Le Quotidien d'Oran, 5 novembre 2009 De nombreux cadres de diverses institutions devraient répondre de faits de corruption devant les instances judiciaires. L'on parle d'une liste de plus de 120 cadres qui devraient être déférés au tribunal pour notamment des pratiques de corruption. Les responsables voudraient montrer que le grand coup de starter est mis pour faire en sorte que les affaires de corruption soient dévoilées au grand jour mais surtout jugées devant des juridictions compétentes et légales. Ils en mettraient ainsi plein les yeux de l'opinion publique. Lors de son discours inaugural de l'année judiciaire, le président de la République a encore une fois mis l'accent sur ce dossier qui plie l'échine de l'Etat sans qu'il arrive à y mettre un terme ou en atténuer la multiplication. Le même jour, le Premier ministre s'est lui aussi mis de la partie en soulignant aux journalistes, avec un sourire en coin, que si l'Etat n'a pas fait son travail, la presse ne titrerait pas souvent sur des affaires de corruption. «Donc, ne reprochez pas à l'Etat de n'avoir pas fait son travail dans ce sens», avait-il lancé comme pour rassurer de l'efficacité des appareils de contrôle et judiciaires. Mais ce qu'Ahmed Ouyahia a occulté de dire, c'est que ces dernières années, le pays croule sous de multiples dossiers de corruption, plus que toute autre année et que la corruption gangrène tous les niveaux des hiérarchies. Les affaires de gros sous, il y en a à la pelle. «Le nombre de dossiers transmis à la justice est terrifiant, le citoyen n'imaginera pas comme il est important», nous avait dit le ministre des Ressources en eau lorsque nous lui avons dit, il y a quelques jours, qu'il y a au moins une dizaine de ministères qui sont cités dans des affaires de corruption dont celui qu'il dirige. Et c'est cet aspect des choses que le président de la République et son Premier ministre évitent d'aborder. La question à laquelle ils devraient en principe répondre, c'est celle en effet de savoir pourquoi la justice ne s'autosaisit-elle pas quand des noms de personnes occupant les hautes fonctions de l'Etat font la Une des journaux en tant que corrompus ou corrupteurs présumés. Le procureur général d'Alger a tenté mardi, lors du point de presse qu'il a animé en marge de l'ouverture de l'année judiciaire, d'atténuer du degré de la responsabilité de sa juridiction à ne pas avoir le réflexe de le faire. «Cela dépasse mes compétences», a déclaré d'emblée Belkacem Zeghmati. Une justice qui fait dans les sentiments Et si d'un côté, il affirme que la loi est claire à ce sujet qu'il dit lié «aux privilèges de juridiction relevant de la Cour suprême», le PG d'Alger promet, d'un autre côté, que le ministère public doit à l'avenir avoir le réflexe de s'autosaisir lorsqu'une information est publiée par la presse. Il ne s'empêchera pas de faire dans le sentiment en avouant que «cela se fait actuellement mais (…), l'Algérien voit toujours mal le fait d'être convoqué par la justice.» Voilà le genre de réponse que les autorités compétentes ont bien voulu donner à une opinion publique qui n'a jamais compris pourquoi les ministres cités dans des affaires de corruption ne se sont jamais inquiétés. Le problème reste entier et préoccupant. Dans un Etat de droit, et dans pareilles situations, la justice s'autosaisit et exige l'ouverture d'une enquête même si comme l'a dit le PG d'Alger, «les Algériens n'aiment pas être convoqués par la justice». Ahmed Ouyahia qui a indiqué avoir eu «le privilège d'avoir été ministre de la Justice», doit savoir que l'application de la loi se passe de faire dans les sentiments, notamment quand il s'agit de dilapidation de deniers publics colossaux. La présomption d'innocence est un droit pour tous, tout autant que celui de vérité. Les faire valoir par les voies légales est le devoir de l'Etat. Mais peut-être que le Premier ministre n'a pas la main haute pour l'exiger et lever tout soupçon sur ses subordonnés les ministres. L'on remarque d'ailleurs que depuis qu'il n'est plus chef de gouvernement, il semble s'astreindre à une retenue dans le verbe et dans le ton qui ne lui est pas coutumière. «Il semble faire avec Belkhadem dans des compromis comme pour montrer qu'il ne veut pas avoir de problèmes», nous disait l'autre jour un grand observateur de la scène politique à partir du poste stratégique qu'il occupe dans les sphères hiérarchiques de l'Etat. Diar Echems, ces trous de rats L'on rappelle que lorsque le président auditionnait les ministres, Ouyahia ne disait mot. Et même si les ministres exposaient des problèmes, il n'en parlait jamais avec eux une fois sorti d'El Mouradia. L'on se demande alors à qui profite le pourrissement quand on sait qu'à quelques mètres du siège de la présidence de la République, Diar Echems ne sont depuis toujours que des trous de rats pour personnes vivantes et ni le ministre ni les autorités locales n'ont eu des problèmes de conscience. L'on dit que Ouyahia aurait demandé à être déchargé de sa mission de Premier ministre pour des raisons que des hauts responsables lient à des problèmes de santé. Mais l'on s'interroge à d'autres niveaux s'il est vraiment ce genre de personne qui demanderait à partir à un moment où tout pourrait basculer d'un côté comme d'un autre. En tout cas, il est noté que «ce n'est pas Ouyahia qui demanderait à partir comme ambassadeur même s'il demande à se retirer». Pour rappel, l'ancien directeur de cabinet, Larbi Belkheir, aujourd'hui bien malade, n'avait pas voulu partir comme ambassadeur à Rabat. Mais à cette remarque, un haut responsable nous avait lancé «je vous parie tout ce que vous voulez qu'il partira au Maroc». C'est ce qu'il avait fait quelques jours après son retrait de la présidence de la République. «Ouyahia, c'est différent, il a un avenir qu'il doit bien gérer», nous est-il dit. Il l'a d'autant que des anciens du MALG lui donnent «une carrure présidentiable». Un d'entre eux nous dit «il n'y a personne d'autre que lui qui pourrait gérer l'Algérie d'une main de fer». Les propos devraient, sans nul doute, avoir une relation de cause à effet avec les ambitions de Nouredine Yazid Zerhouni à vouloir accaparer le renseignement pour le mettre sous un seul sigle. Son message aux cadres qui ont mis au point les documents numériques est clair. Et à ceux qui l'accusent de convoquer pour cela des méthodes policières d'autres temps, il répond par la voie du tube cathodique que «le système permet d'aider à vaincre le terrorisme et à rétablir la paix dans le pays». Il y aurait dans l'air comme une espèce de centralisation de certaines missions en prévision de changements que Ouyahia craindrait plus que personne. La création d'un parti pour Saïd Bouteflika lui resterait à travers la gorge plus que tous même si le FLN a été loin de lui rester insensible. Il est clair que les autres partis s'abstiendront d'agir contre puisqu'ils ont tous été phagocytés. Le mauvais choix des hommes A sa reconduction après la dernière présidentielle, Ouyahia aurait souhaité changer de gouvernement mais il n'en fut rien. Le président de la République aurait, dit-on, répliqué qu'il ne trouvait pas d'hommes pour le faire. «Il est otage des partis de l'Alliance», nous dit dans ce sens un haut responsable qui lui est proche en soulignant «quand il leur demande de lui proposer des noms, ils lui donnent toujours les mêmes de ceux qui sont en poste ou qui sont partis». Le pays manque, à ses yeux, de compétences pour une bonne relève politique. Il n'a rien inventé, Boudiaf avait reconnu déjà en 1991 qu'il n'avait pas trouvé une soixantaine d'hommes «valables» pour pourvoir les sièges du CNT. «Le président marche à l'intuition», nous dit notre interlocuteur pour expliquer que même «si quelqu'un ne lui plaît pas, il peut continuer à travailler avec lui». C'est, dit-on, le cas d'Ouyahia pour lequel il aurait dit ne pas trouver de remplaçant sauf peut-être encore une fois Belkhadem. Le haut responsable rappelle pour la circonstance que «le président a voulu pour son premier mandat arrêter la fitna et mettre fin au terrorisme. Ce n'était pas facile. En plus, il avait des problèmes avec les militaires.» Pour son 2e mandat, «il voulait que tout soit mis à la disposition du développement mais à aucun moment il n'a accepté de se pencher sur la question de l'encadrement et des compétences. Sa vision était donc fausse !» Connaissant bien Bouteflika pour savoir qu'il a tenu à avoir comme nom de guerre «Abdelkader» parce que, nous dit-il, «il pense sincèrement ressembler beaucoup à l'Emir de par sa petite taille et ses yeux bleus», le haut responsable de la présidence de la République affirme sans ambages que «le président est totalement en décalage avec les événements». Il rappelle ce qui s'est passé en Kabylie en 2003 pour souligner «il aurait ordonné l'arrestation du gendarme qui a tiré et relevé les responsables du corps et le problème aura été réglé». Tout en reprochant à Bouteflika de «ne pas être réactif et d'avoir une méthode de travail archaïque et anarchique», il reconnaît cependant que «même si la Kabylie revient aujourd'hui, il faut lui donner la main !» Un retour d'une région, faut-il le dire, où Saïd Bouteflika a eu beaucoup à faire. La virée électorale du président candidat en mars dernier à Tizi Ouzou et à Béjaïa a montré, en tout cas, que Saïd Bouteflika a très bien «fait». Reprochant au président de ne pas s'attarder sur un choix «convenable des hommes qu'il faut à la place qu'il faut» et bien qu'ils l'aient soutenu pour les trois mandats «et pourquoi pas un quatrième», les hauts responsables qui le connaissent depuis longtemps estiment que «sa présence à la tête de l'Etat maintient les équilibres entre les parties antagonistes au pouvoir». Le reste, tout le reste, semble, alors, lui importer peu.