C'était il y a 20 ans, le RND nouvellement créé, en avril 1997, remportait les élections législatives de juin (156 sièges), loin devant le FLN (64 sièges). Le 14 juin, un gouvernement de coalition – RND, Hamas et FLN – à dominante islamo-conservatrice, était constitué, avec pour Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Ces élections, les premières depuis l'annulation du processus électoral en janvier 1992, que l'opposition avait vainement contesté par des manifestations de rue – à l'époque malgré une violence terroriste inouïe, les protestations publiques étaient autorisées – s'étaient déroulées dans un contexte de carnages de civils à répétition : 22 massacres dont celui de Bougara (93 morts) ont été commis entre le 15 février et le 5 juillet 1997, dont, à Frais-Vallon, des jeunes supporters de l'USMA qui venait de remporter la Coupe d'Algérie. Après l'élection de l'APN, puis la libération de deux dirigeants du FIS – Abdelkader Hachani (5 juillet) et Abassi Madani (15 juillet) – les massacres se poursuivent durant tout l'été au rythme d'un carnage tous les deux-trois jours, avec pour point d'orgue, celui de Raïs, le 30 août, qui fait entre 200 et 250 morts (98 officiellement). Si les autorités donnaient l'impression de ne pas s'en alarmer outre mesure alors que ces massacres à répétition faisaient la «une» des médias étrangers et suscitaient l'inquiétude des partenaires occidentaux d'une Algérie isolée diplomatiquement – la quasi-totalité des ambassades avaient réduit leurs effectifs ou déménagé à Tunis –, les compagnies aériennes ne desservaient plus l'Algérie – les aéroports de Paris étaient interdits pour Air Algérie (on passait par Lyon) – et à Alger, la peur planait désormais sur la ville. «Vingt-quatre heures après la tuerie de Haï Raïs, le samedi 30 août, vers 15h, un groupe du GIA attaque le quartier Miramar à Alger, et égorge 19 de ses habitants. Le fait que cet acte se soit produit en plein jour dans la capitale, hautement sécurisée, provoque une véritable onde de choc. "Le GIA est dans Alger"», entend-on dire. La panique s'empare de plusieurs quartiers de la capitale. Des dizaines de familles désertent leurs habitations et se réfugient dans les postes de police. Le soir, les rues de la ville se vident. Les cafés sont désertés. Les rumeurs sur une attaque supposée du GIA ne sont finalement pas infondées. Dans la nuit du vendredi 5 septembre, Sidi-Youcef, lieu-dit situé à la sortie de Bouzaréah, face à la forêt de Baïnem, mais près de Chéraga, est plongé dans l'horreur. Dans cet ensemble d'habitations pauvres, séparé de la forêt par une rivière, vivent quelques centaines de personnes. La forêt de Baïnem, sans être un maquis islamiste comme l'Atlas blidéen, sert néanmoins de refuge au groupe d'Athmane Khelifi, connu sous le sobriquet de Flicha («flèche»). Vers 21h, une vingtaine d'hommes venant de la forêt toute proche fait irruption dans Sidi-Youcef et s'en prend à tous les habitants à coups de haches et de sabres. Les femmes et les enfants hurlent et tapent sur les casseroles afin de faire le plus de bruit possible, en guise d'appel au secours. «Mais personne n'est venu», raconte un rescapé. Une partie des habitants fuit et se réfugie dans la forêt. Pour leur part, les tueurs ont pris leurs précautions : pas une balle n'est tirée, pas une seule explosion ne retentit. Deux heures après arrivent les premiers militaires, venant de Beni-Messous, distant de cinq kilomètres. Bilan : 87 morts, dont une famille entière, celle des Bouzidi. Le lendemain, les survivants quittent les lieux. Dans la capitale, le mutisme observé par le gouvernement devant une telle tragédie s'ajoute au désarroi des habitants. Surmontant sa peur, la population d'Alger se charge elle-même de sa protection : gardes, rondes de nuit. Des habitants s'arment de gourdins, de haches, de pioches, mettent en place des sirènes de fortune. Le 10 septembre, le gouvernement rompt le silence : Hamraoui Chawki, ministre de la Communication, dans une brève intervention à la télévision, tente de rassurer : «Les tentatives du terrorisme sont vouées à l'échec (...) ; la situation est maîtrisée.»(1) Un propos destiné à la communauté internationale, qui commençait alors à exprimer de sérieux doutes quant à la capacité du pouvoir algérien à assurer la protection de ses concitoyens. Eh oui, l'Algérie avait frôlé l'ingérence étrangère : mission d'enquête de la Commission européenne (la Troïka), puis du Parlement européen avec un certain Cohn Bendit, suivie ensuite par celle de l'ONU conduite par Mario Soares en 1998... A jeudi et bonne fête.