El Watan 14 octobre 2009 C'est une affaire surprenante et inédite qui a été enrôlée hier par le tribunal de Aïn M'lila, près la cour d'Oum El Bouaghi. Une bataille du genre David contre Goliath impliquant le citoyen, Ouchen Cherif, coupable de crime de lèse-majesté, est accusé de porter atteinte à la personne du président de la République. Aïn M'lila (Oum El Bouaghi) De notre envoyé spécial L'accusé, 51 ans, père de 5 enfants, habite la commune de Aïn Kercha, à 18 km du chef-lieu de la daïra de Aïn M'lila. Privé de son emploi suite à la dissolution de l'entreprise communale où il travaillait, Cherif subit l'exclusion du paiement des indemnités de départ. C'est à ce moment-là que commence sa bataille « donquichottesque » contre l'appareil de l'administration pour recouvrer ses droits, en vain. Ses multiples recours à la justice s'avèrent également inutiles. En désespoir de cause, il saisit les plus hautes instances de l'Etat, notamment le premier magistrat du pays. Mais, là aussi, ses sollicitations demeurent lettre morte.Broyé par l'administration et la justice, méprisé par les structures symboles de l'Etat, Chérif prend sa plume aguerrie et s'attaque violemment au Président, avec des mots crus et des expressions de haine envers le système politique, dans une lettre qu'il signe de son nom et endosse sans aucune crainte. Le ministère public s'est auto-saisi immédiatement pour inculper l'auteur de la lettre, jeté en prison depuis près d'une semaine déjà. Devant le juge, l'accusé a refusé le report de l'audience en sa faveur, pour engager un avocat, préférant se défendre seul. « Les Chinois, les Indiens et les terroristes sont mieux que nous, il y a trop d'injustice dans ce pays », commence-t-il par dire au juge avant de dépeindre sa situation de misérable. Le magistrat réplique en disant que beaucoup d'Algériens vivent dans la même situation et cela ne les a pas pour autant poussés à commettre un écrit aussi injurieux. Ce à quoi Chérif répond : « Le Président est entouré de… » Il ne terminera pas sa phrase, coupé par le juge qui lui demande s'il a commis son acte en toute lucidité. Chérif récuse tout de suite l'idée d'un dérèglement psychologique, mais le juge préfère offrir une chance à l'accusé en ordonnant une expertise mentale, renvoyant le procès à la semaine prochaine. Chérif risque la prison. Son cas est soumis au fameux article 144 bis du code pénal qui stipule : « Est puni d'emprisonnement de 3 a 12 mois et d'une amende de 50 000 à 250 000 DA ou de l'une de ces peines seulement, toute personne qui offense le président de la République par une expression outrageante, injurieuse ou diffamatoire, que ce soit par voie écrite, de dessin, de déclaration ou de tout autre support de la parole, de l'image ou que ce soit par tout autre support électronique, informatique ou informationnel. Les poursuites pénales sont engagées d'office par le ministère public. En cas de récidive, les peines d'emprisonnement et d'amende prévues au présent article sont portées au double. »Mis au chômage, Chérif gagne sa vie comme écrivain public à la petite semaine. Il est instruit mais marginalisé, ses conditions de vie insoutenables et un puissant sentiment de hogra l'ont jeté dans un profond désespoir qui pourrait expliquer sa conduite. « N'importe qui, à sa place, aurait réagi de manière extrême », martèle son ami Selim K., l'un des rares proches qui ont assisté à l'audience. « Chérif avait-il d'autre alternative si ce n'est se suicider, prendre le maquis ou péter les plombs ? », s'interroge Selim, qui place l'affaire dans le contexte politique et cite Karim Tabbou (premier secrétaire du FFS) en vouant aux gémonies le pouvoir, responsable selon lui, de ce qui arrive à tous les Cherif de l'Algérie. « Il ne nous reste que la presse pour respirer. Je fume chaque jour du thé avec Hakim Laâlam et je fais les mots fléchés. Si j'avais 15 millions, je serais à Sidi Salem (point de départ des harraga à Annaba, ndlr) cette nuit, c'est la véritable capitale de l'Est », ajoute Selim, dépité.