Le vendredi 51 du Hirak a été fidèle à l'enthousiasme et à la fierté qui animent les Algériennes et les Algériens à l'approche de l'An I de la révolution pacifique. Des milliers de citoyens sont sortis marcher pacifiquement dans les rues du pays pour rappeler l'illégitimité d'Abdelmadjid Tebboune et son gouvernement, dénoncer la gabegie, la corruption et l'amateurisme dans la gestion de la chose publique, réclamer la libération immédiate des détenus du mouvement populaire…etc. La parenthèse historique de la révolution pacifique est donc très loin de se refermer. Au contraire, le Hirak est en ébullition depuis plusieurs vendredis et les Algériens sont impatients de souffler la première bougie du mouvement populaire . À contre-courant des discours fossoyeurs, rien ne semble être en mesure de faire dérailler de le mouvement populaire tant que ses revendications claires et légitimes ne se sont pas réalisées. La république des citoyens Le Hirak aspire à construire une république des citoyens où l'arbitraire, l'intimidation, la violence, la hogra, l'opacité, et l'allégeance sont des mots bannis. Les lignes de ce nouveau contrat social, dans lequel tous les courants de la société se reconnaissent, s'écrivent à chaque semaine, dans une forme d'intelligence collective pourvoyeuse de sens et d'éthique politique. Les élites algériennes traditionnelles, catégorie aussi opaque que la gouvermentalité du régime, sont ainsi poussés à la marge, dépassé par un mouvement populaire innovant et riche d'espérance. Parmi ces élites, peu contestent un tel état de fait, mais rare sont celles qui sont prêtes, surtout parmi la classe politique, a changé de logiciel politique et entrer de plein pied dans le monde post-22 février. D'autres, au nom du pragmatisme et de la non-radicalité, adoptent la stratégie de l'autruche et ne saisissent pas la force et la portée de l'indétermination du Hirak. En réalité, ils avancent tête baissée afin de ne pas voir leur inéluctable déclin. Pourtant, le bon sens ne trompe pas les classes engagés dans le Hirak. Constamment, ils confirment que le contrat social que de la république des citoyens sera le produit de la révolution pacifique, et non pas le résultat d'un monologue entre le régime et ses clientèles. Un régime aux abois Mais la stratégie du fait accompli est déjà un échec retentissant. À chaque jour, les citoyens se rendent compte encore davantage que le régime est aux abois, et qu'il n'y a pas la moindre volonté de réaliser les revendications du mouvement populaire. L'acquittement du militant Samir Benlarbi par la justice le 3 février dernier, puis son arrestation à la fin de la marche du vendredi 51, et sa libération tard en soirée montre que le régime ne respecte pas ses propres règles. L'arbitraire demeure la règle. À cela s'ajoute l'accablement judiciaire contre les journalistes et les militants engagés dans le Hirak. Cette semaine, le journaliste de la chaine Al Magharibya, Abdesammi Abdelhai, a été notamment emprisonné alors qu'il rentrait de France pour visiter sa famille, et le militant Hadj Gharmoul a été brutalement violenté. La répression policière contre les citoyens ne cesse d'augmenter. L'application abusive et sans fondement de la détention préventive continue. Plus d'une centaine de détenus du Hirak croupissent encore dans les prisons du régime pour des accusations infondées. Karim Tabbou est enfermé comme un criminel de guerre dans une cellule d'isolement depuis 150 jours. Entre-temps, au lieu de libérer les détenus du Hirak, le régime a lancé une vaste opération de grâce qui a touché plus de 6 200 prisonniers. Un seul détenu du mouvement populaire figure dans la liste des graciés : Djawed Belkacem, mineur de 17 ans, qui avait presque purgé la totalité de sa peine. En 2017, le président Bouteflika avait fait comme Tebboune libérant 5 000 prisonniers avant l'Aid. Ce sont là, les mêmes pratiques d'un même régime autoritaire, qui veut combler son illégitimité en jouant au bienfaiteur. Ce que le régime n'arrive pas intégrer, c'est que les Algériens mobilisés au sein du Hirak veulent justement mettre fin à une justice sous les ordres et édifier un régime politique régit par le respect de la loi, et non pas les acquittements et les libérations discrétionnaires. Ils veulent un Etat qui consacre la stricte séparation des pouvoirs et la souveraineté populaire. En une année, les Algériens ont parcouru des kilomètres en termes de prise de conscience politique, de conquête de l'espace public. Ils ont brisé les tabous sur lesquels le régime a longtemps survécu. Aujourd'hui, ils préparent l'An II de la révolution pacifique en étant plus expérimentés politiquement, plus conscients sur les intentions réelles du régime, plus lucides sur l'avenir politique du pays, plus mobilisé que jamais, pour édifier une république des citoyens. Texte et photo par Raouf Farrah Samedi 8 février 2020