Par Hassane Zerrouky Le terrorisme islamiste a été vaincu militairement mais pas politiquement comme le rappelait alors feu le général Mohamed Lamari : l'assassinat d'Hervé Gourdel, les militaires qui continuent de tomber, l'attaque terroriste du site gazier d'In Amenas nous le rappellent cruellement. Militairement donc, le terrorisme a été vaincu vers la fin de l'année 1998, année qui avait vu défiler à Alger des missions du Parlement européen, de la troïka (Union européenne) et de l'ONU, cette dernière conduite par Mario Soares et Simone Veil, venus enquêter sur les massacres de civils commis à Raïs et Bentalha en septembre 1997. A cette époque, Alger était au centre de toutes les suspicions internationales et au bord d'une ingérence internationale que de nombreux partis de l'opposition pro-islamiste ainsi que le FIS appelaient de leurs voeux. Juste après le massacre de Bentalha, l'armée avait investi la Mitidja et délogé le GIA d'Ouled Allel, surnommée par les djihadistes «la mère des moudjahidine». Le GIA commettra ses derniers grands carnages en décembre 1997 (Relizane, plus de 600 morts) et Aïn Kahla (103 morts) en janvier 1998 en plein Ramadhan. Le déclin du terrorisme a commencé après le Ramadhan meurtrier de janvier 1998 (plus d'un millier de morts). On a vu alors les principaux chefs du GIA tomber les uns après les autres, notamment à Alger et sa périphérie, et les réseaux mis en place démantelés. Mars 1998, Taoufik Assar, émir du GIA pour Bouzaréah, dit Moh le blond, est abattu à Bab El-Oued. Mai 1998, après un siège de plusieurs heures, Kebaïli Mohamed, dit Layaâchi, ancien d'Afghanistan, est abattu dans un immeuble à Bab-Ezzouar (ainsi que ses hommes), deux mois après, le 8 juillet, Athmane Khelifi, dit Flicha, réputé insaisissable d'où son surnom, véritable légende du terrorisme islamiste urbain, est abattu non loin de la forêt de Baïnem avec sept de ses hommes dont Abderrahmane Redouani dit Riad le blond. Enfin, le Fida (Front islamique du djihad armé), organisation spécialisée dans les assassinats d'intellectuels et journalistes, est décapité : ses deux derniers chefs, Amine Haddad dit Abou Fida et Mohamed Talhi dit Zakaria, sont abattus à leur tour à Fouka en octobre 1998. C'est cette série de coups portés au GIA, avec, en toile de fond, l'arrêt contraint du «djihad» par l'AIS en septembre 1997, qui a permis le retour au calme que les Algériens avaient fini par oublier dans la capitale et dans l'arrière-pays d'Alger et, partant, la tenue de l'élection présidentielle d'avril 1999. Sans cette lutte sans merci contre le terrorisme islamiste, sans les sacrifices consentis par les Algériens toutes catégories sociales confondues – je pense notamment à ces enseignantes ayant défié le GIA quand ce dernier les menaçait de mort si elles continuaient à assurer leur métier ou ces cheminots qui continuaient à faire marcher leur train malgré les bombes sur le trajet Alger-Blida. Sans ces grands rassemblements de dizaines de milliers de personnes de mars 1993 et de mars 1994, ces meetings des femmes démocrates dénonçant le terrorisme chaque 8 mars, et sans le travail d'information de la presse (malgré les 120 journalistes et hommes de presse tués), le terrorisme islamiste n'aurait pas été vaincu. Surtout dans un contexte, celui des années 1994-1999, où les médias occidentaux imputaient systématiquement les assassinats et massacres aux militaires, quand les journalistes et intellectuels algériens qui essayaient de porter la contradiction lorsqu'ils avaient la possibilité de s'exprimer sur les grands médias français, étaient tout simplement suspectés de complices ou d'éradicateurs. Une époque qu'il est bon de rappeler par ces temps de reniement et de culture de l'oubli. Non, dans ces années 1990 – lisez ce qui s'écrivait et n'ayons pas la mémoire courte – nous n'étions pas tous frères. Nous n'avons cessé d'alerter dès 1989 sur la menace qui pesait sur le pays, stigmatisés par ceux qui nous qualifiaient nommément de judéo-sionistes» et qui nous promettaient – je n'invente rien – de nous pendre sur les grues d'Alger» une fois qu'ils auraient pris le pouvoir. A cette époque, il y avait deux Algérie : celle qui voulait imposer par la terreur son projet de société comme en Libye et aujourd'hui en Irak et en Syrie, ce qui n'excuse pas la responsabilité du pouvoir dans l'émergence et le développement de l'islamisme, et celle qui incarnait une alternative démocratique et moderniste, malheureusement divisée par des querelles de chapelle. Et ce clivage s'exprimait dans les colonnes de la presse et à travers des débats publics dont l'ENTV et la radio se faisaient l'écho avant que le président Bouteflika n'y mette un terme quelques mois après son arrivée au pouvoir. Dire aujourd'hui que l'Algérie a retrouvé la paix grâce à la loi sur la réconciliation nationale, n'est pas juste. En revanche, cette loi s'est accompagnée d'une culture de l'oubli et d'un retour en force du religieux sous sa forme la plus rétrograde dans l'espace public mais aussi médiatique, le tout sur fond d'accroissement des inégalités sociales, d'explosion de la demande sociale (emploi, logement, éducation) et de recomposition sociale avec l'apparition de nouveaux acteurs sociaux. Faut-il, dès lors, s'étonner du retour du foulard islamique alors qu'à la fin des années 1990, il n'était pas dominant ? Faut-il s'étonner que le meurtre d'Hervé Gourdel soit l'œuvre d'un «repent » qui ne s'est jamais repenti ? Et faut-il surtout s'étonner que des jeunes voient les gens de l'Etat islamique comme des sortes de héros des temps modernes, oubliant ce que leurs semblables ont commis en Algérie et continuent de faire ?