Le vendredi 42 restera gravé dans les annales de la révolution. Il aura été un véritable référendum populaire contre des élections illégitimes et vides de sens. Jamais la distance entre le régime et le peuple n'aura été aussi grande, aussi franche. Car à moins de deux semaines du rendez-vous du 12 décembre, les Algériens sont plus que jamais prêts à monter la cadence de la mobilisation par l'appel à la grève et les marches de nuit. Le régime, quant à lui, vit dans une sphère étrangère au peuple. Il organise un simulacre de débat entre ses figurants politiques, ronronne un discours honteux à l'égard des manifestants, et suggère que les Algériens seraient « divisés » entre les « pro » et les « anti»-élections, tentant de mettre les citoyens les uns contre les autres. Heureusement, les Algériens sont lucides et savent parfaitement déjouer les manœuvres du régime. En disant cela, il est important aussi de ne pas nier une réalité. Une minorité de concitoyens qui approuve le besoin de changement n'entrevoit pas de sortie crise en dehors du cadre des élections présidentielles. Peut-on encore les convaincre que le 12 décembre est une mascarade électorale ? Il semble pourtant difficile de ne pas réaliser que les conditions politiques, juridiques, médiatiques et administratives pour organiser un tel rendez-vous politique ne sont pas réunies. L'emprisonnement des citoyens engagés dans le Hirak, la répression et l'arbitraire qui frappent toutes les voix discordantes au régime, l'unanimisme des médias publics et privés, les profils des candidats qui participent aux élections du régime, la préparation et la validation de l'instance de surveillance des élections et des lois qui s'y réfèrent, la mainmise sur les appareils judiciaires et policiers sont des faits évidents qui confortent le choix du rejet. Le vendredi 42 a confirmé que c'est la majorité des Algériens, autrefois contestataire par le silence abstentionniste, qui écrit l'Histoire. Elle sait qu'elle ne sera pas en mesure de recouvrer sa souveraineté en déposant un bulletin de vote dans l'urne. Le régime veut duper les Algériens par les faux clivages « pro »-« anti » élections, car sa première inquiétude, c'est l'amenuisement de sa clientèle d'électeurs. Les fameux 10 à 15% de votants qui, à chaque processus électoral, « blanchissent » et régénèrent la domination du régime depuis au moins deux décennies. Reste que cela ne justifie pas tout. Certains Algériens qui hésitent par rapport à la participation ou non au processus électoral posent des questions légitimes. Ils nous disent : quelle « alternative » proposez-vous aux élections du 12 décembre ? Comment un changement politique peut se mettre en œuvre sans aller voter ? Pourquoi n'avez-vous pas encore clairement formulé une alternative aux élections ? Depuis 10 mois, le peuple algérien s'est engagé dans un formidable mouvement populaire pour exiger une nouvelle « indépendance » qui consacre la souveraineté populaire, l'Etat de droit et la démocratie. La seule alternative à la mascarade du 12 décembre, c'est le départ dans les plus brefs délais du régime au pouvoir. La seule voie vertueuse à prendre, c'est l'engagement d'un processus politique de transformation démocratique qui remplace le régime actuel par un nouveau régime politique, à même de réaliser les exigences du Hirak. Ce processus n'est rien d'autre que la transition démocratique. La transition démocratique est un processus d'ajustement politique, régulé par la loi et limité dans le temps, qui permet l'assainissement et la mise en place des institutions, des lois et des règles nécessaires à l'émergence d'une vie politique démocratique. La transition peut prendre plusieurs formes. Les institutions et les mécanismes sont multiples, néanmoins l'objectif final demeure le même : jeter les bases de l'Etat de droit et permettre aux citoyens, à la fin de la période de transition, d'élire leurs gouvernants de manière démocratique. La réflexion sur le contenu de la transition doit se faire de manière collégiale, entre les citoyens et les forces du Hirak. Celle-ci est déjà entamée au sein de la société civile. Mais pour paraphraser Mostefa Bouchachi, les Algériens ont besoin de temps pour s'organiser et échanger sur ce qu'ils veulent comme institutions. Cette phase de la révolution populaire viendra au moment opportun, lorsque le régime sera définitivement vaincu. Certains concitoyens se questionnent sur la faisabilité de la passation de pouvoir, si le régime venait à être vaincu. Ici aussi, les voies sont multiples, mais la finalité est la même. Le régime pourrait annoncer dans un message télévisé par un représentant officiel (chef de l'Etat) sa propre fin, et surtout, sa volonté d'ouvrir une nouvelle page de l'histoire de l'Algérie. Ce qui est le plus important, c'est d'organiser le départ du régime d'une manière ordonnée et pacifique. Pour donner du crédit à la démarche, il doit acter la libération immédiate des détenus d'opinion comme condition sine qua none à toute volonté d'engager un dialogue sérieux avec les forces du Hirak. Concomitamment, ces forces vives doivent se réunir lors d'une rencontre historique pour travailler sur le contenu de la transition démocratique, notamment le déroulement du départ du régime, et la concertation sur les institutions, les mécanismes et les règles qui régulent la transition. Ce programme doit être le fruit de larges consultations et accessible à tous les Algériens. La préparation de la transition de manière collégiale va enrichir, dès son lancement, la culture du dialogue et de la cohabitation politique. Ce travail de préparation peut prendre à peine quelques mois, beaucoup moins que le temps perdu à cause du régime. Aussi, la transition démocratique n'ouvre pas la voie à une période d'extra-légalité, car la mise en place d'une « Petite constitution », un texte juridique qui fait office de Loi suprême durant la transition, va réguler la distribution des pouvoirs publics. Ce texte peut être écrit dans un temps très court. L'intelligence et la maturité politique du mouvement populaire ont montré que, loin de tous les fantasmes sur le manque d'alternative ou le « vide » de la transition, de riches perspectives s'ouvriront au peuple algérien dès lors qu'il aura gagné son bras de fer contre le régime. Cette dynamique vertueuse est déjà en cours. Elle émergera lorsque le régime cessera de faire perdre un temps précieux au pays et aux Algériens dans une bataille perdue d'avance. Raouf Farrah – vendredi 6 décembre