Astiz, «l'ange blond de la mort», et ses complices devant leurs juges ARGENTINE | Le procès de l'ESMA, le plus emblématique camp de concentration de la dernière dictature militaire argentine (1976-83), débute aujourd'hui. Parmi les accusés se trouve le tristement célèbre tortionnaire Alfredo Astiz. TRIBUNE DE GENEVE GUSTAVO KUHN | 11.12.2009 | 00:03 Près de trente ans après la fin de la dictature, les bourreaux argentins comparaissent enfin devant un tribunal. Suite à l'annulation, en 2005, des lois qui garantissaient l'impunité aux militaires, plusieurs procès se sont ouverts cette année contre ceux qui ont séquestré, torturé, assassiné et fait disparaître les corps de quelque 30 000 opposants politiques. Le procès concernant le plus emblématique camp de concentration du pays, l'Ecole de mécanique de l'armée (ESMA), débute aujourd'hui. Sur le banc des accusés, 19 marins et policiers, dont le plus célèbre d'entre eux, Alfredo Astiz, «l'ange blond de la mort». Aujourd'hui âgé de 58 ans, ce capitaine de frégate s'était fait remarquer en infiltrant un groupe de Mères de la place de Mai, qui réclamaient de connaître le sort de leurs enfants disparus. «Nones volantes» Une «mission» qui culminera en décembre 1977 avec «l'arrestation» de la fondatrice des «folles de la place de Mai», Azucena Villaflor, et de deux bonnes sœurs françaises, Alice Domont et Léonie Duquet. Toutes trois seront ensuite torturées et assassinées en étant jetées dans le Rio de la Plata depuis un avion. Le cas des «nones volantes», comme les appelaient les militaires, est le plus connu des 86 dossiers que traitera le Tribunal numéro 5 de Buenos Aires au cours de ce premier volet du «mégaprocès ESMA» qui devrait durer près de huit mois. Au total, près de 5000 personnes ont été séquestrées, torturées puis exécutées dans ces bâtiments de la marine, situés dans le quartier chic de Nuñez. «L'ouverture de ces procès prouve que le peuple argentin n'a jamais renoncé à exiger que justice soit rendue contre les atroces crimes de la dictature», affirme Graciela Daleo, l'une des quelques survivantes de l'ESMA. «Nous réclamons toujours que ces tortionnaires et assassins soient condamnés à la réclusion à perpétuité et dans des prisons civiles.» L'infatigable lutte des organisations de défense des droits humains a finalement trouvé une réponse institutionnelle pendant la présidence de Nestor Kirchner, qui a permis que ces procès soient aujourd'hui une réalité. Mais le manque d'infrastructures adéquates, de budget et des morts très douteuses d'accusés – notamment en détention «militaire» – embourbent les procédures. Le sort de Julio Lopez pèse également sur ceux qui seront appelés à la barre. Ce maçon à la retraite, qui avait été séquestré pendant la dictature, a en effet disparu en septembre 2006, peu après avoir témoigné contre un de ses bourreaux. «Je suis aussi préoccupé par les limitations que le tribunal veut imposer à la presse, confie Raul Cubas, qui a été séquestré à l'ESMA pendant plus de deux ans. Car pour nous, ces assassins ne doivent pas seulement recevoir des peines exemplaires. Il faut aussi que la société argentine entende le témoignage des survivants, pour connaître les atrocités commises dans les camps de concentration.»