Il faut se hâter de secourir l'Université, car les avaries et les dégâts qui l'affectent ont atteint un tel degré de gravité, qu'il sera bientôt pratiquement impossible de la sauver de l'effondrement total. Pis, il y a un grand risque que, sous peu, ce soit l'Université elle-même, arrivée au stade final de la déchéance, qui refusera qu'on la sauvât. Néanmoins, les quelques enseignants auxquels il répugne de rester les bras croisés et de ne rien tenter pour éviter le gigantesque Titanic universitaire qui s'annonce, actent régulièrement, sur le tableau noir de leurs doléances, les graves lacunes et les scandaleuses dérives que l'on constate dans nos facultés et nos écoles supérieures. L'un d'entre eux aurait, aux dernières nouvelles, saisi le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs et fait annuler des attestations ou certificats de succès à des masters dont se prévalaient deux ministres sans avoir mis les pieds à la faculté ! L'information a été rendue publique par le journal on line AlgériePart du 12 décembre 2017 sous le titre : «Scandaleux : la justice annule deux faux diplômes de deux ministres algériens». L'information a été reprise par le journal on line Algérie Patriotique du 14 décembre 2017, dans un court article intitulé «Choquant» qui précise que c'est le quotidien Ennahar qui a révélé que le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs venait d'annuler les délibérations attribuant le diplôme de post-graduation à deux ministres et à un magistrat. Que peuvent attendre les citoyens algériens de deux ministres de la République et d'un magistrat en fonction, tous les trois faussaires, tricheurs, resquilleurs et jugés comme tels par un jugement qui a acquis l'autorité de la chose jugée ? Que peuvent espérer les étudiants de notre université à ce point gangrenée et pourrie, qui diffuse de moins en moins de savoir mais de plus en plus de forfaiture ? Mais qu'attendent donc les autorités concernées pour démettre ces individus des hautes fonctions qu'ils occupent indûment et de manière frauduleuse ? Quand verra-t-on ces «responsables», indignes, comparaître devant une juridiction répressive et être condamnés comme auteurs et complices de ces crimes contre l'honneur et la dignité, dont ils se sont sciemment rendus coupables ? Généralement, c'est en manifestant dans la rue que les enseignants expriment leur désapprobation et portent à la connaissance du peuple, leurs griefs et leurs revendications. C'est cependant le discours des autorités que les télévisions publiques et privées, amies des soi-disant autorités, diffusent, et que les médias écrits et électroniques relayent «bénévolement» et quasi systématiquement. On ne fait même pas semblant d'écouter ces enseignants donneurs d'alerte. On les ignore et lorsqu'on daigne en parler, on les calomnie. On les inscrit sur des listes noires, on les interdit de parole et on leur prohibe l'accès aux enceintes universitaires. L'Autorité n'aime pas la contestation et l'abhorre quand elle émane des enseignants qu'elle considère comme ses subordonnés hiérarchiques et plus encore quand elle provient de la jeunesse estudiantine, qui pourtant est la raison d'être de l'institution universitaire, et du ministère de l'Enseignement supérieur ! A l'instar des anciens papes des chrétiens, l'Autorité a, chez nous, la prétention d'être infaillible. Elle ne se trompe jamais, pense-t-elle ! En fait, elle est bornée ! Les expressions populaires «ma3za wa law tarat ; daz ma3a houm et h'na yemout Kaci» rendent parfaitement compte de l'entêtement particulièrement borné propre aux Algériens, de quelque région du pays qu'ils soient originaires ! Les protestataires ne sont jamais aux yeux de l'Autorité — expression qui embrasse une infinité de personnes et qui va du garde-champêtre au ministre, et au-delà — que des ingrats et des agitateurs. Les plus récalcitrants d'entre eux sont pour l'autorité forcément manipulés de l'intérieur et de l'extérieur, la manipulation étant une circonstance aggravante. Ces périodes de tension, qui ont pourtant souvent du sens et devraient donner matière à réflexion, sont pour l'Autorité l'occasion de prononcer quelques harangues formatées selon un prêt-à-penser idéologique suranné. Parfois, nos concitoyens les plus âgés se croient en écoutant l'Autorité parler revenir au temps du «Front du refus» des années 1970, alors même que tous les protagonistes de ce front, dit du refus, sont passés il y a longtemps de vie à trépas ! L'Autorité ne propose rien pour que cessent les dérives et les dérapages. Elle ne sait rien d'autre que d'en appeler au patriotisme des uns, au militantisme des autres, à la mémoire des chouhada (dénonçant en sous-entendu les traîtres, les vendus, les harkis, le colonialisme, l'impérialisme, etc.) et de recourir à la force brutale des baltaguia, ce mot haïssable qui nous vient du Moyen-Orient, lequel, blessé à mort, ne cesse de convulser. Si les troubles persistent, l'Autorité fait donner la charge contre «ses» enseignants, à coups de matraque et de gaz lacrymogène, pour les corriger. Une fois la «protesta» contenue et le calme revenu dans les rues, les universités et les écoles, l'Autorité procède, selon un scénario éprouvé, à quelques distributions sélectives de promotions, à un saupoudrage de privilèges et de distinctions académiques. Les heureux bénéficiaires des faveurs ainsi distribuées sont reconduits dans leurs fonctions pour un nouveau bail à durée indéterminée. Ceux qui n'approuvent pas sont laissés au bord de la route ou encouragés à démissionner de leurs fonctions. A l'Université, il en va ainsi depuis des lustres. Les franchises universitaires se sont rétrécies comme une peau de chagrin, les libertés académiques sont ouvertement violées. Les diplômes, les licences, masters, magisters et doctorats s'y ramassent à la pelle comme les feuilles mortes en automne. Le copier-coller triomphe ! D'exonérations en dispenses, en exemptions, on est arrivé, aux dernières nouvelles, à décider, sur proposition du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, que les doctorants et les chercheurs ne seront plus tenus, contrairement à une pratique universelle, de justifier pour l'obtention du titre de docteur ou de la qualité de chercheur ou d'enseignant universitaire, de quelques publications scientifiques personnelles, faites dans une ou plusieurs revues scientifiques. Rappelons à toutes fins utiles que les publications ne se font, en principe, qu'après l'aval du directeur de thèse ou du superviseur des travaux de recherche ainsi que de l'avis favorable du comité scientifique de lecture de l'université concernée. Pour le doctorant ou l'apprenti chercheur, ou l'impétrant à une fonction professorale, la publication d'articles ou de communications scientifiques démontre que : * Il est en capacité d'effectuer des travaux de recherche ; * Il sait construire et rédiger un article scientifique, qui soit analytique ou critique ; * Il accepte de soumette ses travaux à l'appréciation de l'ensemble de la communauté scientifique dont il veut faire partie ; * Il est en mesure de candidater, partout, pour des fonctions d'enseignant universitaire ou de chercheur en laboratoire. Pour l'établissement auquel appartient le doctorant ou le chercheur concerné, ces publications, tout en augmentant son fonds documentaire scientifique, est l'un des moyens de faire connaître l'établissement lui-même et d'améliorer un tant soit peu son classement dans la liste des établissements et universités du monde. De tout ce qui précède, il résulte clairement que : * Primo : l'obligation de publier n'est pas qu'une formalité superflue ni un rituel académique dont on peut se passer, une fois parvenu à un certain niveau du cursus universitaire ; * Secundo : les communications scientifiques doivent, pour mériter ce label, satisfaire à des critères et conditions de forme et de fond. Un article est scientifique, quand répondant aux conditions de forme (rédaction, plan, références, bibliographie) : - Il contient pour ce qui est du fond, une synthèse concise des travaux déjà faits sur la question ; - Il expose les résultats de la recherche, procède à leur analyse, les interprète et en tire des conclusions ; - Il apporte du nouveau ou complète les recherches déjà effectuées. Il importe de ne pas confondre article de vulgarisation scientifique et article scientifique. L'article scientifique diffère des articles de vulgarisation que l'on trouve dans la presse généraliste ou dans certains magazines tels que, par exemple, la revue Sciences et Vie ou la revue La Nature. Les communications scientifiques sont publiées dans des revues scientifiques. Dans certains pays, ces revues sont éditées et publiées par les grandes universités. Selon l'Institut de statistique de l'Unesco (rapport sur la science 2010), la production mondiale d'articles scientifiques croît depuis plusieurs générations, passant de 466 419 publications en 1988 à 986 099 en 2008. A propos, combien y a-t-il de revues scientifiques algériennes ? A quelles dates ont été créées les dernières ? Quelles actions le département ministériel en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique compte-t-il lancer pour réanimer la parution de revues scientifiques de haut niveau ? La suppression de l'obligation de publier va donc participer à pousser notre enseignement supérieur vers davantage, si j'ose dire, de médiocrité, et reléguer nos établissements universitaires en bas des listes de classement des universités du monde. L'obstacle de la publication universitaire obligatoire, ayant ainsi sauté par le fait du prince, nos établissements d'enseignement supérieur vont produire «des docteurs et des chercheurs, des professeurs, des maîtres-assistants, des maîtres de conférences», à profusion et au gré des accointances et du piston ! Cette mesure irréfléchie, pour ne pas dire coupable, est le coup de grâce porté chez nous et par nos autorités en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique au modèle méritocratique. A ceux que cette expression surprend ou choque, et pour lesquels il n'y a d'égalité qu'en tirant les gens vers le bas, rappelons que le modèle méritocratique est fondé sur le savoir, la justice et l'égalité. Il privilégie l'intelligence et la compétence. Il est en vigueur dans les grandes universités et les grandes écoles de réputation mondiale. La décision aventureuse de supprimer l'obligation de publier des articles scientifiques condamne l'Algérie à être privée pour toujours d'une «élite du savoir scientifique», formée à la base en Algérie, et qui pourrait être en mesure un jour de produire comme ses semblables étrangères, des prix Nobel dans les matières telles que par exemple la médecine, la chirurgie, la biologie, la chimie, la physique, les mathématiques ou l'astronomie. Concrètement, l'un des premiers effets immédiats de la mesure régressive que les autorités viennent de prendre sera d'aggraver la fuite déjà massive de nos bacheliers qui veulent suivre des études universitaires et de nos universitaires qui veulent poursuivre des études de post-graduation vers les établissements d'enseignement supérieur étrangers. Les statistiques et données relatives au nombre des étudiants algériens à l'étranger, qui fuitent à travers la presse nationale et étrangère, sont à cet égard, effarantes. Elles racontent en réalité l'échec de notre système éducatif supérieur et son incapacité à former une élite scientifique en mesure de rivaliser avec les élites scientifiques étrangères. Plus d'un demi-siècle après la proclamation de l'indépendance, et alors que notre pays a disposé de moyens matériels, financiers et humains suffisants pour rendre notre système performant, la mauvaise gouvernance, le clientélisme, le népotisme, la systématisation des passe-droits ont fait de notre université un triste champ aride sur lequel rien ne pousse, sauf la tricherie et de faux diplômes. L'abrogation par un texte réglementaire, apparemment conçu et élaboré sans concertation avec le corps enseignant et les représentants des étudiants, doctorants et apprentis chercheurs, est, sans doute, l'une des explications les plus rationnelles de l'incroyable rush et de la triste bousculade qui se sont produits le 29 octobre 2017 devant la porte d'accès du Centre culturel français d'Alger. Et dire que nos universités accueillaient, il n'y a guère longtemps, des étudiants étrangers provenant de pays africains et de certains pays arabes pour poursuivre ou terminer, chez nous, leurs études de graduation et de post-graduation ! La réalité aujourd'hui crève les yeux. On ne peut indéfiniment la nier ni faire comme l'autruche qui enfouit stupidement sa tête dans le sable ou comme l'hypocrite Tartuffe qui se voile la face : les Algériens sont de plus en plus nombreux à aller faire leurs études de graduation ou de post-graduation à l'étranger, parce qu'ils n'attendent plus rien de l'Université algérienne d'aujourd'hui. Nos autorités, dérangées dans leurs fausses certitudes selon lesquelles tout va bien, que les étrangers nous envient pour nos succès et nos grandioses réalisations, ont réagi aux images de ces centaines d'Algériens et d'Algériennes qui se bousculaient devant le Centre culturel français. Elles les ont dénoncées, en laissant toutefois entendre qu'il ne saurait s'agir là que d'une énième manœuvre de nos ennemis, destinée à ternir la réputation de l'Algérie ! Par ce genre de formules indécentes, l'Autorité a pris l'habitude de botter en touche dès qu'elle se sent prise en défaut et pense se décharger sur d'autres de ses échecs et de sa responsabilité dans ces échecs. Comme par hasard, l'ambassade de France a publié, à la veille de la visite du président Emmanuel Macron à Alger (6-11-2017), des statistiques relatives aux étudiants algériens qui effectuent des études supérieures et de post-graduation en France. J'ai retenu deux chiffres parce qu'ils me paraissent en l'occurrence très significatifs. Selon le premier, le nombre total des étudiants algériens en France a atteint 26 000. J'observe qu'il est l'équivalent des effectifs des étudiants de deux à trois universités françaises, de taille moyenne. Selon les derniers chiffres officiels français, il y a en effet en France, en plus des très grandes universités qui se situent dans la région parisienne et dans les grandes métropoles régionales, une quinzaine d'universités de taille moyenne, dont les effectifs étudiants varient pour chacune d'elles entre 7 000 et 15 000 étudiants. L'autre chiffre est celui des 8 674 visas attribués de janvier à novembre 2017 à des étudiants algériens, étant par ailleurs précisé que le nombre de visas accordés jusqu'à novembre 2017 a augmenté de 16% par rapport à celui de 2016. Dans chaque Etat digne de ce nom, il est du devoir et de la responsabilité des autorités nationales de créer pour la jeunesse du pays, les meilleures conditions pour la formation et l'éducation, sans jamais s'en remettre, pour cela, aux étrangers. Après les graves scandales de corruption et de fraudes qui, régulièrement, secouent nos universités et vu le déclin sidérant dans lequel se retrouve aujourd'hui l'enseignement supérieur dans notre pays, il n'y a plus d'alternative qu'entre un puissant sursaut salvateur ou la décomposition terminale. Z. S.