Il suffit d'une rencontre anodine pour que les vieux démons soient ressuscités. Comme à l'accoutumée, ce sont les anciens éradicateurs –dans les années 1990, ils ont contribué à légitimer le plus terrible des coups d'Etat en janvier 1992 –qui divisent le peuple algérien dans sa quête de la souveraineté perdue en 1962. Ainsi, sans qu'il y ait ni un référendum ni une majorité dont ils peuvent se réclamer, ils appellent d'ores et déjà à l'exclusion d'une partie de nos concitoyens. Mais, comme disait Hocine Aït Ahmed, certains faux démocrates n'épousent une cause que pour la trahir quelque temps plus tard. Sinon, comment peut-on dénoncer l'exclusion pratiquée par le régime et la prôner aussitôt quand il s'agit de l'adversaire ? L'explication est toute simple. Ce sont sans doute des acteurs attachés davantage à leur cause idéologique qu'à la cause nationale. Et pourtant, depuis le 22 février 2019, les Algériens ont dépassé ces luttes stériles. Désormais, le pluralisme politique ne fait plus débat. Chacun avec ses propres moyens participe, autant que faire se peut, à l'émergence de la nouvelle République en rupture avec les pratiques en vigueur, mises en place en 1962. Pour qu'il y ait une telle unité d'action, le hirak a eu l'intelligence, dès le départ, de ne pas mettre en avant les questions secondaires. En effet, si chacun avait mis en avant ses revendications partisanes, le mouvement populaire n'aurait jamais survécu aux contradictions. En tout cas, le régime aurait joué rapidement sur cette faille. Pourquoi alors l'offensive des éradicateurs en ce moment crucial ? Et pourtant, ils savent que leur extrémisme idéologique n'est pas apprécié de la population. Dans ce cas, pourquoi ce sont eux qui devraient définir le cadre de la nouvelle République ? C'est à cela que doit veiller le hirak. Car, si leur vœu se réalise, leur approche ne sera pas tellement différente de la politique exclusive pratiquée par le régime. Toutefois, cette unité d'action ne devrait pas conduire à une suprématie d'un courant sur tous les autres. En quelque sorte, il faudrait éviter le cas iranien de 1979. En effet, pour faire tomber le Chah d'Iran, il a fallu une alliance des oppositions allant de l'extrême gauche aux islamistes. Après leur arrivée au pouvoir, ces derniers se sont retournés contre leurs alliés d'hier. Que faut-il faire pour qu'un tel scénario ne se produise pas en Algérie ? Contrairement à ce que prônent les éradicateurs, le dialogue entre tous les acteurs du hirak serait une solution idoine. Comme le dit si bien Lahouari Addi, les citoyens sont conscients de leurs différences idéologiques. Cela ne les empêche pas de manifester ensemble. Lorsque les conditions seront réunies, les citoyens pourront alors « s'opposer pacifiquement sur le terrain électoral pour laisser les électeurs décider à qui confier la majorité parlementaire pour une période de cinq ans », pour reprendre les propres mots du sociologue. Enfin, il va de soi qu'à l'exception du courant éradicateur, toutes les autres sensibilités sont d'accord pour que la nouvelle République soit inclusive et surtout construite sur les bases de la tolérance et de l'acceptation mutuelle. Malgré cette divergence, cela ne devrait pas décourager les acteurs du hirak de multiplier les contacts. Le but est de parvenir à définir un cadre républicain permettant de faire cohabiter toutes les mouvances politiques. Pour y parvenir, il faudrait arriver, après le départ du régime inique, à organiser des élections libres pour confier les affaires du pays aux authentiques représentants du peuple. Ensuite, il faudrait que la justice soit libérée de toute tutelle pour qu'elle puisse intervenir en cas de dépassement. C'est à cette démocratie que les Algériens aspirent. Et ce n'est sans doute pas à celle prônée par les éradicateurs.