Le 19 septembre 1958, à 13h précises, est proclamée au Caire, par le CCE, (Conseil de coordination d'exécution) issu du CNRA, la naissance du Gouvernement provisoire de la république algérienne GPRA. Ferhat Abbès a été le premier président de la république algérienne. Pour la première fois depuis bien avant 1830, les Algériens habitant sur le territoire algérien ou expatriés avaient un Etat dirigé par un gouvernement qui sera reconnu, par la suite, par plusieurs nations. Cet Etat est une réalité. Il avait en effet un territoire bien délimité, un emblème national – pas régional – une direction politique nationale, une armée structurée et déployée sur tout le pays, un parlement national (le CNRA), seulement, il était en guerre contre un Etat occupant par la force son espace où s'étendait sa souveraineté. Il est évident que la proclamation du GPRA est le cheminement naturel de deux actions fondamentales réalisées par le Front de libération nationale FLN. Il s'agit de la proclamation du Premier novembre 1954 suivie immédiatement du déclenchement de la guerre de Libération et du Congrès de la Soummam. Personne n'en disconviendra, ce sont les deux premiers actes fondateurs de l'Etat algérien. L'appel du 1ernovembre ne concernait pas une caste, une ethnie ou une tribu, encore moins des croyants. Il s'adressait aux patriotes de toutes les régions du pays, de toutes tendances politiques et de toutes les conditions sociales pour mener une guerre de libération d'un pays. Il sollicitait une adhésion à la Cause de recouvrement de l'indépendance du pays et un engagement sans faille, pas une allégeance. «Algériens ! Algériennes !» Ce sont les tout premiers mots par lesquels commence cet appel. L'appel n'excluait personne. Il était citoyen et s'adressait aux citoyens pour rompre avec un ordre injuste. Quant au Congrès de la Soummam, il a armé au plan idéologique le futur Etat, il a structuré le territoire par la création des wilayas, il a formalisé l'organisation de l'Armée (ALN) et fixé la mission de cette armée. La renaissance d'une nation Le 28 septembre, à l'issue de sa première session, le président du Conseil, Ferhat Abbès fit, selon El Moudjahid numéro 30 du 10 octobre 1958, une déclaration dans laquelle il avait dit entre autres. «Le 19 septembre 1958, un Gouvernement provisoire de la République algérienne a été proclamé. Cette proclamation, faite au nom d'un peuple qui combat depuis quatre ans pour son indépendance, restaure l'Etat algérien que les vicissitudes de la conquête militaire de 1830 ont brutalement et injustement supprimé de la carte politique de l'Afrique du Nord. Ainsi s'achève la plus scandaleuse des usurpations du siècle dernier qui a voulu dépouiller un peuple de sa nationalité, le détourner du cours de son Histoire et le priver de ses moyens d'existence en le réduisant à une poussière d'individus. Ainsi prend fin la longue nuit des mythes et fictions.» Le reste de ce long communiqué ce sont les points essentiels d'une feuille de route que le GPRA engagera pour donner une autre dimension au combat du peuple algérien. Ainsi, les quelques «fellagas», selon la terminologie que leurs consacraient les généraux français, partis, les mains et les pieds nus pour combattre la quatrième puissance mondiale se dotent d'un gouvernement qui a démontré par la suite qu'il avait la compétence, la crédibilité et la légitimité que lui ont conférées les combattants de l'ALN des maquis, pour diriger un immense pays en guerre. Donc, la création du GPRA était pour les dirigeants du FLN une nécessité pour passer à une étape supérieure de la lutte et aider l'Histoire à prendre de la vitesse. Souvenons-nous, cette proclamation est survenue 26 jours après l'offensive générale déclenchée par les commandos d'assaut de la fédération du FLN en France, qui a vu ce FLN transposer la guerre dans le territoire de l'ennemi. En clair, si le combat du FLN avait un objectif, libérer le pays, il avait également une stratégie pour pousser l'ennemi à la négociation. L'existence d'un gouvernement doté d'instruments de gestion et fort d'un combat légitime pour l'autodétermination de la population du territoire dont il a la charge met la France, pour la première fois depuis 1830, aux yeux de la communauté tiers-mondiste dans une situation d'agresseur et de colonisateur violent. Pour bon nombre de pays de la sphère des pays non-alignés, l'Algérie n'est plus une colonie administrée par la France mais un Etat bien identifié qui est agressé. Plus grave, ses dirigeants sont emprisonnés par l'occupant. Il y a lieu de rappeler, en effet, que Ahmed Ben Bella, deuxième vice-président du GPRA, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Mohamed Khider étaient ministres d'Etat, faisaient partie de ce gouvernement mais embastillés à la suite du détournement, en plein air, de l'avion qui les transportait. Au plan de la bataille politique entre le FLN et le général de Gaulle, cette proclamation rendait caducs les résultats, quelle qu'en soit l'issue, du scrutin du 28 septembre 1958, qui était l'acte politico-juridique fondateur de la Ve république française. Le message est le suivant : un peuple administré par un gouvernement ne peut pas voter à l'appel d'un autre gouvernement, étranger de surcroît. En ce sens que la proclamation et la rapide reconnaissance, par plusieurs pays, arabes notamment, est devenue un coup de maître politique. L'histoire donnera raison aux dirigeants du CCE. 800 millions d'hommes reconnaissent la République algérienne «800 millions d'hommes reconnaissent la République algérienne» titrait dans l'un de ses articles El Moudjahid du 10 octobre 1958. Le rédacteur du papier faisait allusion à la reconnaissance par la Chine populaire de Mao, du GPRA. Effectivement, dès les premières minutes de la proclamation de la création du GPRA, les reconnaissances commençaient à pleuvoir. C'est la République arabe unie (Egypte) qui a ouvert la liste à 13 heures 5 minutes. L'Egypte sera suivie, révèle El Moudjahid, à 13h 7mn par le Pakistan, à 13h9mn par le Royaume de Libye, à 13h10mn par la République d'Irak, à 18h par le Yémen et à 21h30mn, la Tunisie fermait la liste des reconnaissances de la journée. Par la suite, c'est quasiment tous les pays arabes ainsi que le Viêtnam du nord, la Corée du nord, la Mongolie, l'Indonésie, l'URSS, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, Chypre, le Cambodge, l'Afghanistan, Cuba qui ont reconnu la République algérienne. La Guinée, le Mali, le Ghana, le Congo, le Liberia étaient les premiers pays africains à reconnaître l'Algérie comme Etat. Avant la signature des accords d'Evian, l'Algérie combattante était soutenue par plus de 43 pays. Première décision symbolique ; rejet de la souveraineté de la justice française sur les Algériens Tout de suite après son installation, le GPRA a pris quelques décisions. Le 26 septembre 1958, son président, Ferhat Abbès, fit une déclaration dans laquelle il affirma que «le GPRA était prêt à rencontrer le gouvernement français pour déterminer les conditions d'un cessez-le-feu.» Sur le terrain, le combat politico-militaire ne s'est jamais arrêté. Bien au contraire. Le gouvernement de Ferhat Abbès a donné une consigne qui symbolise le rejet de la souveraineté de la justice française sur les justiciables algériens. Ghafir Mohamed, dit Moh Clichy, responsable de la Super zone de la wilaya Une (Paris-Sud) au sein de la fédération de France, qui a eu le privilège de passer, quelques jours seulement après les consignes du GPRA aux militants devant être jugés par les magistrats français, se souvient parfaitement. Ecoutons-le : «Les membres du GPRA, à savoir Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed, qui se trouvaient à l'hôpital central de Fresnes ont donné, par le biais du Comité des détenus et le collectif des avocats du FLN, des consignes strictes aux détenus algériens qui devaient comparaître devant la justice française. Les détenus devaient faire une déclaration rédigée par Boudiaf et Aït Ahmed. S'ils ne maîtrisent pas le français, chacun devait se contenter de dire en arabe ou en tamazight ou en une seule phrase en français «nous avons un gouvernement. Je ne reconnais pas votre justice». Ghafir est passé donc en appel le 8 octobre 1958 devant la justice française après avoir été condamné le 30 juillet 1958 à 2 ans de prison ferme pour atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat. Ghafir nous donne plus de précisions avant de citer d'un trait cette fameuse déclaration politique. «Maître Oussedik m'avait fait la répétition au parloir. Le jour du procès, le président de la séance m'a appelé "inculpé levez-vous". Après la lecture d'usage des griefs retenus contre moi, le président m'a posé la question "avez-vous quelque chose à répondre ?" Je me suis mis droit comme un djoundi. J'ai récité ma leçon calmement en martelant quelques lignes suivant les consignes reçues.» 59 ans après, Ghafir se souvient parfaitement de cette déclaration. Il nous la récitat d'un trait : «Monsieur le président, nous sommes des Algériens. A ce titre, nous n'avons fait que notre devoir au service de la Révolution de notre peuple. Nous nous considérons comme des soldats qui se battent et savent mourir pour leur idéal. Ainsi, nous faisons partie intégrante de l'Armée de libération nationale. Nous avons des chefs à qui nous devons obéissance. Nous avons un gouvernement provisoire de la République algérienne que nous reconnaissons seul capable de nous administrer sa justice. Nous déclinons ainsi la compétence des tribunaux français. Quel que soit le verdict, nous demeurons convaincus que notre cause triomphera parce qu'elle est juste, parce qu'elle répond aux impératifs de l'Histoire. Face à ce tribunal, à la mémoire des martyrs algériens morts pour la libération de leur patrie, nous observons une minute de recueillement. Garde à vous ! Vive l'Algérie libre et indépendante ! Vive le Front de libération nationale ! Vive la République algérienne ! Vive la Révolution algérienne !» Ghafir a eu finalement une année supplémentaire à passer en prison