologie politique, économique et sociale effroyable, conjuguée à la faillite d'un régime à l'agonie, la « thérapie » était confiée – une fois n'est pas coutume – non pas aux providentiels « guérisseurs » politiques et leur ‘‘sagesse'' mais à l'« acier » des munitions, des tanks, des blindés et autres calibres de 12 Mm ! L'Algérie, qui comptait près de 60 % de sa population âgée de moins de 20ans, devait donc faire face au désespoir grandissant. Les divisions internes au régime atteignent leur paroxysme. Fidèles de l'immobilisme ou partisans de l'ouverture économique, nostalgiques du régime émietté de Boumediene ou autres énergumènes du parti unique, la grande bataille des « éléphants » ne fait que commencer. Seule grande victime : les moustadhaafines du peuple. Souffrant comme l'herbe sous les pieds de ces « mammifères », c'est toute la société qui se trouve condamnée aux peines de leur enfer ! Acteurs ou complices, l'imagination de certains ne manquera pas de créativité pour assouvir leurs pulsions les plus bestiales de gain et de privilèges. Devenue l'« art » par excellence des grands barons du système, la corruption va bientôt gangrener telle une métastase tout le corps social. Effarée, angoissée, la jeunesse ne se reconnaît plus dans cet univers sans lendemain. La peur va bientôt détrôner le doute déjà bien enraciné. Longtemps inconsidérée voir même humilié, cette tranche de la population n'ayant jamais connu la guerre se lance dans la rue s'attaquer à tout ce qui symbolise l'Etat. Du pot de fleur à l'entrée des kasmas aux grands édifices, tout devait disparaître comme pour réécrire l'Histoire sur une nouvelle page blanche… Tout a commencé en ce jour du mardi 4 octobre. Jeune lycéen que j'étais à Abbane Ramdhane (Mohammadia, El Harrach), donc en plein adolescence. Avec tout ce que celle-ci implique comme enthousiasme bucolique et nonchalant à la fois. Ambivalence des sentiments, vagabondage de l'imagination, puis cette « rage irrépressible ». Bref, tous les rêves – croyait-on – sont permis !! Le son compulsif des rumeurs sonnait depuis plusieurs jours déjà dans tous les quartiers avoisinant la ‘‘rive gauche'' d'Alger. Juste quelques syllabes presque féeriques : « le cinq, le cinq…octobre !! ». Il fallait bien ‘‘profiter'' de l'occasion pour crier son désarroi. Juste son désarroi ! Comme tous les enfants et copains du quartier, nous n'avons jamais connu le bruit des tourelles, ni ces mouvements de véhicules à chenilles et encore moins les mitrailleuses lourdes rasant quelques jours plus tard (samedi 8 octobre) à 360° tout ce qui bouge ! Bab El-Oued, Chevalley, Fougeroux, Climat-de-France, Bachdjarrah, Belcourt, Hussein Dey, Kouba…etc., la répression s'abat comme une foudre. Les premiers morts du soulèvement sont déjà signalés. L'Histoire bégaie au sifflement des balles traçantes à la tombée de la nuit et jusqu'à l'aube ! Aujourd'hui, avec ce temps de recul nécessaire, on peut dire que « octobre 88 » est tout simplement : la confirmation de l'éloignement progressif de tous les espoirs d'un peuple accablé par l'éternel retour des brûlures de l'Histoire. Pire, les ‘‘architectes'' de ce drame nous donneront quelques années plus tard (11 janvier 1992) les leçons d'un autre scénario, inédit cette fois-ci, dans les annales de l'horreur. Un véritable « long métrage de meurtrissures » sans fin… Avec son lot de deuil et de mélancolie qui ne cesse de hanter nos esprits ! 20 ans après, que des morts !! Le décalage entre l'évolution des institutions et l'évolution de leurs bases sociologiques qui avait engendré l'explosion d'octobre 88, n'a jamais été aussi béant. Les effets de désillusions qui touchent la société jusqu'à ses dimensions anthropologiques, ne cessent d'interpeller les consciences. Le phénomène des harragas, hypothéquant leurs vies au nom d'une mort quasi certaine n'est que l'ultime symptôme d'un malaise dont les ressorts ne pourront plus résister aussi longtemps que certains bien-pensants voudraient bien nous le faire croire. Une jeunesse étouffée et toujours en mal d'expression.. En quête d'espace d'une autre vie. Un pouvoir en mal de légitimité. Une souveraineté populaire malmenée comme cet enfant maltraité par des ‘‘tuteurs'' qui se sont désignés par défaut. Des dirigeants qui n'ont rien compris. Enfin, font semblant ! Qu'importe. Pourvu que rien ne vient troubler leur volonté paranoïde de végéter encore plus longtemps dans le sillage de leur vanité démesurée. De leurs richesses arrogantes dans l'univers de pénurie sciemment structurée. Rien compris au cris de cette jeunesse non-désirée… Autiste à tout ces cris de sagesse de ces quelques hommes et à cette poignée d'individus écrabouillée dans l'opposition mais bien déterminée à garder cette lueur d'une bougie qui ne cesse de se consumer, en attendant des jours meilleurs..!! Comme faisant échos à cette citation apprise presque par prémonition l'avant veille du cours de philosophie chinoise un certain « 3 octobre 1988 ». Et qui venait presque d'ailleurs. Celle où Confucius disait (il y a 5000 ans) : « mieux vaut allumer une chandelle que de maudire l'obscurité » !! Aujourd'hui, notre Algérie se réveille avec l'esprit défiguré par l'amateurisme lugubre au nihilisme infini. Une Algérie qui s'éloigne de plus en plus du rêve d'Ibn Badis, de Hassiba (Ben Bouali), de Dalmould (Maamri), et du simple profane de nos quartiers et nos Douars… Que dire encore 20 ans après ?? Pourtant, avec un peu d'imagination et de sens des responsabilités qu'il incombe aux dirigeants de n'importe quel Etat du monde, cela aurait pu se passer autrement !! On aurait pu en tirer une fierté sans précédant dans le monde et particulièrement celui des pays au sortir de l'indépendance. Comme pays précurseur à s'affranchir de l'air Stalinien ; réceptifs à la politique de glasnost (transparence) lancée deux années plus tôt par un certain « dirigeant » soviétique Mikhaïl Gorbatchev ! On aurait inscrit notre jeune Nation en lettres d'Or dans les annales de l'Histoire contemporaine. Car annonciatrice de ce qui, quelques mois plus tard (novembre 1989) allait devenir l'événement par excellence de la fin du 20ème siècle : la « chute du Mûr » de la honte de Berlin ! Une chute annonçant elle-même la fin d'une époque, fin de la « Guerre froide » ! Notre génération, enfants d'octobre 1988 aurait, sans doute avec excès mais sans complexe aucun à s'approprier un « instant légendaire » s'inscrivant dans la ligné de ces hommes qui nous ont apporté l'indépendance un quart de siècle auparavant (1962). Seulement, tout cela ne fût plutôt qu'un instant de toute une autre nature. Le temps d'une rêverie tournant au cauchemar diurne ! En un instant sanglant, de douleur et de souffrance pour des milliers de familles algériennes. Et pour ces quelques camarades de classe et copains du quartier. Nous avions sans doute avec quelques peu de maladresses de jeunes pubères osé, jeter un tas de pierres et bouteilles en plastiques sur ce qui nous semblait ‘‘appartenant à l'Etat'' (leddewla) : la poste, la Kasmas, et le commissariat du quartier. Celui-ci, allait justement devenir au lendemain du coup d'Etat contre le Président Chadli (janvier 92) un véritable laboratoire pour pratiquer des sévices et tortures de tout genre. Avec la bénédiction des futures ‘‘architectes'' d'une foudroyante tragédie fauchant encore ‘‘quelques'' milliers d'âmes. Présageant ainsi les heures les plus noirs dans l'histoire d'un peuple au seuil du nouveau millénaire… Et après ? Par où commencer ? En effet ! Que dire que le chemin menant aux solutions est tout aussi simple que complexe ! Simple, car il suffit de s'adresser à qui de droit, au peuple. Complexe, car il faut commencer par s'extirper de sa propre vanité et avoir le courage de le faire en se transcendant..! Que dire à nos dirigeants ? Que la politique est avant tout un effort noble pour faire régner le droit et la justice ? Le pouvoir assurant l'intérêt général et le bien commun ? La création de digues résistantes aux pressions corporatistes, par l'établissement d'institutions dignes de la souveraineté populaire ? Permettant la garantie des droits pour tous les citoyens ? la constitution comme garante pour endiguer toute volonté belliciste d'une minorité oligarchique au détriment des choix fondamentaux de la société ? Réaliser à travers des institutions dignes du sacrifice de notre peuple « l'intégration réelle et durable » de tous les individus dans la communauté des citoyens pour une « Cité juste » dont parlait déjà Aristote ? En tous cas, au niveau de la société civile il s'avère plus que urgent de développer une « Conscience politique citoyenne » ! Faire face à toute tentative manipulatrice qui vise une « dépolitisation généralisée », qui a souvent favorisé l'ordre établi, l'immobilité, le conservatisme. En somme, tentons au moins par l'évitement de tous ces « petits » chemins qui mènent nulle part ! Amorçons les sillons à travers ce qui mène directement vers nous-mêmes ! Donc, vers nos forces et faiblesses. Mais surtout nulle part ailleurs ! En sachant juste, qui sommes-nous et où l'on va ? Sinon, nous connaîtrons le même sort que ce malheureux pilote qui, à force d'ignorer sa destination finira par voler en cercles !! Saha aïdkoum. Sur le même thème : 1. Octobre 1988, le tournant : La jeunesse algéroise hachée à la mitrailleuse lourde 2. Salah-Eddine Sidhoum : 5 octobre 1988 : Espoirs, désillusions et leçons 3. Algérie, la colonisation recommencée, par Lounis Aggoun 4. Algérie : La torture reste une pratique courante. Rapport présenté au Comité contre la torture dans le cadre de l'examen du rapport périodique algérien 5. Amer anniversaire, en Algérie, des événements d'octobre 1988