13 novembre 2009 Il est toujours plus choquant de voir des guerres au sommet de l'Etat à travers des témoignages certifiés que d'en entendre parler à longueur d'année. La sensation est plus forte. Surtout lorsque ces témoignages émanent d'un hiérarque du système qui fut longtemps sa devanture et son encenseur. Le témoignage posthume de Boumaza au sujet de ses derniers jours au Senat a une valeur historique certaine, mais surtout a le mérite de confirmer une réalité amère que tout le monde connaît, mais qui a tendance à s'estamper dans le tableau idyllique que ne cesse de brosser le régime algérien sur lui-même, sur la situation de la démocratie en Algérie et sur le fonctionnement normal des institutions de l'Etat. Le rebondissement de l' « affaire Boumaza » a rappelé une vérité, crue et écœurante, celle des méthodes peu orthodoxes que Bouteflika utilise pour s'emparer de tous les pouvoirs et pour soumettre toutes les institutions et les organisations influentes sous sa coupe. Des méthodes qui sont dans le droit fil de son caractère irascible et lunatique, sa préférence pour la manière forte, lui le diplomate, et son penchant pour l'autocratie ; en somme des qualités qui ont fait la réputation et la force du clan d'Oujda. Et comme pour confondre, encore une fois, le mégalomane d'el-Mouradia qui a la manie de parler un peu trop vite, le hasard lui envoie un cadavre, celui de sa victime, pour lui asséner un cinglant démenti après sa récente déclaration sur sa non-ingérence dans le fonctionnement du Senat. Il y a parfois des ironies de l'histoire que même les canons, les geôles ou les salves d'insanités n'arriveront pas à laver l'affront qu'elles font essuyer au tyran. Voilà notre président avec une autre balafre historique sur son visage tailladé par tant de coups fourrés. C'est peut-être à cette fin prosaïque et égoïste que Boumaza, frappé d'ostracisme, s'est-il décidé à rendre publique les raisons de son bannissement du système. Boumaza, le trahi Une fois devenu membre du système, Boumaza allait connaître prestige et puissance. Il ne s'est probablement pas rendu compte à quel point cette gloire est factice et éphémère et à quelles conditions elle est offerte et entretenue. La fin triste qu'il trouva, l'aurait peut-être ébranlé cette fois et lui aurait permis de dessiller les yeux sur sa candeur politique et la nature totalitaire des clans qui l'ont coopté pour son nom seulement. Maintenant, il sait que le pouvoir lui a monté à la tête, il sait qu'il a eu la maladresse d'oublier sa condition de domestique politique et pièce à galerie au service exclusif d'un système dominé par des parrains en treillis. Son cas ressemble étrangement à un autre grand militant, Mohamed Boudiaf, que Dieu ait son âme. Sauf que le président Boudiaf a connu une destitution et une fin plus violentes lors d'un évènement grandiose par sa terreur, où le vrai pouvoir, beaucoup plus puissant que celui de Bouteflika, a laissé transparaître au monde entier son visage criminel. Boumaza, le grand militant de la guerre de libération, s'est donné au diable et a troqué son passé héroïque contre les dividendes mirobolants d'un système qui a conduit à l'asphyxie d'un peuple transformé en « ghachi ». D'une compromission à une autre, d'un bannissement à un autre, son long parcours n'a été qu'illusions et amertumes, courant vers un idéal et une quiétude qu'il ne trouvera jamais, même quarante ans après l'indépendance. Sa terre natale ne connaîtra pas, de son vivant, la justice, paix et la prospérité pour lesquelles il a milité. Pour trouver la liberté et les commodités d'une vie digne et paisible, point de choix que de s'expatrier en Occident. Oui, dans ce sens, même lui, le héros de la guerre d'indépendance, l'homme numéro deux de la République, auquel matériellement rien ne manque, n'est guère différent des Harragas et des petites gens qui veulent foutre le camp de l'enfer algérien. Les gardiens du temple Hormis leur côté pathétique relatif à l'homme Boumaza, ces révélations constituent une preuve matérielle indiscutable des pratiques despotiques du pouvoir exécutif et de ses affidés. Ils nous rappellent, notamment, non sans amertume, que l'armée détient le vrai pouvoir. Pas moins de trois généraux (Kamel Abderrahim, Zine El Abidine Hachichi, Hocine Benmaalem), ces Algériens sortis des cuisses de Jupiter, sont membres du Senat et y font la loi. Après avoir quitté les rangs de l'armé, ils sont récupérés par le système et placés dans les hautes fonctions de l'Etat pour exploiter leur obtusion, leur brutalité, leurs insanités et leur discipline militaire qui les prédispose obéir sans discussion. Les révélations fracassantes, sur les ennuis de feu Bachir Boumaza avec les généraux du Senat, et leurs comparses en civil (docteur Mahieddine Amimour, Laila Asslaoui, etc.), ont jeté la lumière sur une partie des jeux pervers auxquels les clans du pouvoir se livrent à couteaux tirés. Des luttes intestines et féroces se produisent, à huit clos, au cœur des institutions qui représentent l'autorité de l'Etat et qui sont considérées comme les piliers de la République. La manière barbare avec laquelle des membres du Senat ont traité Boumaza pour le faire tomber de son perchoir, sans aucun égard à son passé de militant, illustre de façon éloquente la culture politique, au ras des pâquerettes, de toute cette classe de serviteurs politiques qui gravitent autour du pouvoir et qui, dans un pays aussi malfamé, se prennent, le plus sérieusement du monde, pour des hommes importants. Le sanctuaire et les saints Melting-pot de la vénalité, de la soumission, de la trahison où viennent se désagréger le patriotisme, l'intégrité, la culture, la religion, l'histoire, etc., la Chambre haute, à elle seule, suffit pour résumer toutes les contradictions, les disparitions des principes dans le jeu politique et la décadence de l'Algérie. Elle incarne la neutralisation politique des forces vives d'une société laminée par l'injustice, la misère et le désespoir. Le Senat est le sanctuaire de la sinécure et de la vie facile, au seuil duquel les courtisans arrivent agenouillés, tête baissée, attendant la grâce du maître bienfaiteur. Avec les ambassades, il est l'endroit le plus couru au sein duquel, les principes moraux et politiques les plus tenaces se ramollissent et deviennent étirables et maniables jusqu'à se confondre avec leurs contraires. C'est le panthéon de la corruption, en amont comme en aval, dans lequel le pouvoir, jette la curée, noie les forces politiques, émascule les militants, déprave les natures candides et dévoie toutes les lois du jeu démocratique. La béatification du seigneur Quant au troisième larron de ces altercations dignes des bas-fonds, le président Bouteflika investi des pouvoirs pour protéger et renforcer la constitution, suivait discrètement l'exécution en sous-main de son plan perfide. Après avoir ordonné le renversement de Boumaza pour avancer ses propres pions dans l'échiquier du système au début de son règne, après l'avoir jeté en pâture aux cerbères du sanctuaire, après que ceux-ci s'exécutèrent avec leur manière bestiale en le menaçant de mort avec une arme à feu en pleine réunion et en le menaçant de lui enlever le pantalon, après avoir causé sa perte « politique » puis physique, après l'avoir jeté aux oubliettes le temps qu'il retrouve la raison… du plus fort, Bouteflika, en seigneur et en maître de céans, dans un élan de pitié pour un moudjahid devenu pitoyable, décide de lui pardonner son impudence et de desserrer son étau implacable. Il le réhabilite partiellement en l'invitant dans une cérémonie officielle en novembre 2008. La mort de Boumaza finit par attendrir complètement le cœur de Bouteflika ; il rapatria son corps dans un avion spécial et lui ordonna des funérailles officielles. Sa dépouille mortelle sera exposée au Senat, au lieu même où fut commis le crime. Il tue et porte le deuil de sa victime, sans état d'âme, dans la pure tradition de la Maffia sicilienne. Les familles d'Abane Ramdan, de Mohamed Chaabani et de Mohamed Boudiaf connaissent sûrement de telles condoléances affectées. Il est sûrement triste, Bouteflika. Il compatit à la douleur, c'est un brave type. Il est issu d'une bonne famille. Il se ressource spirituellement dans les zaouïas, souffle-t-on autour de lui. Il connaît et se conforme aux traditions et usages sociaux. Il voue un profond respect aux moudjahidines… qui crèvent.