Brahim Ben Taleb travaille énormément dans le champ littéraire amazigh ; il a à son actif un certain nombre d'ouvrages, Timsal, ou sagesse populaire, Tajerrumt n tmazight s ccna, une grammaire berbère en chant, et un dictionnaire de tamazight vers la langue française. Autant dire que cet auteur fait un travail de fourmi, sachant que notre patrimoine immatériel est éparpillé dans la mémoire humaine. Une mémoire humaine qu'il faut savoir capter avant que l'oubli ne fasse son sale boulot. Cette fois-ci, Brahim Ben Taleb propose un dictionnaire de proverbes en kabyle, édition El-Amel, sous le titre Amawal n yenzan s teqbaylit, dans sa deuxième édition. En plus de sa valeur mémorielle, ce travail facilite la tâche des apprenants en tamazight, d'autant que ces six mille proverbes contenus dans cet ouvrage sont proposés par thème. C'est un véritable dictionnaire des dits, proverbes, dictons, tirés du génie et de la sagesse populaires. J'imagine la dose de patience qu'il a fallu à Brahim Ben Taleb pour collecter, avant que l'oubli ne les efface, ces sentences. Il est écrit en quatrième de couverture : «On y trouve plusieurs thèmes dont les mots clés sont entre autres : abandon, absurde, animaux, comédie, corruption, jalousie, fourberie, religion, sport, tromperie... » Ainsi, chaque «amateur de belles phrases» trouvera son compte. Lynda Chouiten est enseignante de littérature anglophone à l'Université de Boumerdès. Auteure de plusieurs ouvrages portant sur la critique littéraire, elle a publié déjà en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Son premier roman, Le roman des pôv'cheveux, édition El Kalima, est déroutant à plus d'un titre ; d'abord parce que ses personnages ne sont pas des êtres humains ; ces derniers sont des accessoires à la trame de l'histoire. Par contre, le cheveu, dénommé de différentes façons, tisse un conte fantasmagorique. J'ai lu le roman de Djamel Mati où le héros central est une chatte du nom de Yoko ; et que le héros du dernier roman d'Amin Zaoui est un caniche du nom de Harry's. C'est dire que l'écriture algérienne d'expression française se diversifie ; et Lynda Chouiten y contribue avec son premier roman. Je dois dire qu'il y a matière à réflexion, car l'auteure – après nous narrer les pérégrinations de tous ces cheveux, ici et là – nous surprend en reprenant à son compte des travers politiques de notre pays ; sans trop s'y attarder, il faut le dire. C'est ce qui fait le charme de son livre. Ce n'est pas un roman d'aventure. Pas un récit, non plus. Mais un conte philosophique sur les êtres et leurs dérives. Alors, faire parler «Choucha» est déjà une réussite d'écriture. Mais ensuite, faire voyager tous ces cheveux relève d'une imagination sans bornes ; ça me rappelle les romans fantastiques que je lisais dans ma jeunesse. J'ai été étonné par ce roman, mais aussi agréablement surpris par la maîtrise du sujet, et le style détendu adopté par Lynda Chouiten. «Pour cet ouvrage, j'ai choisi le loup, personnage né de la dégradation des valeurs morales au sein de la société. De jour en jour, le loup épouse nos âmes et s'incruste dans les mœurs à travers des pratiques et des comportements étrangers à la culture et l'éducation d'un peuple, qui a bâti sa sociologie sur l'honneur et les principes nobles.» Voilà ce qu'écrit Rachid Rezagui dans son recueil de poésie, Sur le chemin des loups, édition El-Dar El-Othmania. Préfacé par l'honorable Djouher Amhis, ce recueil ne se décline pas sous la forme des fameuses Fables ; quoique ça aurait pu l'être ; et ça aurait fait de l'effet. Illustrée avec bonheur par Karim Sergoua, cette somme poétique reprend avec colère certaines dérives de notre pays, comme la corruption, la hogra, le népotisme, et autres. Et là, le poète ne s'en laisse pas conter : il s'en donne à cœur joie. Laissons dire Rachid Rezagui : «Les Martyrs s'insurgent/Contre les héritiers ingrats/Les enfants constatent et jugent/La liberté dans de beaux draps», page 19. C'est une poésie de combat. De résistance. De dénonciation. Mais aussi d'espoir. Qui me rappelle la grande épopée de la poésie algérienne de langue française des années soixante-dix. Mais que restent-ils de ces moments d'écriture héroïques ? Rien. Sinon l'amertume. Les désillusions. La fuite en avant. La retraite subie. Les cheveux à portée de tombe. Laissons dire le poète : «A nos portes les bottes vont nuire/Nous sommes victimes et martyrs/Mais nous allons tous agir/Par dignité et mourir/Les loups vont en pâtir/Surtout souffrir puis partir/La lutte est un bon souvenir.» Il n'est pas simple de se mettre à la poésie quand, par ailleurs, l'on sait que ce message s'arrête au cliquetis de la machine d'imprimerie. Qu'importe, dit le poète ! Pourquoi se taire ? Allons à la foire de la parole ! Surtout, ne pas se taire ! Indiquez de vos rêves calleux l'espoir du soleil à renaître, même si le quotidien, lui, fait la nique aux poètes anachroniques. Rachid Rezagui dit son mot : «J'entends le muezzin, bientôt c'est le petit matin. L'angoisse me prend la main pour me pousser dans le bain de l'affreux quotidien qui est le vôtre et le mien, petite minorité de citoyens», page 13. Après près de trois ans comme ministre de la Communication, Hamid Grine revient à ses premières amours, l'écriture. Clandestine, édition Casbah, met en scène une survivante du massacre de Bentalha qui, prenant l'allure d'un jeune homme, souhaite faire l'ablation de ses seins. Pour cela, elle va voir le docteur Selim Ourlali pour ce faire. Intrigué, ce dernier prend sur lui de s'occuper de cette affaire née d'un drame sanglant de la décennie noire. De fil en aiguille, notre docteur fait son enquête et se retrouve à parcourir Bentalha. Il y connaîtra le fin mot de l'histoire de la survivante. Et rencontra à nouveau l'amour. Ce roman m'a captivé de bout en bout, car l'écriture de Hamid Grine a pris le bon style pour ficeler la trame de l'histoire. Parfois, on a l'impression de lire un polar ; mais ça ne diminue en rien la valeur de ce roman qui, encore une fois, est bien écrit. On est loin des premières tentatives d'écriture de ce romancier ; car depuis Le café de Gide, son écriture s'est développée pour nous donner des textes intéressants à lire. Maintenant qu'il est en réserve de la République, Hamid Grine a tout le loisir pour s'adonner à ses passions, la lecture et l'écriture. «Lire en fête !» Belle trouvaille, n'est-ce pas ? Lire, oui. Mais qui doit lire ? Il ne suffit pas d'exposer des livres pour que l'Algérien se mette à lire. Autrement, le Sila aurait suffi ! Encore une fois, tout provient de l'école. C'est dans l'école qu'on doit inculquer à nos enfants l'envie de lire. Pas à l'université. Ni ailleurs. Il faut semer la lecture. Non pas la proposer, comme ça, d'une manière bêtement institutionnelle. Décidément, tout est à reprendre de zéro ! Ainsi va le pays ! Bonne lecture. Y. M.