La France reconnaît enfin sa responsabilité dans l'assassinat de Maurice Audin, mathématicien et militant indépendantiste algérien. Le président français, Emmanuel Macron, a rendu, hier, une déclaration publique où il affirme «au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté, ou torturé à mort par des militaires qui l'avaient arrêté à son domicile». C'était le 11 juin 1957. Le locataire de l'Elysée, qui a tenu à faire lui-même ladite déclaration à la veuve et aux enfants Audin en se rendant personnellement à leur domicile familial dans la banlieue francilienne, admet dans le même document que la disparition et la mort du jeune membre du Parti communiste algérien (PCA) ont été l'œuvre d'«un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé ‘‘arrestation-détention'' à l'époque même, qui autorise les forces de l'ordre à arrêter, détenir et interroger tout ‘‘suspect'' dans l'objectif d'une lutte plus efficace contre l'adversaire. Ce système s'est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux». C'est cela qui définit en somme la responsabilité de la République française dans ce «crime d'Etat». Le texte dénonce un système qui «a favorisé les disparitions et permis la torture à des fins politiques». Afin de faire éclater toute la vérité en ce qui concerne la mort de Maurice Audin – devenu, tout au long de ces soixante ans, le symbole de la lutte pour la justice et la vérité au profit des victimes de la torture et des disparitions forcées qui incombent à l'armée coloniale française –, le président Macron s'adresse directement aux témoins encore vivants, civils ou militaires, qui ont pu connaître les circonstances exactes de la mort d'Audin, en les appelant «à s'exprimer librement afin d'apporter leur témoignage et conforter ainsi la vérité». Conscient et avouant que le cas Maurice Audin n'est pas un acte isolé, avec des «milliers» de disparitions pendant le conflit, Macron a exprimé le souhait que «toutes les archives de l'Etat qui concernent les disparus de la Guerre d'Algérie puissent être librement consultées et qu'une dérogation générale soit instituée en ce sens». En plus de la pratique des disparitions forcées, qui est en soi un crime atroce, l'affaire Audin a surtout mis en lumière l'usage de la torture par l'armée coloniale contre les indépendantistes algériens, de l'aveu même du président français : «Certes, la torture n'a pas cessé d'être un crime au regard de la loi, mais elle s'est alors développée parce qu'elle restait impunie. Et elle restait impunie parce qu'elle était conçue comme une arme contre le FLN, qui avait lancé l'insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient vus comme ses alliés, militants et partisans de l'indépendance ; une arme considérée comme légitime dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité.» Reconnaître ces crimes d'Etat et œuvrer davantage pour dire toute la vérité sur le passé colonial de la France en Algérie en vont, d'après l'auteur, du «devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle, dans ce domaine comme dans d'autres, doit montrer la voie, car c'est par la vérité seule que la réconciliation est possible et il n'est pas de liberté, d'égalité et de fraternité sans exercice de vérité». Selon lui, «il importe que cette histoire soit connue, qu'elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l'apaisement et de la sérénité de ceux qu'elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu'en France. Une reconnaissance ne guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l'irréparable en chacun, mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui ploient encore sous le poids de ce passé». C'est pourquoi, cette déclaration sert à relancer et à redynamiser le travail de mémoire et de vérité plutôt qu'à l'achever. «L'approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algériens», conclut Emmanuel Macron. Sa déclaration, qualifiée par certains observateurs médiatiques et universitaires d'historique, a été saluée par la famille Audin. Dans une réaction, publiée par le site Mediapart, celle-ci a souligné «l'immense portée politique et historique» d'une telle démarche. Josette Audin et ses enfants espèrent également que le corps de leur époux et père «sera recherché et pourra enfin recevoir une sépulture». Quant à l'association Maurice Audin, elle a célébré dans un communiqué un «acte essentiel», tout en s'engageant à poursuivre son combat pour que tous ceux, français et algériens, qui furent comme Audin «torturés et assassinés, soient identifiés et reconnus et que leurs corps puissent être retrouvés». Par ailleurs, elle a appelé l'ensemble des collectivités locales françaises à attribuer le nom de Maurice Audin aux rues, places et édifices publics afin de contribuer à ce que le «système de la terreur ne soit jamais reproduit».