Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique risque d'être ébranlé par un nouveau scandale impliquant la responsabilité personnelle du ministre Tahar Hadjar en tant que premier responsable de ce département ministériel. Après l'enlisement du dossier des médecins résidents pour lequel la tutelle s'est montrée incapable de trouver une solution pour mettre fin à ce conflit qui dure depuis plus de 8 mois avec, à la clé, les répercussions que l'on sait sur le fonctionnement de nos structures sanitaires et le bon déroulement du cursus universitaire de nos jeunes médecins, après le scandale des inscriptions en mastère qui a provoqué un mouvement de contestation et de colère à travers les centres universitaires du territoire national, cette fois- ci ce sont des fuites qui commencent à sortir concernant des dérogations délivrées par le ministère pour des bacheliers en vue de s'inscrire dans des filières où ils n'ouvrent pas droit. Des documents en notre possession attestent, en effet, que des dérogations pour des inscriptions dans de grandes écoles dites «protégées» (pour qui et contre qui ?) ne remplissant pas les conditions d'admissibilité requises ont été envoyées du fax personnel du ministre (voir fax similés). Un document a même été transmis en fin de journée. La communauté universitaire se serait certainement réjouie si le bureau du ministre et son secrétariat restaient ouverts et en activité aussi tard pour redresser la situation du secteur et trouver des solutions aux nombreux problèmes auxquels est confrontée l'université algérienne, dont les dossiers explosifs de l'heure cités plus haut. Contacté pour avoir sa version des faits concernant ces passe-droits, le ministre, Tahar Hadjar, nie avoir signé une quelconque dérogation, tant pour ce qui concerne les écoles nationales supérieures et les facultés de sciences médicales que pour le système LMD. «Je n'ai rien signé», se défend le ministre qui ne s'est pas montré, en revanche, convaincant pour nous expliquer comment des documents officiels engageant sa responsabilité ont été transmis de son fax personnel, certains à des heures indues sans qu'il ne soit informé. La justice de la nuit Est-il admissible qu'un ministre de la République qui est censé représenter l'Etat algérien ne sache pas ce qui se passe derrière les murs de son ministère et, circonstance plus aggravante encore, dans son propre bureau ? Même si M. Hadjar dégage sa responsabilité en assurant n'avoir rien signé – chose qui reste à prouver –, il demeure qu'il doit s'expliquer sur cet énigme de dérogations envoyées de son fax personnel ; ce qui constitue déjà en soi une preuve accablante que des dépassements ont bien eu lieu dans son ministère en violation de la circulaire fixant les modalités d'orientation et d'inscription des bacheliers de cette année qu'il a lui même édictée. En tant que ministre du secteur, sa responsabilité est pleinement engagée. Il reste à espérer qu'une commission d'enquête soit rapidement diligentée, non pas par le ministère de l' Enseignement supérieur qui ne peut pas être juge et partie, mais par la chefferie du gouvernement et les autres autorités compétentes pour faire la lumière sur ce scandale. Dans le cas contraire, cela confirmera les solides protections que l'on prête au ministre qui semble jouir d'une impunité pour ne pas devoir rendre des comptes et survivre à la grogne généralisée qui agite son secteur. Les frustrations et les sentiments d'injustice restent encore forts chez de nombreux candidats infortunés qui s'estiment lésés quant à leur orientation. N'ayant pas le bras long pour être repêchés, ils se sont inscrits, par défaut, dans des filières dont ils n'ont jamais rêvés, même s'ils disposent, par ailleurs, d'un relevé de notes excellent et d'une moyenne très proche des seuils d'admission exigés dans la spécialité de leur premier choix. Mais il se trouve que l'université est une petite famille où les étudiants, surtout à cet âge, à peine sortis de l'adolescence, finissent par se livrer des confidences sans parfois en mesurer la gravité. C'est même avec fierté qu'on se raconte entre copains comment on a réussi à se faire inscrire ou obtenir un transfert, y compris hors délai, avec un coup de pouce du ministère, tout en raillant leurs collègues qui n'ont pas eu cette chance ou de piston. Dans un pays comme l'Algérie, où l'usage du piston est devenu une nécessité de la vie au quotidien, souvent pour faire valoir un droit légitime, plus qu'un choix ou une coquetterie, la pratique s'est banalisée, socialisée, voire presque légalisée. Personne n'y échappe et personne ne s'en offusque d'y recourir. Plus d'un mois après la clôture officielle de l'opération de transfert des bacheliers, de nouveaux candidats, qui ont certainement obtenu le précieux sésame par les mêmes voies détournées pour changer de filière, continuent de débarquer dans les amphis et groupes de travaux dirigés au niveau des établissements universitaires, y compris dans les filières dites «protégées», selon des témoignages d'étudiants. Cette situation a retardé la constitution des groupes des travaux dirigés et a créé des bousculades dans les amphis débordés par les effectifs qu'on n'arrive pas à clôturer définitivement. Contrairement aux affirmations du ministre niant en bloc l'existence d'interventions dans l'orientation des candidats, d'autres sources du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique se montrent moins tranchées. On reconnaît que des dérogations ont été délivrées pour des candidats ayant obtenu des moyennes de 10 et 11 pour des inscriptions dans des filières exigeant 12 et 13 de moyenne, «là où les places pédagogiques sont disponibles» précise-t-on. La plateforme informatique mise à l'index Pourquoi accorde-t-on cette faveur obtenue en empruntant des circuits parallèles et en violation des textes réglementaires à certains candidats et pas à d'autres qui sont peut-être plus éligibles pour être repêchés compte tenu des moyennes obtenues au bac ? Officiellement, le recours à été supprimé depuis que le traitement des dossiers d'orientation des bacheliers s'opère au moyen du système informatique. L'introduction de l'outil informatique était censé apporter plus de justice, de transparence et de modernité. C'est le contraire qui s'est produit. Ce système, que l'on disait inviolable, est aujourd'hui décrié par tous. «C'est devenu un instrument de fraude ‘‘institutionnalisée''», accuse-t-on. Le spectacle affligeant de la grogne des étudiants en mastère qui remettent en cause la fiabilité de la plateforme numérique dans un pays où les passe-droits sont une seconde nature le confirme. Des indiscrétions commencent à sortir dans et en dehors du ministère de tutelle, au sein des universités, mettant en cause des mains invisibles accusées de cracker le système et de manipuler les données informatiques pour servir des amis et proches sans laisser de traces. Si c'est le cas, le forfait ne peut pas être commis sans la complicité, en aval, de certains responsables universitaires qui se prêtent à ce jeu interdit. Ces derniers, soucieux de leurs carrières et de la préservation de leurs postes, ne peuvent pas s'opposer à un pli recommandé, une dérogation, une instruction émanant de la tutelle sous peine de représailles. «Je n'ai jamais fait du favoritisme, mais en tant que fonctionnaire, si le ministre me donne des instructions, j'exécute», avoue un gestionnaire d'une structure universitaire. Tous les avis concordent pour dire que «seul le ministre peut signer ou donner l'accord pour des dérogations». Les responsables des universités reconnaissent aujourd'hui volontiers que le système actuel de l'orientation des bacheliers basé sur le tout informatique est «injuste, inhumain et anti-pédagogique». Il faut revenir, dit-on, «aux commissions de recours pour leur donner l'opportunité de réexaminer, sur la base du mérite, les possibilités de repêchage des candidats dans la transparence et le respect de l'égalité des chances» . Déshumanisé, le recours impersonnel au système informatique a ainsi brisé dans sa mécanique froide des vocations et des rêves de nombreux bacheliers ayant postulé à des études dans certaines filières (notamment les grandes écoles et les sciences médicales exigeant des moyennes élevées). Ils sont des centaines, voire des milliers à être rejetés par le système, parfois pour certains d'entre eux, ratant d'un cheveu l'inscription dans la filière de leur premier choix avec un écart de point infinitésimal de 1/10 ou 1/100 par rapport à la moyenne exigée. Résultat des courses, tous ces étudiants recalés avec des moyennes proches de 16, voire même plus, et des notes excellentes obtenues à l'examen dans les matières essentielles par rapport à la spécificité de leur bac se sont retrouvés, contraints et forcés, de s'inscrire, la mort dans l'âme, dans une spécialité qui ne les inspire pas et qu' ils finiront par abandonner au bout de quelques semaines. Les plus tenaces repasseront leur bac pour pouvoir vivre leurs passions et leurs projets de vie. Aussi, il est impératif de réfléchir aujourd'hui à une refonte du système actuel d'orientation des bacheliers qui n'a produit que des injustices, des déperditions universitaires et une hémorragie de nos étudiants qui quittent massivement le pays pour poursuivre leurs études à l'étranger. Vers un désert universitaire Les derniers chiffres rendus publics par Campus France évaluent à 30 000 le nombre des étudiants algériens inscrits dans les universités françaises, dont près de 37% dans les filières scientifiques et techniques et les sciences médicales. Des statistiques qui confirment les obstacles que le système de l'Enseignement supérieur a dressés devant les étudiants dans ces disciplines, sous le fallacieux prétexte de la recherche de l'excellence attribuée aux grandes écoles et aux études en sciences médicales, pour justifier les conditions d'accès difficiles dans ces filières, alors que le problème de fond est celui du déficit des places pédagogiques. Indésirables chez eux, broyés par un système qui se moque du prestigieux prix Nobel, dont tous les universitaires, universités et responsables des temples du savoir du monde rêvent d'en être récipiendaires, à l'exception du ministre Tahar Hadjar, nos étudiants s'en vont à l'étranger où leurs compétences sont reconnues et où les meilleures conditions pédagogiques leur sont offertes pour la réussite dans leurs études. Depuis ces dernières années, il n'y a pas que les études post-universitaires qui attirent nos étudiants, le phénomène migratoire de nos universitaires touchent les bacheliers, voire même les collégiens et les lycéens. Très peu reviennent au pays à la fin de leurs études. Comment ne pas être tenté par le départ, quand toutes les perspectives sont bouchées dans le pays ! Dans les sociétés modernes, les secteurs de l'éducation et de l' enseignement supérieur sont des chantiers éternellement ouverts ; ils s'adaptent perpétuellement aux besoins de l' économie et aux mutations de la société. C'est ce que vient de faire la France qui s'apprête à supprimer le numerus clausus pour les études préparatoires en médecine, en abolissant le concours d'entrée en 1re année pour faire face au désert médical dans lequel se débat ce pays. En Algérie, on confie à l'ordinateur et aux technocrates du ministère le soin de décider de l'avenir de nos enfants et des orientations stratégiques de notre système d'enseignement avec les résultats catastrophiques que l'on sait. Avec un tel système qui a montré ses limites et ses lacunes, nous serons fatalement condamnés dans un avenir proche à importer des ingénieurs pour faire tourner nos usines, des médecins pour soigner nos malades, des professeurs pour l'encadrement de nos universités. Peut-être même, ironie du sort, des cadres universitaires algériens qu'on a poussés à l'exil et qui reviendront au pays en tant que cadres de multinationales avec le statut d'expatriés payés en devises fortes.