https://contredit.blogspot.com/ Nous y sommes. Tout le monde se met au diapason des classes politiques occidentales. L'opération « Déluge d'Al Aqsa » n'est plus regardée que comme une vaste entreprise de massacre de civils israéliens par les hordes sauvages palestiniennes. Les Emirats arabes, le Maroc et d'autres gouvernants arabes normalisateurs n'ont pas hésité à les condamner avec la dernière énergie, imités avec le surcroît de zèle qui leur est coutumier par quelques supplétifs, dont l'officine révisionniste que préside Ferhat Mehenni. Que le bombardement routinier depuis 15 ans des 2 millions d'habitants de Gaza se soit simultanément et ouvertement transformé en projet d'extermination que le gouvernement israélien promet de mener à son terme ne provoque pas d'indignation. Les gouvernants, la presse, les médias de masse sont trop occupés à relater, en intériorisant leurs souffrances comme s'ils les vivaient dans leur chair, les attaques subies par les « raveurs » israéliens à quelques encablures du purgatoire palestinien. Nous voilà revenus à la période coloniale et à l'idéologie qui a toujours été sa compagne. C'est le retour vers un passé de spoliation et de domination que l'histoire universelle produite en Occident n'a pu se résoudre à réprouver qu'une fois qu'elle l'a déclaré révolu. Avec l'arrière-pensée de s'interdire, sous ce prétexte, de voir avec quelle intensité il devenait le présent infernal et interminable vécu par les Palestiniens. Il a fallu que les Etats d'Amérique et d'Océanie achèvent d'exterminer leurs populations autochtones pour que leurs historiens se lamentent sur le sort qui leur avait été fait. Il a fallu que les peuples d'Afrique et d'Asie se libèrent du colonialisme pour que les crimes qu'il avait commis soient reconnus pour ce qu'ils étaient. Il est donc de tradition que la violence coloniale ne s'assume (avec la forte résistance de tendances régressives) qu'au passé. Aussi bien, la soudaine actualité de la question palestinienne, que les accords d'Oslo avaient eu la prétention de remiser au musée de l'histoire, vient-elle réactiver tous les pans de l'idéologie coloniale avec ses catégories jusque-là à peine refoulées : la suprématie civilisationnelle de l'occupant, l'assimilation de la résistance au terrorisme, l'horreur inspiré par sa barbarie. Il n'y a là aucun anachronisme. Tout juste une complexification du phénomène et des préjugés coloniaux. Les mentalités post-coloniales déjà à l'œuvre dans les sociétés occidentales opèrent une jonction avec leurs racines historiques et découvrent les affinités qu'elles ont gardées avec une idéologie coloniale qui n'a jamais été reniée que du bout des lèvres. Car le combat anticolonialiste n'a jamais cessé d'être attaqué, déprécié, subissant les réévaluations des historiens de gauche convertis à la « modernité universelle ». Surtout, la lutte anticolonialiste n'a jamais été admise en Occident à la dignité de cause historique de l'humanité, aussi limpide et irréprochable que le combat antifasciste. Elle n'a pas davantage été consacrée comme une source d'inspiration du même ordre que l'antinazisme, qui fournit l'absolu de la référence morale et règle le discernement entre le Bien et le Mal pour l'avenir éternel. La lutte de libération nationale est confinée dans ce clair-obscur des causes justes et inadéquates, héroïques et bestiales. Sous le prétexte d'une critique historique nécessaire et légitime, elle est sans cesse réévaluée à l'aune d'objectifs tels que la modernité, la liberté individuelle ou l'égalité des sexes, qu'elle ne s'est jamais donnés réellement, sous la contrainte des circonstances, et qui, dans le vocabulaire de la libération d'il y a soixante ans, n'avaient pas cours. Ces thèmes étaient bien plutôt ceux du discours colonial par lesquels il justifiait la violence exercée contre des sociétés arriérées. C'est dire qu'il a suffi ce 7 octobre 2023 qu'émerge une résistance palestinienne en mesure d'inquiéter l'occupant israélien et de lui infliger des défaites pour que s'inverse brutalement le cours du continuum colonial et qu'il remonte à sa source. Il faut en conséquence lui opposer des considérations qui lui redeviennent soudain contemporaines. Il faut revendiquer la mise au point faite par Frantz Fanon sur la violence et la contre-violence coloniales : « Dès lors que le colonisé choisit la contre-violence, les représailles policières appellent mécaniquement les représailles des forces nationales. Il n'y a pas cependant équivalence des résultats, car les mitraillages par avion ou les canonnades de la flotte dépassent en horreur et en importance les réponses du colonisé. Ce va-et-vient de la terreur démystifie définitivement les plus aliénés des colonisés. Ils constatent en effet sur le terrain que tous les discours sur l'égalité de la personne humaine entassés les uns sur les autres ne masquent pas cette banalité qui veut que les sept Français tués ou blessés au col de Sakamody soulèvent l'indignation des consciences civilisées tandis que « comptent pour du beurre » la mise à sac des douars Guergour, de la dechra Djerah, le massacre des populations qui avait précisément motivé l'embuscade. » (Les Damnés de la terre).