Par Marc Perelman | Journaliste basé à New York | 24/10/2008 | 22H56 Le 27 octobre a lieu l'audience à La Haye de Florence Hartmann, jugée pour avoir violé la confidentialité de décisions du Tribunal. Le 27 octobre va se dérouler à La Haye aux Pays-Bas une première. Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), qui juge les criminels de guerre du conflit balkanique, va tenir une audience non pas contre des hommes avec du sang sur les mains mais contre une de ses ex-employées, Florence Hartmann. L'ancienne porte-parole du procureur en chef du TPI, est en effet accusée d'outrage au tribunal pour avoir violé la confidentialité de décisions de la cour. (lire l'ordonnance de renvoi ci-contre) Hartmann, ancienne journaliste du Monde qui fut porte-parole de la procureure Carla Del Ponte entre 2000 et 2006, risque sept ans de prison pour avoir, dans un livre et un article publiés après son départ du TPIY, levé un voile sur des décisions des juges du tribunal restreignant l'accès à des documents cruciaux pour déterminer la responsabilité du régime de Belgrade dans les guerres en Croatie et en Bosnie. Faire taire une personne qui dérange Le 27 octobre, Hartmann plaidera non coupable devant la chambre de première instance du TPIY et un procès devrait se tenir dans les mois à venir. Les défenseurs de la liberté d'expression, dont son avocat parisien maitre William Bourdon, dénoncent la décision du tribunal de recourir à une mise en examen pour faire taire une personne qui dérange. Selon Me Bourdon, l'infraction n'est pas constituée car sa cliente ne cite pas les décisions en question mais y fait seulement référence. Il ajoute qu'elle n'avait aucunement l'intention de nuire a l'action du tribunal mais tenait a apporter des éléments à un débat public. Il explique à Rue 89 : « Il est paradoxal qu'une juridiction censée protéger les droits de l'homme puisse donner l'impression de museler une journaliste qui cherche a éclairer l'action du tribunal. » Le tribunal, par la voix de sa porte-parole Nerma Jelacic, explique qu'Hartmann a délibérément violé des mesures de confidentialité et que de telles poursuites ont déjà été engagées pour des motifs similaires. « Le tribunal n'est pas une institution politique et ces cas ne sont donc pas basés sur des décisions politiques », déclare-t-elle à Rue89. Pourtant, derrière ce combat à propos de la liberté d'expression, c'est bel et bien l'impartialité de la justice internationale qui est en jeu. La clé, ce sont les verbatim du Conseil de défense suprême serbe, qui réunissait pendant la guerre le leadership politique et militaire serbe, sous les ordres de Slobodan Milosevic. Après l'arrestation du dictateur serbe et son extradition vers le TPIY en 2001, ces archives, qui détaillent la coordination entre Belgrade et les forces serbes de Bosnie et de Croatie, furent exigées par le parquet du tribunal auprès de Belgrade afin d'être utilisées lors du procès Milosevic. La Serbie pose comme condition que l'utilisation de ces preuves soit limitée à ce seul procès au nom de « l'intérêt vital national ». Des mesures de protection acceptées en 2003 par les juges du procès Milosevic. Mais deux ans plus tard, ces mêmes juges reviennent sur leur position. La Serbie fait appel et les juges de seconde instance lui donnent raison par une décision confidentielle d'avril 2006 réaffirmant les mesures de protection. Un deal entre le TPIY et la Serbie qui prive la CIJ de documents essentiels A ce moment, les magistrats de la Cour internationale de justice (CIJ), qui juge les différends entre Etats, délibèrent sur une plainte déposée par la Bosnie contre la Serbie pour génocide à propos notamment du massacre de près de huit mille Musulmans bosniaques dans l'enclave de Srebrenica en 1995. Or, les fameuses minutes apportent de solides éléments de preuve quant à la coordination entre Belgrade et les forces serbes bosniaques qui ont commis ces actes. De ce fait, la décision des juges d'appel du TPI de ne pas autoriser l'accès intégral à ces minutes eu pour résultat que leurs confrères de la CIJ ne les avaient pas entre les mains au moment de leurs délibérations. Leur arrêt, rendu en février 2007, conclut que s'il y a bien eu génocide en Bosnie, la Serbie n'en est pas directement responsable, échappant ainsi au paiement de réparations potentielles à la Bosnie. Ou la décision provoque un tollé, notamment la question de l'accès incomplet aux verbatim. En filigrane se pose aussi la question de l'attitude des puissances occidentales. Ces dernières ont pendant des années fait pression sur la Bosnie pour qu'elle abandonne sa plainte contre la Serbie devant la CIJ, déposée en 1993. Mohamed Sacirbey, ancien ambassadeur de Bosnie à l'ONU puis ministre des affaires étrangères, s'en souvient bien : « Les occidentaux, au premier chef les Américains, nous ont souvent demandé de laisser tomber la CIJ pour ménager Belgrade et d'amener Milosevic à négocier la paix. Mais la question se pose de savoir si leur vraie motivation n'était pas la crainte d'être accusés eux-mêmes de complicité de génocide pour ne pas avoir fait assez pour empêcher les massacres, au premier chef Srebrenica. » Deux mois après l'arrêt de la CIJ, Geoffrey Nice, ancien procureur en charge du procès Milosevic au TPI, accuse dans la presse balkanique la procureure en chef, Carla Del Ponte, d'avoir conclu un accord avec la Serbie par lequel cette dernière, en échange de la transmission au TPIY des verbatim, obtint qu'elles soient protégées par des mesures de confidentialité. Hartmann, qui n'avait à l'origine pas prévu d'aborder le sujet dans son livre « Paix et Châtiment », décide alors d'y donner sa version des faits, affirmant que si deal il y a eu, ce n'est pas avec Del Ponte mais avec les juges d'appel qui seuls avaient l'autorité d'accéder aux demandes serbes. Un véritable « J'accuse » contre l'intégrité des juges du tribunal international C'est un véritable « J'accuse » contre l'intégrité des juges du TPI que lance Hartmann dans un bref passage du livre qui sort en septembre 2007, puis dans un article paru en janvier dernier pour The Bosnian Institute. Elle y affirme que « l'intérêt national » invoqué par la Serbie se résumait à la crainte d'être condamnée par la CIJ et de devoir payer des dommages colossaux à la Bosnie. Et que les juges du TPIY, en acceptant cet argument pour le moins douteux, ont sciemment agi afin d'éviter a Belgrade ce désagrément. Hartmann, qui refuse dorénavant de s'exprimer avant la comparution, me déclarait il y a quelque mois : « La question se pose de savoir pourquoi des magistrats ont agi d'une façon qui était clairement contraire à la loi et qui a eu pour résultat de priver une autre juridiction d'accès à des éléments de preuve dans le but d'éviter à un pays de payer des dommages… L'attitude des juges du TPIY est un vrai scandale que personne n'est prêt à dénoncer. » Ce faisant, elle évoque des décisions de justice censées rester confidentielles. Pour rétablir la vérité, proclame-t-elle. En violant le sacro-saint principe de confidentialité, selon les magistrats du TPIY. Le 1er février, dix jours après la publication de son article pour The Bosnian Institute, le tribunal ordonne l'ouverture d'une enquête, dont les conclusions lui sont remises mi-juin. L'inculpation d'Hartmann est officiellement annoncée le 27 août. Trois mois plus tard, elle va pour la première fois faire face aux juges qu'elle accuse. Lire aussi : « Paix et châtiment » – de Florence Hartmann – Flammarion – 319 p. – 19,90€. Photo : Florence Hartmann et Carla Del Ponte en conférence de presse à La Haye en 2006 (Jerry Lampen/Reuters). Cimetière musulman en Bosnie : Sahbaz Mujcinovic et ses enfants visitant les tombes de son frère et de son père qui furent génocidés par les militaires serbes à Srebrenica en 1995