La veille de la visite du président Macron à Alger le 6 décembre, dans un entretien publié dans l'Expression, Benjamin Stora, en réponse à des questions sur les contentieux coloniaux, a recommandé le développement du numérique afin de mieux faire connaître des acteurs de l'histoire algérienne comme, bien sûr, Messali Hadj, Ferhat Abbas et Abane Ramdane. Il a relancé aussi l'intéressant et lancinant projet de télévision franco-algérienne. Le lendemain, à l'ancienne place Bugeaud, après avoir arpenté l'ex-rue d'Isly, devenue la rue Larbi Ben M'hidi, le bon biographe de Messali expliquait au président Macron comment l'émir Abdelkader état devenu un « conciliateur », après avoir été un « grand résistant ». En fin de journée, dans sa conférence de presse, le président Macron a eu à répondre à des questions sur les contentieux coloniaux que des journalistes posaient en souvenir de la courageuse qualification du colonialisme en février par le candidat d'En Marche. Le président a répondu en désignant l'émir Abdelkader comme exemple à suivre pour dépasser les contentieux coloniaux. Il a fait état du projet d'ouverture à Alger d'une « Ecole 42 » spécialisée dans la formation au numérique, dont on ignore le statut. Ainsi, le président a su tirer profit des explications de l'historien sur l'émir Abdelkader pour tenter de répondre aux interrogations sur son recul, assez prévisible, par rapport aux déclarations faites sur le colonialisme quand il était venu à Alger comme candidat. Tandis que l'historien a eu l'intuition de l'importance que le président accordera au numérique, toujours pour justifier le refus net des excuses que les Algériens demandent unanimement. Il s'agit là d'une singulière communauté de pensée entre un président qui, pour avoir étudié l'œuvre de Paul Ricoeur (qui participait aux dialogues islamo-chrétiens inaugfurés par le regretté pasteur Etienne Mathiot, vient d'une mouvance de pensée sensiblement différente du marxisme-léninisme qui a marqué « la Génération d'octobre » à laquelle Stora avait appartenu. Cette récente proximité pourrait devenir comparable aux bonnes relations qu'entretenaient : le calife omeyade Abdelmalek Ibn Mérouane avec le grand théologien Hassan al Basri ; le calife abbasside Abou Djafar al Mansour avec l'imam Malek ; le sultan ghaznévide Mahmoud avec Abou Rayhan Birouni ; le sultan seldjoukide Nizam al Moulk avec Abou Hamed Al Ghazali, le Calife almohade Abou-Youssef Yaaqoub avec le philosophe Ibn Tofail ; le roi de Sicile Roger II avec Léonard de Vinci ; le général De Gaulle avec François Mauriac, ou Louis Armand…. Mais ces comparaisons avec des exemples aussi prestigieux n'auraient de sens que si l'historien médiatique s'avisait d'éviter d'enfoncer des portes déjà ouvertes et de tenir compte des effets imprévus que ne manqueraient pas d'avoir les mesures proposées, apparemment pertinentes, mais pouvant avoir des conséquences éloignées des objectifs de leur auteur. Car, pour ce qui est du numérique, rien n'empêche de mettre sur des sites les travaux des étudiants algériens sur les mémorandums à l'ONU comme celui de la Délégation extérieure du FLN dont le titre lui-même tranche sur les prudences de l'historiographie française : « Sur le génocide français en Algérie » ! Et pourtant les rédacteurs de ce texte-parmi lesquels de bons juristes qui savent le sens des catégories du droit international introduites après Nuremberg et la Convention des droits de l'homme de l'ONU au palais Chaillot de 1948- ne font que reproduire les témoignages de rappelés qui à leur retour des djebels n'hésitaient pas à affirmer : « En Algérie, des Ouradour, nous en faisons tous les jours... » En outre, les sites arabes, auxquels ne s'applique pas la loi Hadopi, numérisent depuis des années des livres d'histoire, dont bon nombre portent sur la guerre d'Algérie. Certains de ces ouvrages reprennent les meilleurs mémoires et thèses soutenus dans les universités algériennes depuis que les étudiants des professeurs Saadallah et Saïdouni se sont mis au travail pour apporter des démentis radicaux et scientifiques aux prétentions des députés (de droite, voire proches de l'extrême-droite) qui ont fait voté la fameuse loi du 23. 2. 2005 vantant les « aspects positifs de la colonisation ». Ces recherches faites loin des caméras de télévision ont été effectuées sous l'égide morale de Mohamed-Chérif Sahli, un ancien professeur de philosophie au lycée Louis- le- Grand, auteur d'un livre « décoloniser l'histoire », édité chez Maspéro, puis réédité à Alger il y a une quinzaine d'années, en réaction à « l'affaire Aurassesses » et à la loi vantant les mérites de la colonisation. Invité au colloque de Florence en 1958, où l'a dépêché le CCE (Comité de Coordination et d'Exécution, l'instance suprême du FLN), Sahli a fait perdre son calme au placide au correspondant du Monde quand il a centré sa communication sur la politique française de dépersonnalisation du peuple algérien et la « pacification qui n'est qu'une politique d'extermination du peuple algérien ». Parmi ces travaux, l'intéressante thèse soutenue à l'université d'Alger II par Mohamed Rezzig, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Dély-Brahim. Cette thèse a été à l'origine d'un livre (en arabe) remarqué sur « les crimes français en Algérie », dont la traduction française est sous presse en France. Tous ces travaux apportent des arguments historiques et scientifiques de poids pour conforter la courageuse qualification des crimes coloniaux faite à Alger par le candidat Macron en février 2017. Nul doute que la numérisation de ces textes en application des recommandations faites par Stora, et reprises le lendemain par le président, évitera aux déclarations du candidat Macron l'érosion de la mémoire. Cela fera de ces fortes paroles la référence majeure de tous les échanges franco-algériens à venir. Ce sera sûrement le cas dans les négociations à venir entre les délégations qui s'efforcent depuis des décennies de « refonder » les relations bilatérales et de préciser le « partenariat privilégié ». Il en sera ainsi également avec les historiens algériens que Stora daignera impliquer dans ce que Louis Massignon appelait une « coopération entre compagnons de travail intellectuel ». La crédibilité d'une recherche concertée sur « l'histoire commune » (qui n'a pas la même acception chez les historiens algériens, surtout arabisants) suppose des interlocuteurs algériens choisis parmi les chercheurs qui refusent une forte corrélation entre la recherche de la vérité historique les « vérités » politiques du moment. Or, si on n'y prend garde, il y a un sérieux risque de voir les historiens politisés français céder un penchant naturel les amenant à pressentir, dans la recherche d'interlocuteurs algériens, parmi ceux qui sont habitués à tenir un « discours d'Arabes pour Français » (P. Bourdieu, 1959). C'était hélas le cas avec un précédent directeur, d'origine algérienne, de l'Institut Maghreb-Europe de Paris VIII- que l'arrivée de Mathieu Guidère pourrait peut-être redynamiser, après des années d'immobilisme maintenu au mépris de l'actualité brûlante sur l'Islam. D'une façon générale toute sollicitation française des Algériens en vue d'une recherche sur « l'histoire commune » butera sur les contentieux psychologiques hérités du désintérêt presque total de l'historiographie française pour tout ce qui se publie en arabe sur la colonisation et la guerre d'Algérie. On a pu mesurer l'ampleur de ce manque total d'intérêt, quand la mort du professeur Belkacem Saadallah (auteur de 53 volumes en arabe sans compter ses livres et articles publiés aux Etats-Unis, ce qui constituait un facteur aggravant pour les historiens français qui ne réussissent pas à se faire inviter dans les universités américaines) a été passée sous silence par la totalité des commentateurs médiatiques et leurs vis-à-vis parmi les historiens français de l'Algérie. Cela a été assimilé à du mépris mâtiné de la prétention de se passer de ce qu'écrivent les algériens arabophones. Alors que Allan Christellow, algérologue qui enseigne à Idaho University, dans l'Utah au Nord-Ouest des Etats-Unis, parce qu'il a l'humilité qui sied au véritable homme de science, suit attentivement tout ce qui se publie en arabe, y compris dans les petites maisons d'édition de Aïn M'lila ou de Mascara. Cela est expliqué dans la cinquantaine d'universités algériennes par les présupposés idéologiques des historiens français dont certains vont jusqu'à soupçonner tout écrivain arabophone d'être un crypto-salafiste justiciable, si on les écoutait, d'une fiche S....Il faudrait néanmoins nuancer en citant l'exception de. S'il n'y avait pas cette absence totale de dialogue entre les historiens français de l'Algérie (à l'exception de Gilbert Meynier et de Malika Rahal) et les historiens algériens arabophones, les explications fournies par Stora devant la statue de l'émir Abdelkader auraient gagné en nuances. Cette amélioration aurait été possible si le biographe de Messali avait daigné s'informer sur les dizaines de pages publiées Saadallah sur « le grand résistant devenu conciliateur « . Une pareille lecture aurait permis de réduire à l'état de « point de détail » l'appartenance de l'émir au grand-Orient, que par honnêteté intellectuelle, le regretté Bruno Etienne contestait à la fin de sa vie quand il s'est avisé de son absence délibérée à la cérémonie d'adhésion... Stora a raison de recommander d'affiner la connaissance de Abane Ramdane. Mais est-il au moins au courant des nombreux livres publiés en arabe sur la « solution finale » choisie par l'organisateur du congrès de la Soummam (août 1956) à l'intention de tous les « anti-soummamistes » ? On est à peu près sûr que ses amis, de Constantine notamment qui ont un intérêt aussi sélectif, ne lui ont jamais parlé du livre du colonel Mohamed- Séghir Hélaïli, ancien secrétaire de Adjel Adjoul, chef aurésien qui échappa à l'assassinat par le futur colonel Amirouche que le CCE voulut, vainement, imposer, en octobre 1956, à la tête de la Wilaya 1. Hélaïli révèle des faits et fournit des explications totalement opposées à la présentation « historiquement correct » que fait de la Wilaya des Aurès une historienne algérienne dans ce qui reste des séminaires parisiens d'histoire sur l'Algérie. Il en est de même de Omar Tablit, auteur d'un ouvrage sur Laghrour Abbas, chef des Aurès et contestataire du congrès de la Soummam, qui a été assassiné en Tunisie en juillet 1957 après s'être opposé à la mainmise de Abane sur la Wilaya 1. On dsoit à Omar Tablit un autre ouvrage sur Adjel Adjoul, qui fut obligé obligé de rallier le poste français le proche après avoir échappé à la tentative d'assassinat par l'émissaire du CCE, Amirouche. On sait que la multiplication des livres sur les anti-soumamistes doit beaucoup à la publication de « témoignage pour un million de chahids » dans lequel Malek Bennabi demandait en mars 1962 des enquêtes sur l'assassinat des pères de l'ALN au nom de la « primauté du politique » qui semble avoir empruntée à…Charles Maurras. Ce texte, parfois très sévère, a été censuré pendant 40 ans. Sans s'aviser qu'il avait été publié il y a une dizaine, après avoir été commenté en 2002, Nouredine Boukrouh a donné une vision « politiquement correct » de ce texte sur le site Oumma- dont il sollicite l'hospitalité depuis le limogeage de ses protecteurs dont le général Toufik. Les historiens français de l'Algérie ignorent aussi jusqu'à l'existence d'Ali Tablit, cousin d'Omar, qui a publié plusieurs volumes (en arabe) sur l'histoire des relations de la régence d'Alger-devenue un véritable Etat indépendant concluant des alliances avec les puissances occidentales sans passer par la Sublime Porte- et les Etats-Unis. On doit à cet historien discret et consciencieux la révélation du projet d'installation en Algérie d'un million de Noirs américains à qui un gouvernement des débuts de la III° République voulait attribuer des terres, au vu du manque d'intérêt des Français pour l'installation sur les terres confisquées en Algérie. Un président de la République libanaise lui a remis des archives sur un projet comparable destiné à faire venir des colons issus de la communauté maronite du Liban. A chacune de ses visites à Paris, Ali Tablit rend visite au siège d'« Informations Ouvrières » où il a eu accès à une série d'articles sur l'Algérie publiés dans les années 70 dans « la Vérité » (traduction de la Pravda) par un membre de la « génération d'octobre » qui signait d'un pseudonyme. Jacques Simon se fait un malin de plaisir de révéler l'identité de ce rédacteur devenu historien médiatique, pour souligner la vitesse avec laquelle l'intéressé a substitué la « culture de gouvernement » à la « culture d'opposition » (Rocard). Jacques Simon, qui est aussi attaché que Stora à son Algérie natale, fait circuler en Algérie sa vingtaine de livres sur Messali et les messalistes qu'il a écrits à partir d'un important fonds d'archives personnelles. Un de ses livres s'en prend durement et, parfois, injustement hostile à son ex-camarade à l'OCI. Il s'arrange pour faire envoyer par mail la version pdf aux anciens messalistes et à leurs enfants. On le voit bien, non seulement le recours au numérique ne fera que conforter les déclarations du candidat Macron, mais il posera aussi de sérieux problèmes à son conseiller occasionnel sur l'Algérie. Il en est de même pour les intéressants projets audiovisuels que Stora semble proposer comme une alternative à la présentation des « excuses ». Après avoir refusé toute comparaison avec le contentieux franco-allemand, il préconise le lancement d'une chaîne de télévision franco-algérienne, sur le modèle d'Arte. Ce faisant, il relance ce qui est en passe de devenir un vrai serpent de mer. Il est n'est pas sûr qu'une telle chaîne accepterait facilement de programmer le film qu'un producteur algérien est en train de finaliser sur la base du livre consacré par Hadj Bencheikh, un discret professeur d'histoire à l'université d'Oran, aux enfumades de 1845 dans le Dahra, où le colonel Pélissier (couvert par le général Cavaignac, puis par Bugeaud) a fait mourir par asphyxie un millier de paysans réfugiés dans des grottes dont il a incendié les entrées. Il y aurait aussi des hésitations à faire passer le film documentaire, comme ceux que Stora semble préférer aux livres, sur Kacem Zeddour, qui a été torturé à mort dans les locaux de la DST début novembre 1954. La police déclara la « fuite ». Mais le rejet d'un corps par la mer quelques semaines plus tard permit de douter de la version officielle. Grâce au commissaire Charles Ceccaldi-Raynaud, la famille du disparu a pu savoir qu'un commissaire divisionnaire de la DST, après avoir tué par strangulation le prévenu, a fait lester le corps de 70 kilos de plomb avant de le jeter en haute mer. Le vaillant commissaire encouragea la famille Zeddour à porter plainte et, pour relancer celle-ci, mit à contribution Charles Hernu, venu à Alger pour se présenter aux législatives de janvier 1956. Le jeune député radical-socialiste écrivit à ce sujet au Garde des Sceaux du gouvernement Guy Mollet qui, embarrassé, répondit que l'affaire ayant fait l'objet d'un non-lieu, il allait voir ce qu'il pouvait faire. Toujours selon Ceccaldi-Raynaud, l'affaire finira étouffée par Mitterrand, concerné deux fois par cette affaire : quand il était ministre de l'Intérieur sous Mendès-France jusqu'en février 1955 ; puis comme Garde des Sceaux de Guy Mollet. Cet étouffement, au prix d'une falsification grotesque de l'enquête de l'identité judiciaire a eu lieu, avec la complicité de Jean Vaujour, alors directeur de la Sûreté Générale à Alger, qui passe allègrement sous silence (qui a choqué Edgar Faure) dans un livre-souvenir trompeur à cause de l'« humanisme bourgeois tardif » (Edward Saïd). Au moment des faits, Vaujour a fait passer ses calculs de carrière bien avant son souci des « droits de l'homme ». Ceccaldi-Raynaud a mis au courant Guy Mollet qui le lendemain de son arrivée à Alger le 7 février 1956 a limogé Pontal le chef de la DST d'Algérie, qui avait couvert le commissaire tortionnaire Un tel film réduit la valeur scientifique de la périodisation par quelques historiennes françaises qui font croire que la torture n'aurait été le fait que des officiers de renseignements des régiments paras durant la bataille d'Alger de 1957. Cela réduit à néant aussi l'argument majeur des mitterrandistes (dont Stora s'est démarqué courageusement en cosignant un livre sur les cruels refus par Mitterrand des grâces à des dizaines de condamnés à mort algériens dont beaucoup étaient des innocents) qui imputent au garde des Sceaux de G. Mollet l'insigne mérite d'avoir rattaché la police d'Algérie à la direction parisienne de la police nationale. Malheureusement, la DST a inauguré les tortures sans jamais avoir été rattachée aux polices de Vaujour, avant d'échouer lamentablement, et à deux reprises, dans ses tentatives de manipulation des faux maquis- »Oiseau Bleu » en Kabylie en 1955-1956 et la « Force K » dans la vallée du Chélif en 1956-1958. Cela n'a pas empêché Yves Bonnet, ancien para devenu chef de la DST sous Mitterrand (président), de se faire interviewer dans le film sur Zeddour, sans doute sur recommandation de l'ex-DRS. Bonnet, qui a essayé de justifier la torture en invoquant les besoins du « renseignement opérationnel », a diminué le temps de parole de l'excellent Ceccaldi-Raynaud qui avait démasqué le commissaire tortionnaire et obtenu le limogeage de son supérieur. Nul doute que si une chaîne franco-algérienne venait à être créée, Stora lui proposera, pour apporter sa participation à « l'histoire commune », la rediffusion de sa série produite sous Mitterrand pour Antenne 2 sous le titre « c'était la guerre... ». De nombreux algériens lui firent remarquer amicalement que ses films sont plus précautionneux que la série produite à la même période par un producteur britannique qui n'a jamais eu à s'affranchir des contraintes de ceux qui ont fait partie de la Mitterrandie. Stora acceptera-t-il d'aller jusqu'au bout de son affranchissement de ces contraintes « mitterrandiennes » au point de revoir et corriger les passages les plus faiblards de ses cinq ou six films ? Les Algériens avaient aussi signalé, toujours amicalement, à Stora que son documentaire sur la crise de 1962 aurait gagné en précision s'il avait réussi à interroger les principaux protagonistes qui vivaient encore : Ben Bella, Benkhedda et Chérif Belkacem ; celui-ci, en tant qu'adjoint de Boumédiène, aurait exposé le point de vue de l'état-major beaucoup mieux que le lieutenant Bouhara. Mais en 2001, Stora n'était pas en mesure de rencontrer ces poids lourds de l'histoire algérienne pour diverses raisons. Parmi ces raisons, l'étrange réaction d'un chroniqueur du Monde, chargé habituellement de l'immigration, mais qui s'est occupé de la polémique historico-politique provoquée par la parution du livre d'Aussaresses où l'ex-Commandant O révélait que Mitterrand, garde des Sceaux, sans doute pour éviter retentissant, avait donné son accord via le « juge Bérard »(trait d'union entre la chancellerie et les généraux d'Alger) à l'élimination de Larbi Ben M'hidi (dont la rue portant le nom a été arpentée par le président Macron) . Le Monde, dont le rédacteur venait de chez Lambert avant d'essayer de faire partie durablement de la Mitterrandie, n'a pas trouvé mieux que de contester l'historicité même du juge Bérard, en prétendant avoir vérifié auprès « d'historiens de l'Algérie » ! Mais un communiqué de Marylise Lebranchu, ministre de la justice de Jospin, est venu confirmer l'existence de Bérard en précisant que « le garde des Sceaux (de l'époque, Mitterrand) l'avait sanctionné »...Jusqu'à nos jours les lecteurs crédules du Monde croient encore que Mitterrand avait sanctionné à cause de Ben M'hidi le petit juge pied-noir, qui avait instruit toutes les affaires des nationalistes appréhendés avant 1954.. En fait, le ministre lui reprochait les lenteurs de son instruction de « l'affaire du bazooka » qui avait failli coûter la vie en janvier 1957 au général Salan, en faveur duquel Mitterrand témoignera en 1962... Ben Bella et Benkhedda, et sûrement Chérif Belkacem à qui je rendais visite à la même période, n'avaient aucun mal à deviner l'identité de « l'historien » sollicité par l'ex-lambertiste passé au courant A du PS...D'où une crise confiance que Stora a eu le mérite de dissiper, ne serait-ce qu'en partie, au cours de ses visites répétées en Algérie. Il y aurait beaucoup à dire sur d'autres téléfilms de Stora, comme ceux dans lesquels il parle de « ralliements massifs » dans l'ALN et du déclenchement de la bataille d'Alger de 1957 par les chefs du FLN après leur « repli à Alger » suite à leur supposée « traque dans les maquis». Or, plus d'un historien algérien voulait lui recommander la lecture des témoignages inédits du général Dulac qui, en réponse à une journaliste reprenant à son compte les thèmes comme les « ralliements massifs » inspirés par l'Action psychologique du V° Bureau à presque tous les journaux, répondit : « je n'en ai jamais vus ; hormis la katiba d'Ali Hambli que j'ai accueillie à l'Est de Tébessa après son ralliement, non pas à cause de nous, mais parce qu'elle était pourchassée par le capitaine Benchérif dans le djebel Chaambi à cause de « l'affaire Lamouri »(du nom du colonel arrêté par la garde tunisienne pour « complot » réel ou supposé contre le GPRA et...le Combattant Suprême » tunisien). Pour la bataille d'Alger, le CCE n'a jamais eu de PC dans les maquis contrairement à un commentaire erroné d'un des téléfilm s de Stora qui changera rapidement d'avis lorsqu'il se donnera la peine de lire quelques rapports confidentiels du 2° Bureau de l'état-major. Ce service ne tarissait pas d'éloges sur les commandos zonaux (« qui tiennent tête à nos unités d'élite ») et reconnaissait que « la politique des katibas » de l'ALN était très souvent victorieuse jusqu'au plan Challe de 1959, quand les katibas (compagnies) furent fractionnées, et non « pulvérisées » comme l'écrit Jacques Soustelle dans son livre-réquisitoire contre le général De Gaulle. Il semble bien que bon nombre d'historiens français de l'Algérie s'en remettent encore à un polémiste comme Soustelle, pour faire l'économie de la lecture fastidieuses des rapports arides et objectifs des colonels de Schaken, Jacquin, et Bourdoncle qui se succédèrent à la tête du scientifique 2° Bureau de l'état-major de Salan et de Challe... Bref, quand Stora ouvrira un débat loyal avec les historiens algériens- qui ne sont pas tous des salafistes uniquement parce qu'ils écrivent en arabe (il faut laisser ces déductions hâtives à Gilles Kepel et à Séverine Labat)-, il aura besoin de tout son flegme pour écouter ce genre de remarques qui n'ont rien de désobligeants, et dont la prise en compte dissipera plus d'un malentendu et rendrait, à terme, possible, voire fructueuse une « collaboration entre compagnons de travail intellectuel » français et algériens. L'étude des raisons des refus des excuses officielles occupera plus d'un politiste, comme le professeur de l'IEP d'Alger, auteur du livre en arabe sur les « crimes français en Algérie » ; il serait dommage que ces politistes, qui auraient à examiner les raisons de realpolitik de ce refus, aient à sonder le cœur et les reins d'un historien qui accepterait d'adapter la recherche de la vérité historique aux aléas de la vie politique... Sadek SELLAM