L'ONG française Sherpa et la Coalition Biens Mal Acquis du Canada demandent conjointement l'ouverture d'une enquête sur les biens mal acquis par des dirigeants africains et le blanchiment d'argent au Canada. L'association Sherpa — présidée par l'avocat William Burdon — informe avoir ce jour, jeudi 1er mars 2018, demandé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC, police judiciaire) qu'une enquête soit diligentée sur les conditions d'acquisition d'un patrimoine immobilier considérable sur le territoire canadien par différents dignitaires africains et leurs proches, dont certains sont mis en cause dans des procédures judiciaires en France. L'association Sherpa précise que cette initiative intervient en étroite coordination avec la Coalition Biens Mal Acquis du Canada et demande qu'une enquête globale soit ouverte du fait tant de cette saisine de la Gendarmerie royale du Canada que des initiatives prises récemment par la Coalition Biens Mal Acquis du Canada. Le Canada fait partie des pays qui ont multiplié les engagements aux fins de lutter contre la corruption et les détournements de fonds publics, notamment en ratifiant la Convention des Nations unies contre la corruption de 2003 (dite Convention de Mérida). Ces engagements, au regard de l'importance des indices présumant du caractère illicite du financement de ce patrimoine immobilier, commandent que soit engagée rapidement une enquête approfondie en mobilisant les moyens appropriés aux fins que soient identifiés et poursuivis les auteurs et complices de ces différentes infractions financières. Six pays concernés, dont l'Algérie Tchad. Sherpa demande à la GRC d'enquêter sur le patrimoine immobilier de plusieurs membres de la belle-famille du président Idriss Déby et d'un de leurs collaborateurs camerounais. Ensemble, ils ont tous contrôlé divers leviers financiers du Tchad, dont la société pétrolière nationale et le Trésor public. Ce clan a investi près de 9 M$ à Griffintown et à l'Île-des-Sœurs de 2012 à 2016. Congo-Brazzaville. Sherpa réclame aussi une enquête sur le fils adoptif du président congolais. William Nguesso s'est vu refuser l'immigration au Canada, un juge fédéral lui reprochant d'être «membre d'un clan familial mafieux» et d'avoir détourné des millions du Trésor public de son pays. La plainte vise aussi le puissant ministre Jean-Jacques Bouya et trois autres individus liés au régime. Gabon. L'association vise aussi un sénateur et le président de l'autorité de régulation des télécommunications de ce pays. Ce dernier est aussi le conjoint de Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle du Gabon et ex-compagne d'Omar Bongo, l'ancien président du pays. Selon les autorités financières françaises, elle aurait réalisé «d'énormes retraits ou dépôts en espèces», notamment au Canada, rapportait Le Canada enchaîné en mars 2017. La plainte vise aussi un patron du fisc au pays. Algérie. Sherpa presse la Gendarmerie royale canadienne (GRC) d'enquêter sur les neveux de l'ancien ministre des Affaires étrangères algérien, Mohammed Bedjaoui. L'un d'eux, Farid Bedjaoui, est recherché par Interpol pour corruption massive en Algérie et en Italie. Les trois frères ont transigé pour plus de 17 M$ en propriétés de luxe au Québec. Burkina Faso. La plainte de Me Bourdon mentionne également un avocat emprisonné en 2016 après avoir été reconnu coupable d'avoir participé à un putcsh raté en 2015. Quelques mois après sa libération, il mettait la main sur une copropriété dans le quartier Saint-Henri A. Sénégal. Sherpa s'attaque aussi à des proches du fils de l'ancien président Abdoulaye Wade : un ancien ministre et un ami de son fils condamnés pour corruption, reconnus coupables de lui avoir servi de prête-noms pour détourner l'équivalent de 165 M$. Facilités au Québec Selon Le Journal de Montréal qui mène l'enquête sur les «biens mal acquis» depuis plus d'un an, «aucune loi particulière n'empêche un haut gradé d'une dictature ou d'un régime corrompu d'investir au Canada. Résultat : le Québec accueille de plus en plus de personnalités politiques issues de régimes corrompus et autoritaires». «Il semble que le Québec ait été identifié par ces clans comme un territoire où, avec quelques tours de passe-passe juridiques, on peut financer, sans susciter d'enquête, des biens immobiliers, avec des moyens de paiement pour le moins douteux», dit William Bourdon, fondateur de l'association Sherpa, joint à Paris par Le Journal de Montréal. Or, le Québec a de nombreux atouts pour un investisseur cherchant à investir un surplus de fonds dans l'immobilier. Proximité du grand marché américain, bonne réputation du pays et stabilité bancaire... Synthèse par Djilali Hadjadj Les frères Bedjaoui objet d'une longue enquête du Journal de Montréal Le Journal de Montréal a publié en juin 2017 une longue enquête très fouillée à propos des frères Bedjaoui sur les biens mal acquis au Canada, enquête titrée «Les frères Bédjaoui/Condos de luxe, Panama Papers, pots-de-vin et amour fraternel». Extraits. Réda Bedjaoui a transigé des millions en immeubles de luxe à Montréal, tout en recevant des centaines de milliers de dollars de son frère Farid, recherché pour corruption massive en Algérie. Il poursuit aujourd'hui sa carrière d'homme d'affaires entre Dubaï et le Ritz-Carlton de la rue Sherbrooke... Depuis 2004, Réda Bedjaoui a aussi conclu de multiples transactions avec ses parents et son ancienne femme, à Westmount et à L'Île-des-Sœurs, à Montréal, d'une valeur totale de 4,7 M$... Dans l'acte d'achat de son condo (appartement haut standing) du M sur la Montagne, il a inscrit comme adresse la plus haute tour au monde : le Burj Khalifa de Dubaï, un gratte-ciel de 163 étages et 828 m. Selon les sites de courtiers qui vendent des appartements dans cette tour, les prix pour un petit studio y frisent le million de dollars.... En 2006, Réda Bedjaoui déclarait un revenu de 75 000 $, selon des documents en possession du bureau d'enquête du Journal de Montréal. Mais cet ancien étudiant de l'Université de Montréal pouvait compter sur l'appui financier de son grand frère Farid, qui lui a fait parvenir pour 285 000 $ de chèques en 2005 et 2006, selon ces documents. Ce troisième frère a aujourd'hui sorti ses billes du marché montréalais. Mais Ryad Bedjaoui et son ancienne épouse ont transigé pour près de 6,8 M$ en immeubles dans la région, de 2000 à 2014. En 2002, Farid Bedjaoui créait la première de 17 compagnies offshore chez Mossack Fonseca. Ce cabinet d'avocats est au cœur des Panama Papers, le vaste scandale sur les paradis fiscaux qui a éclaté l'an dernier. Un intermédiaire nommé Farid Plusieurs des sociétés écran que contrôlait Farid Bedjaoui auraient ensuite servi à blanchir les fonds nécessaires à la vaste entreprise de corruption dont il est accusé. L'homme d'affaires est soupçonné d'avoir servi d'intermédiaire dans le versement de commissions secrètes totalisant 198 M€ (environ 300 M$) pour un contrat pétrolier de la société d'Etat Sonatrach à la compagnie milanaise Saipem, entre 2006 et 2009, selon des documents de cour italiens. Les enquêteurs soupçonnent que le géant montréalais de l'ingénierie SNC-Lavalin s'est servi des mêmes canaux pour verser des commissions aux officiels algériens et obtenir des contrats. Au cœur de la période que vise son procès italien, en 2007, Farid Bedjaoui se chargeait lui-même du loyer de son petit frère Réda dans un immeuble historique du Mille Carré Doré à Montréal. Une vie de grand luxe, à 42 000 $ pour un an, démontrent des documents de cour en possession du Journal de Montréal. L'oncle Mohammed de la partie Bien avant cette période, l'oncle des trois frères, Mohammed Bedjaoui, un ancien ministre algérien également soupçonné de corruption, a aussi transféré des sommes importantes à Réda. En 2001, il a posté deux chèques de 100 000 $ US chacun à son neveu (302 000 $ à l'époque). Figure majeure du gouvernement algérien à partir des années 1960, Mohammed Bedjaoui disait envoyer cet argent pour les jumeaux de Reda qui venaient de naître, dans une lettre obtenue par Le Journal de Montréal. Les frères Bedjaoui sont depuis toujours de proches collaborateurs. Dans les années 1990, Réda et Ryad détenaient ensemble les compagnies agroalimentaires Bedex inc. et Mexicafé Canada inc., à Montréal. De 2010 à 2013, Réda Bedjaoui a même travaillé pour la toute première société que son frère Farid a créée chez Mossack Fonseca, Rayan Asset Management. Enregistrée aux îles Vierges britanniques, cette société de portefeuille s'est vue confier en 2003 environ un milliard de dollars US en placements de la compagnie algérienne publique Sonatrach, que Farid Bedjaoui aurait ensuite arrosée avec l'argent de Saipem. LSC