Editorial. Alors que la présidentielle du 12 décembre aurait dû constituer l'aboutissement d'une transition démocratique, le scrutin prend des allures de parodie. Publié 22 octobre 2019 Editorial du « Monde ». L'Algérie parviendra-t-elle à tourner la page de l'autoritarisme de façon pacifique ? Pour un pays qui a souvent avancé par à-coups violents, le défi est immense et l'occasion historique. Depuis maintenant huit mois, les manifestations non violentes se multiplient contre le pouvoir mis en place il y a vingt ans par Abdelaziz Bouteflika, le président déchu. De celui-ci ne restent aujourd'hui que des oripeaux dont les représentants sont impuissants à comprendre le sens de l'histoire et à appréhender les aspirations d'une population excédée par l'infélicité dans laquelle le régime a plongé l'Algérie. L'élection présidentielle du 12 décembre aurait dû constituer l'aboutissement du processus démocratique. La façon dont le scrutin est organisé ne crée pas les conditions d'une transition réelle, légitime et transparente vers un accord politique global. La bureaucratie et les lobbys inféodés au pouvoir ont encore assez d'influence pour tenter de maintenir l'existant à rebours des revendications de la rue. Les vieux réflexes restent les mêmes, même si la pression populaire a obligé le système à adapter son discours. Mais, dans un climat de défiance généralisée vis-à-vis du pouvoir, celui-ci est devenu inaudible. Au lieu de s'inspirer de l'écho du Hirak, le mouvement populaire, pour tenter de donner de nouvelles perspectives à une Algérie qui en manque tant, l'armée, désormais en première ligne, ne cherche qu'à le neutraliser. Vouloir perpétuer un système qui a échoué et contre lequel les Algériens sont désormais vaccinés n'aboutira qu'à radicaliser le mécontentement. L'élection qui se profile prend des allures de parodie démocratique, dans laquelle les ex-ministres du président sortant font mine de participer à une compétition qui n'a qu'un but : faire émerger une personnalité du sérail pour que rien ne change véritablement. Tant que la presse subira des pressions permanentes pour diffuser la bonne parole du pouvoir, tant que des arrestations arbitraires et une justice d'exception perdureront, tant que le pouvoir actuel n'acceptera pas de laisser le processus électoral se dérouler librement, les conditions de la désignation d'un nouveau président légitime ne seront pas réunies. Dans ce contexte, le scrutin du 12 décembre risque d'aboutir à une élection vide de sens avec un taux de participation ridiculement bas. Le nouvel élu sera fragilisé, rendant le pays ingouvernable. Ce qui fait la force de ce mouvement, c'est qu'il ne s'agit pas d'une révolte sociale ou catégorielle jetant dans la rue une partie des Algériens contre une autre. Il s'agit d'un élan qui mêle jeunes et vieux, classes populaires et plus aisées. Face à cette masse et à cette diversité, le pouvoir aura les plus grandes difficultés à jouer la division pour maintenir un statu quo illusoire. Si les tenants du système imaginent qu'un retour à la situation ante est encore possible, ils se trompent lourdement. Les Algériens ne manifestent pas depuis huit mois pour obtenir des réformes à la marge avec ceux qui les ont conduits à la situation actuelle. L'immense majorité demande une remise à plat de la redistribution des richesses nationales, veut remettre la souveraineté du peuple au centre de la vie politique et entend reprendre en main son destin qu'un clan lui a confisqué pendant trop longtemps. A ce stade, le scrutin du 12 décembre n'est pas à la hauteur de cette aspiration et ne fera que compliquer la transition démocratique. Le Monde